Dans notre Chronique précédente, nous abordions les premières propositions pour favoriser un changement culturel cohérent avec les limites planétaires. Après nous être penchés sur la formation des acteurs et le processus de projet, nous abordons maintenant la question de l’inspiration : inspiration du maître d’œuvre pour son projet, et motivation du donneur d’ordre à le lancer.
D’autres pistes pour favoriser l’émergence d’une nouvelle culture
Inspiration – les nouveaux courages
Le processus de conception s’appuie généralement sur la convocation d’images de références qui apportent une qualité d’émerveillement si précieuse. Ces images sont d’abord proposées lors de la formation initiale des architectes, qu’elles soient reliées à des théories de l’architecture ou à l’appui du projet.
Malheureusement, la production architecturale des cent dernières années, qui constitue une partie significative de ce corpus, correspond à une ère de la sortie des limites planétaires : les modernes ont joui de pouvoir s’affranchir du climat et des contraintes de ressources. Si des références plus anciennes, reliées à un monde préindustriel « 100 % renouvelable », sont toujours convoquées, elles correspondent à des modes de production de l’architecture trop éloignés des nôtres pour pouvoir directement inspirer.
Il apparaît donc nécessaire de partager très largement les fiertés des pionniers de ces trente dernières années, pour apporter des points de référence complémentaires : c’est entre autres l’objectif du mouvement Unisson(s) (1). L’élégance n’est pas forcément l’élancement d’un portique et peut se développer dans « l’architecture du poteau » demandée par le bois. Cette valorisation de nouveaux courages contribuera à réorienter la fierté collective, célébrer un nouvel héroïsme qui ne répond pas au référentiel habituel du « plus vite, plus haut, plus loin » mais s’intéresse plutôt à l’alchimie du juste compromis d’une approche multicritère.
Pratiquement, les palmarès sont un outil précieux. Nombre d’entre eux investissent déjà la qualité environnementale. Le cliché voudrait d’ailleurs que cela soit au détriment de l’émerveillement – avec le nombre de palmarès et de projets proposés, cette idée reçue reculera certainement. Citons par exemple les Global awards for sustainable architecture, le OFF du développement durable, Terra Fibra awards ou Materia awards, les Trophées du réemploi, ou le tout récent « réHABXXe » récompensant des opérations exemplaires de réhabilitation de bâtiments construits dans la seconde moitié du XXe siècle. D’autres encore pourraient apparaître, par exemple des palmarès de l’architecture zéro fossile ou de l’architecture des 100 km, sponsors encore à trouver.
Dominique Gauzin-Müller estime d’ailleurs que le triptyque « prix, exposition, livre » est l’outil le plus efficace de diffusion d’une nouvelle culture architecturale.
L’exigence au-delà du réglementaire, à commencer par le principe de réhabilitation, devrait d’ailleurs s’introduire dans l’ensemble des palmarès « généralistes », comme L’Équerre d’argent, les Albums des Jeunes Architectes et Paysagistes, ou les Pyramides d’argent. Nous recommandons également de publier en transparence et systématiquement les performances du bâti, à commencer par la quantité de matériaux mis en œuvre et le nombre « d’utilisateurs » des lieux, données rarement mentionnées.
La démarche EMC2B proposée par AREP propose un jeu d’une quinzaine d’indicateurs dits « fondamentaux » dans les champs énergie, matière, carbone, climat et biodiversité, ce qui peut être un canevas pertinent (2). Equivalent des informations nutritionnelles, plutôt qu’un nutriscore, la pesée environnementale d’un projet valorise l’impact des choix de partis de conception.
Investir les filières vertueuses
Derrière chaque palmarès « spécialisé » existe l’opportunité de stimuler la création de filières dédiées. C’est d’ailleurs bien par exemple l’ambition des Trophées du réemploi qui s’appuient sur le Booster de réemploi, espace de partage de bonnes pratiques et décryptage de la filière en évolution rapide. Cette approche pourrait être généralisée : stimulant la commande, maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre pourraient s’engager, avec le soutien de programmes type appel à projet ADEME, dans la réalisation de projets qui mettent en œuvre des techniques de construction devenues non courantes, en particulier bio et géo sourcées.
C’est évidemment un point clé du réinvestissement de ces filières : leur faible niveau d’industrialisation et le cadre normatif sont des freins puissants à leur mise en œuvre. Engager une taille critique de maîtres d’œuvre et de maîtres d’ouvrage au travers de leurs projets peut permettre d’envisager d’une part les investissements nécessaires à la filière, d’autre part la capitalisation de retours d’expérience suffisants, de l’ATEX de type A au graal de l’avis technique ou des règles professionnelles.
Architecture et rénovation énergétique
Enfin, un rôle fondamental de l’architecture, dans cette époque d’urgence en décarbonation n’est-il pas de transformer la rébarbative rénovation énergétique en amélioration de ses qualités d’usage, et de réinventer l’expérience des bâtiments ?
L’architecte a un rôle clé pour donner sens à ce bâtiment dans lequel on réinvestit lourdement, pour creuser la question au-delà des simples piliers énergétique et carbone, vers les autres enjeux de matière, d’adaptation au changement climatique et de respect du vivant. C’est sans doute en passant d’une approche de thermicien généraliste à la question architecturale plus large que nous gagnerons la bataille de la rénovation énergétique. Pour une partie de notre population, cette dernière est moins une question d’aides sociales que d’architecture de son lieu de vie : le premier déclencheur d’intervention dans un logement n’est pas la performance thermique, mais une évolution d’usage. Faire envie est nécessaire, essentiel, urgent.
Il y a un dessein plus grand que d’aller chercher une meilleure lettre de DPE ! S’il n’y a pas de culture de la rénovation énergétique dans le grand public c’est peut-être qu’il n’y a pas assez de Culture dans la rénovation énergétique. La création du rôle d’Accompagnateur Rénov (3) en 2022, s’il est massivement investi par les architectes, y contribuera certainement.
Nous proposons qu’un logement rénové en usage et en bas carbone soit déclaré « pacifié » ou « bon pour la planète ». Les études afférentes à ces rénovations sensibles pourraient être prises en charge par les aides publiques à la rénovation, y compris à un niveau local, afin d’inciter à un geste global et signifiant pour la ville, comme proposé par le Conseil de l’Ordre des architectes.
Nous terminerons le tour d’horizon de nos propositions avec notre prochaine Chronique, en abordant la question de la rémunération du maître d’œuvre, et du périmètre de son intervention.
Pour le groupe RBR-T
Emilie Hergott, architecte-Ingénieur, Directrice environnement & numérique au sein d’Arep.
Cédric Borel, Directeur, Action pour la Transformation des marchés (A4MT)
* Retrouvez toutes les Chroniques des limites planétaires
Les « Chroniques des limites planétaires » sont issues d’une note du groupe prospectif du Plan Bâtiment Durable, RBR-T, co-présidé par Christian Cléret et Jean-Christophe Visier.
(1) Le site : Unisson(s) (unissons.eu) et le film Vers une architecture bas carbone et du vivant – Mouvement Unisson(s) – YouTube
(2) EMC2B – AREP
(3) Rénovation énergétique -Qu’est-ce que Mon Accompagnateur Rénov’ ? | Service-Public.fr