C’est un complexe sportif de 4 000 m² à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) pourtant au départ pas complexé du tout. D’ailleurs son nom est Aréna Teddy Riner, c’est dire. A le découvrir lors d’une grise matinée d’automne, l’ouvrage signé Dominique Lyon, en lévitation et surprenant avec son grand porte-à-faux, apparaît audacieux dans ce paysage de banlieue qui sue la norme et la contrainte et ne prête guère à l’enthousiasme.
La visite permet de conforter cette première impression. Dans un projet dont le programme devait être inséré au chausse-pied – ce qui est souvent le cas pour ce type d’équipement – les espaces sont ouverts, lumineux. Le gymnase surélevé auquel on parvient via une sorte d’auditorium est une vraie surprise. L’architecte est même parvenu à glisser dans la structure une salle d’entraînement pour la boxe, avec deux rings, une salle un peu bas de plafond car non prévue au départ. Mais même cette salle dispose cependant de lumière naturelle et, comme pour les autres espaces, propose une vue presque à 360° sur la ville et la possibilité d’être vu.
«Ces équipements contribuent à la densification urbaine, offrent un spectacle propre à donner l’idée du dépassement de l’ordinaire et ils valorisent les activités collectives», souligne Dominique Lyon. L’auteur de l’ouvrage a toutes les raisons d’être content. Sinon, il ne ferait pas visiter son bâtiment à la presse. Cependant, au fil de la conversation, apparaît en filigrane une toute autre histoire.
Pérégrinations – Acte 1
La première consultation, gagnée par Dominique Lyon, consistait à définir le plan du quartier dans la zone du stade, une zone en PPRI qui de toute façon ne pouvait accueillir que des équipements sportifs. L’architecte vend l’idée qu’il est possible de tout caser sur la parcelle, le stade de foot, la piste d’athlétisme, les tribunes et un gymnase mais à condition de soulever le gymnase et faire passer la piste en dessous. Nécessité fait loi, explique-t-il.
De fait, dans de tels équipements, tous les gabarits sont imposés, idem pour une salle de basket et de volley de mille places ; les dimensions sont réglementaires et au centimètre près. Lors du concours dédié au gymnase, démonstration sera faite que soulever le gymnase était la seule façon de faire rentrer le programme. «On gagne», raconte l’homme de l’art.
Ce n’était que l’un des défis de ce projet. Un autre était de ne pas faire un équipement fermé sur lui-même, tournant le dos aux quartiers ségrégués qui le bordent. «C’est positif de voir jouer des jeunes gens», souligne Dominique Lyon. Son gymnase sera donc vitré.
En surélevant la salle de sport, l’architecte crée deux espaces publics, l’un, extérieur, qu’il imagine dédié au basket ou sport de rue, et un autre, intérieur, les emmarchements qui mènent aux gradins les jours de match se transformant en un petit amphithéâtre ou auditorium le reste du temps. Ce dernier espace est destiné à l’appropriation par les usagers, pour par exemple regarder les retransmissions sportives avec les licenciés sur l’écran géant, ou pour une quelconque réunion/assemblée de club, voire pour accueillir des manifestations festives qui pourront s’ouvrir sur le boulevard : fête du 14 juillet, fête de la musique, fêtes de quartier …
Tout le monde est conquis par le projet. «On y va», se dit l’architecte. Il ne le savait pas encore mais il avait déjà mangé tout son pain blanc, y compris la croûte et la fève !
Le premier appel d’offres pour l’ensemble du projet (gymnase, stade et piste d’athlétisme) se révèle catastrophique. Comme souvent, le coût du bâtiment a été sous-évalué. Seules deux entreprises générales répondent, en explosant les prix. «Difficile d’avoir un gymnase au prix d’une salle des fêtes», relève Dominique Lyon.
Tribulations – acte 2
La ville décide alors de construire en lots séparés, au sens doublement propre, puisqu’elle décide, les élections arrivant à grand pas, de réaliser le stade en premier, pour lequel un nouvel appel d’offres est emporté par une entreprise générale. Ce fut apparemment compliqué mais le stade est livré en juin 2014.
Quand vient enfin le temps de construire le gymnase, il faut bien entendu lancer de nouveaux appels d’offres, en lots séparés, et refaire une synthèse, mais bientôt le chantier avance. Quand, patatras, le charpentier fait faillite. La charpente est fabriquée en Turquie et l’entreprise turque est inquiète : le charpentier ayant fait faillite, qui va les payer ? C’est Citallios, le maître d’ouvrage, qui s’acquitte de la facture, les derniers éléments de la charpente arrivant enfin de Turquie.
Comble de malchance, le patron de l’entreprise italienne chargée de monter la charpente meurt. «Je me retrouve avec une charpente montée aux ¾, mal montée, et le reste de la charpente encore au sol», se souvient Dominique Lyon. «Sur tous les chantiers, il y a des arrêts dus à des faillites d’entreprise mais quand c’est ton charpentier, c’est traumatisant, ça coûte cher à tout le monde», dit-il. C’est un euphémisme.
En 2008, lors des élections municipales, à Asnières, la liste conduite par Sébastien Pietrasanta (CG) l’avait emporté de justesse (moins de 1000 voix) devant celle conduite par Manuel Aeschlimann, maire depuis 1999 (UDF puis UMP puis LR). En 2014, c’est l’inverse, Manuel Aeschlimann l’emportant de justesse, de 70 voix seulement ! Une différence infime, des soupçons, l’élection est invalidée par le Conseil d’Etat ! Manuel Aeschlimann a dû attendre juin 2015 pour redevenir maire.
Sauf que pendant ce temps-là, la ville ne pouvait bien entendu prendre aucune décision quant au sort du gymnase. De quoi dégoûter les Italiens à leur tour. Le chantier vieillit, la charpente à l’abandon s’abîme. Des pigeons auront même le temps le temps d’y fonder familles, ils occasionneront plus tard encore d’autres problèmes subséquents.
Passent encore quelques mois, le temps que les nouveaux élus discutent de l’opportunité de détruire ou non ce gymnase qui semble pourrir sur pied. Décision est prise de poursuivre l’odyssée. «On arrive à relancer un nouvel appel d’offres pour la charpente», se félicite l’architecte. La charpente sera entièrement démontée, recalée et remontée.
Périple – acte 3
Sauf que tant de temps a passé qu’il faut tout recommencer à nouveau pour les lots techniques, les offres datant de six ou sept ans étant obsolètes. Nouveaux appels d’offres, nouvelle synthèse, etc. L’architecte n’en peut mais. «On se retrouve avec des entreprises démotivées, qui s’en fichent, tout cela créant une mauvaise ambiance sur le chantier», note-il.
Le plan urbain date de 2010, la signature du marché du gymnase de 2013, l’ouvrage étant finalement livré en 2019. «Tout le monde était super pressé au début», se souvient l’architecte.
Au moins l’équipement fonctionne, y compris la piste qui s’étend sous le porte-à-faux et offre un abri bienvenu, et la nouvelle municipalité a fini par s’approprier l’ouvrage. Sauf que l’une de ses grandes réussites – la transparence entre la rue jusqu’au bout du stade pour ne tourner le dos à personne – est aujourd’hui remise en cause.
La commission de sécurité n’y a rien vu à redire, la commission de sûreté si. «Et si des terroristes tiraient à la Kalachnikov à travers la vitre dans l’auditorium pendant le discours du maire ?». Je résume. C’est vrai quoi, on ne sait jamais. L’auditorium sera donc doté de lourds rideaux et c’en sera fini de la transparence.
Tout comme pour l’espace extérieur, sous le porte-à-faux donnant sur la rue. Souvenez-vous, Dominique Lyon avait imaginé un lieu dynamique dédié au sport de rue. Mais la crainte qu’une telle proposition n’attire que des ennuis et des hooligans l’a emportée sur la confiance envers les administrés. Cet espace demeure donc inutilisé.
Epilogue
Neuf ans et 15 M€ pour un gymnase à Asnières ! Un ouvrage maudit ? Peut-être puisque tout le village et les équipements olympiques seront édifiés en quatre ans à peine et Notre-Dame reconstruite en cinq ans tout juste !
Christophe Leray