Que voit le grand public de l’architecture telle qu’elle est véhiculée par les grands médias généralistes ? Ne voit-il, tant prolifère la non-information d’architecture, que des images qui n’ont d’autre utilité qu’elles-mêmes ? Quand Jean-Marie Duthilleul, architecte des gares, indique avoir un projet ‘secret’ à Montparnasse, faut-il tendre l’oreille ? Décryptage en trois cas d’espèce vus, lus et entendus récemment : les tours de Montparnasse de Duthilleul donc, l’avenue Foch de Hamonic + Masson et le ‘Wheel Hotel’ de SCAU.
Le flop : Deux nouvelles tours à Montparnasse
Invité de RTL* le 20 octobre dernier, Jean-Marie Duthillleul annonce d’abord un projet réel et pragmatique dont il a la charge portant sur la réfection de la façade de la tour Montparnasse construite en 1973 et du centre commercial à ses pieds. «Plus transparente, plus changeante, plus illuminée», cette tour aura pour vocation, à l’issue d’un ‘grand concours international d’architecture’ lancé en février 2016, de devenir le symbole du réaménagement du quartier. Parfait. Alors pourquoi, quand personne ne lui demande rien, évoquer à cette occasion le projet «secret» de deux autres tours à cet endroit ?
Si l’agence Duthilleul se pousse ainsi du col c’est aussi que les enjeux fonciers et financiers de cette réhabilitation, financée en partie par les copropriétaires de la tour, sont à la hauteur de son coût monumental. Et si ce projet «secret» dont on ne veut pas parler mais dont on parle quand même pouvait susciter la curiosité de quelque investisseur… «Alors, Jean-Marie, quelle est votre idée ?» «Construire deux autres tours à côté de la tour Montparnase, pas forcément aussi hautes mais suffisamment pour mettre fin à son isolement» a répondu Duthilleul. En voilà une idée neuve ! N’empêche, l’air de rien, quand Jean-Marie Duthilleul multiplie virtuellement les tours, c’est pour se placer sur un marché encore hypothétique mais potentiel. Certes, l’homme de l’art «veut se donner le temps de convaincre».
Si le réaménagement global du quartier Montparnasse est un projet pragmatique servant des nécessités locales, la non-info permet ici de rendre plus sexy l’information première, comme une bande-annonce de blockbuster savamment divulguée plusieurs mois avant la sortie mondiale du film. Que personne d’ailleurs n’a prise au sérieux ; au temps qu’il faut pour construire à Paris, a fortiori une tour, c’est pour ses petits et arrière-petits-enfants que Jean-Marie Duthilleul, né en 1952, fait de la prospective. La question a cependant le mérite d’être posée.
Le Buzz : Un hippodrome avenue Foch
Avec leur vaste étude de piétonisation de l’avenue Foch, dans le si calme XVIe arrondissement de Paris, l’agence parisienne Hamonic+Masson & Associés avait imaginé une prise de position sur la ville en dehors de tout contexte de commande, libérant ainsi les idées et les propositions.
C’est dans un café que l’idée est venue d’interroger cette avenue très chic, vaste comme douze terrains de football mis bout-à-bout. En résumé, les architectes proposent de faire entrer le bois de Boulogne en partie haute de l’avenue, côté Porte Dauphine, et d’imaginer un programme de logements, commerces et bureaux près de la place de l’étoile à l’autre bout. Les documents édités à cette occasion en expliquent clairement l’aspect prospectif. Il s’agissait en effet «de mettre en image des idées, de recréer de l’aventure, de l’imprévisible, de la surprise et des émotions», expliquent Gaëlle Hamonic et Jean-Christophe Masson. D’où aussi leur volonté «de dire sans dévoiler, raconter pour révéler un territoire sans se focaliser sur l’architecture et surtout ne pas tomber dans le grotesque».
Sauf que l’ouvrage s’invite soudain en 2014 dans la campagne des municipales à Paris, la candidate Anne Hidalgo se disant séduite par le projet. Elle indique alors vouloir «étudier avec soin cette proposition ambitieuse qui dynamisera ces quartiers de l’Ouest parisien en construisant des logements sociaux ainsi que pour les classes moyennes et les jeunes actifs, tout en créant un espace public exceptionnel». La polémique est lancée. Le projet d’Hamonic+Masson devient pour Le Figaro** celui d’Anne Hidalgo – c’est comme si c’était fait – et déclenche l’hostilité des riverains et de Nathalie Kosciusko-Morizet, son adversaire. Cette dernière passe alors pour une ringarde conservatrice surtout préoccupée de la défense des bourgeois de cette très chic avenue parisienne et Anne Hidalgo se pose comme une progressiste qui ne craint pas les idées nouvelles. Et voilà, le tour est joué.
En politique, c’est de bonne guerre, sans doute, mais pour l’architecture ? «Le temps du projet a rencontré le temps de la politique,» se marre Jean-Christophe Masson. Pour le coup, l’agence a bénéficié d’une visibilité inattendue, le projet suscitant encore en novembre 2015, plus d’un an plus tard, des interrogations en Chine. Ici il a disparu des radars médiatiques, et pour cause, mais si Paris reçoit les JO de 2024, un hippodrome éphémère avenue Foch ?
Le rêve industriel éveillé : L’hôtel Grande Roue
Au début du mois de novembre, c’est l’agence SCAU qui squattait à son tour les pages du JDD*** avec le ‘Wheel Hotel’, un projet d’hôtel en forme de grande roue de fête foraine.
L’hôtel, architecture éphémère, peut être installé partout, mais c’est sur les berges de Seine que les perspectives situent le projet. La structure en bois et les réserves d’eau visibles dans les chambres rappellent à un mois de la CoP21 l’importance des enjeux du développement durable et des gestes environnementaux. Entre 300 et 400 euros la nuit. Pourquoi pas. Mais où est l’info ? Ce n’est pas comme si la construction avait débutée, voire même un permis de construire déposé. Bref, le programme hôtelier clé en main de SCAU est à ce jour sans investisseurs connus. C’est d’ailleurs souvent là que le bât blesse.
D’où les perspectives vendeuses. Les associés de SCAU misent sur une «compétition entre les villes», persuadés qu’elles n’en peuvent plus d’attendre un tel objet. Le groupe Accor et la société Elegancia Hotels auraient déjà été démarchés, indique le JDD. Sans succès apparemment sinon nous aurions eu connaissance de cette véritable info, il suffit pour cela d’imaginer la Une du Parisien : Le groupe Accor va installer son premier ‘Wheel Hotel’ à Paris !
Que SCAU soit à la recherche d’investisseurs, grand bien lui fasse. C’est juste que ce gros coup de pouce du JDD semble bien curieux ; l’article ressemble d’ailleurs à un communiqué de presse. En tout cas, l’annonce a fait chou blanc mais SCAU a obtenu ainsi un peu de rab sur ses 15 minutes de célébrité.
Léa Muller
* RTL – ‘La tour Montparnasse prête à changer de peau’, par Rémi Sulmont, publié le 20/10/2015
** Le Figaro – ‘L’avenue Foch aux piétons : le projet choc’, par Delphine de Mallevoüe, publié le 20/01/2014
*** Le JDD – ‘Un hôtel roue sur la Seine’, par Bertrand gréco, publié le 25/10/2015