Ralph Waldo Emerson commence ainsi son essai, « Cercles » : « L’œil est le premier cercle ; l’horizon qu’il forme est le second ; et dans toute la nature cette figure première se reproduit sans fin ». Pour cette chronique-photos, Erieta Attali s’en remet à l’éloge signé par Carlos Brillembourg, architecte basé à New York.
Si l’invention de la photographie était expliquée par des simulacres mécaniques de l’œil humain, avec son regard fixé sur l’arc de ce qu’Emerson appelait « le deuxième cercle », alors on peut dire que les photographies de paysage et d’architecture d’Erieta Attali répondent à cet idéal emersonien.
Emerson écrit encore : « Il n’y a pas de luminaires dans la nature. L’univers est fluide et volatil ». Par cet axiome, Erieta Attali découvre son propre horizon où s’encastre une architecture individuelle et solitaire. Ses photographies enregistrent une exposition unique d’un sujet en constante évolution. L’immobilité silencieuse de ses images est l’illusion de l’intemporalité. Cette illusion primale est sa quête et nous permet également de percevoir l’architecture comme non fixée, occupant temporaire de la nature.
En 1858 Nadar, à l’aide d’un ballon à air chaud, a fait les premières photographies aériennes. Son sujet était Paris. Ces photographies ont révélé au monde un Paris méconnu. Une ville moderne certes au sens des ingénieuses structures d’Eiffel mais ces images aériennes de Nadar ont révélé un paysage urbain autrefois caché.
Les explorations photographiques du XIXe siècle sur l’architecture, le paysage et la figure humaine constituaient le sujet incontournable et commun. Ce sujet commun se transforme une fois de plus en 1906 lorsque la Bibliothèque historique de la Ville de Paris commande à Eugène Atget de photographier des bâtiments anciens à Paris. Il révèle alors un Paris caché à la vue de tous. Une vue intime à la fois permanente et éphémère.
Les architectes ont besoin d’une représentation contrôlée et idéalisée de leur travail. Même Adolf Loos, l’auteur de « Crime et Ornement », tout en choisissant le médium de la photographie a retouché chaque image pour cacher ou révéler des détails de l’œuvre construite, détails qui se conforment ainsi plus fidèlement à son idée originale qu’à la photographie originale.
Un photographe qui refuse de faire des images pour la consommation de masse aggrave cette dépendance de l’architecture laquelle est aggravée surtout par le photographe qui croit en la vérité documentaire de l’image telle qu’elle est composée dans l’appareil photo. Erieta Attali appartient à la tribu qui refuse la vue corrigée numériquement. Produire des images emblématiques de l’architecture ne l’intéresse pas.
Que révèle son travail sur l’architecture ou la nature ? À mes yeux, l’œuvre d’Erieta Attali peut être considérée comme réaliste romantique dans la lignée de Flaubert. Les photographies du Chili nous disent que si l’architecture est éphémère, elle est aussi capable d’un geste passager vers le sublime.
Les ombres et les reflets caractéristiques de ses photographies majoritairement en noir et blanc sont les éléments qui encadrent une composition indexée du sublime. Ce n’est pas une fin en soi, c’est un rappel de nos propres limites humaines. L’absence de figure humaine dans l’image nous permet d’habiter un paysage extrême et difficile d’accès. Précisément, c’est dans cette difficulté que réside la clé pour déchiffrer sans parole ni prière la relation énigmatique entre l’homme et le cosmos.
L’image fixe de la photographie est fonction de la mécanique optique, certes, mais c’est aussi un instrument culturel. Si c’était possible, une représentation fidèle de la réalité serait effrayante.
Carlos Brillembourg
Architecte basé à New York
Erieta Attali
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