À l’occasion de la Semaine nationale des pensions de famille, du 4 au 10 octobre 2021, plus de 160 pensions de famille et résidences accueil ont ouvert leurs portes au grand public, sorte de Journées du patrimoine en somme. Logement d’abord ? La pension de famille donc.
Le communiqué d’Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du logement (ouf !), daté du 4 octobre 2021, explique avec sérieux que les pensions de famille et résidences accueil tiennent « un rôle majeur dans le déploiement du plan Logement d’Abord » de l’État, lequel fixe un « objectif ambitieux de création de 10 000 places nouvelles entre 2017 et 2022 ».
Il est vrai que la crise actuelle du logement sera bientôt encore plus acidulée avec la nouvelle RE2020 qui, loin de faire la synthèse des connaissances, impose à tous un virage électrique – vive le nucléaire – sans imaginer que peut-être, dans dix ans, le gaz découvert sous l’Arctique se révèle 100 fois moins cher que l’électricité nucléaire. En attendant, dès 2025, 4,8 millions de logements, soit 17 % du parc public, ne pourront plus être loués à cause de leur bilan énergétique déplorable (étiquetés F et G). Idem pour encore entre 3 et 4 millions de logements des bailleurs privés. Super ! Puisque depuis quatre ans le pays n’a jamais construit si peu de logements, sociaux notamment, que faire demain des habitants de ces passoires thermiques ? Leur proposer des tentes avec une grande croix rouge dessus pour les différencier de celles des migrants vues du ciel ?
Eureka ! Bon sang mais c’est bien sûr : la pension de famille, qui fut longtemps un havre pour hommes et femmes seules, moins cher que l’hôtel mais à l’étiquette plus stricte, est la solution. Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir des bonnes mœurs curieuses, gentiment désuètes, de Mme Grubach, la logeuse de Joseph K. (Le procès). La pension de famille, c’était le Airbnb de l’époque. Chaque village comptait sa pension de famille qui permettait aux veuves ou aux vieux gars soit de trouver à se loger, soit de maintenir une cordiale petite activité, les mêmes accordant toute leur attention à l’éventuel voyageur de passage.
Il est vrai que, dans les villages, la pension de famille à l’époque servait aussi de lien social, les intérêts des uns et des autres d’ailleurs bien compris. De fait dans les villes, la pension a vite perdu son attribut de famille, pour devenir hôtel louche, la pension tout court bientôt réservée aux enfants récalcitrants.
Mais bon, en 2021, promouvoir la pension de famille, cela signifie quand même, dans cette fuite désespérée pour présenter un bilan avant les élections, que l’objectif humaniste et universel que chacun en France puisse, selon ses moyens, habiter un logement digne et décent est passé par pertes et profits du progrès libéral. Le grand retour vers le XIXe siècle !
La preuve encore avec le renouveau du Béguinage, ce qui nous ramène encore quelques siècles plus tôt. En effet, traditionnellement, le béguinage était un habitat collectif né au Moyen-Âge pour venir en aide aux veuves de la guerre de 100 ans avant de devenir un lieu dédié à une communauté religieuse laïque de béguines (et quelques bégards). L’un dans l’autre : des vieilles filles, et une tradition d’évidence prête à perdurer.
Selon l’Association Esprit Béguinage, qui parmi d’autres promeut désormais ce vivre ensemble innovant, il s’agit « d’un outil à la fois social et sociétal pour les territoires ». « Au sein des villages, ces structures, composées de 20 à 30 logements individuels et d’un logement collectif partagé où se déroulent de multiples activités, permettent aux personnes âgées de se retrouver chez elles, tout en s’intégrant à une communauté. Dans un béguinage, chacun se soucie de son voisin, s’engage à lui rendre visite et à s’inquiéter pour lui ». Mieux que l’EHPAD à l’acronyme qui fait peur, le béguinage ou la résidence sénior des moins fortunés.
Cette nouvelle affection pour le béguinage, soit dit en passant, est un autre signe inquiétant du vieillissement de la population, les femmes vivant plus longtemps que les hommes, le temps que les dernières nées du babyboom disparaissent, elles seront passées de la maison à l’appartement puis au studio pour finir en cellule de béguine.
D’ailleurs, pourquoi cette circonspection avec les mots pour décrire ce qui n’est autre qu’une colocation ? Aujourd’hui, il faut bien comprendre que dans une famille normale, moderne, les enfants vivent à la maison jusqu’à trente ans et ce sont les vieux parents qui vivent en colocation ! Autant espérer en effet qu’ils s’éclatent… C’est en tout cas toujours mieux que l’hospice ou la prison direz-vous. Bientôt, dans la veine revival, les corons ?
Il est faux cependant de penser que l’État ne sait plus quoi faire question logement contemporain. En témoigne ce vaste plan d’hébergement de 247 M€, dévoilé en octobre 2021, destiné « à améliorer la qualité de vie des troupes militaires françaises », lequel plan, un projet national de 46 opérations pour 120 000 m², « se distingue par le choix d’une construction industrialisée hors site et une solution performante et durable alliant confort, maîtrise des coûts et délais optimisés ». Treize types de bâtiments d’hébergement ont ainsi été conçus pour être réalisés un peu partout dans un délai optimal de sept à dix mois et demi. À cette vitesse, espérer le top du top évidemment. Un projet baptisé UNIK. Si, si !
Première étape : l’École Nationale des Sous-Officiers d’Active à Saint-Maixent-l’École, dans les Deux-Sèvres, deux bâtiments de 50 chambres qui, dit-on, seront livrés dès mars 2022*. L’industrialisation du bâtiment au secours de la crise du logement dans les casernes, les sous-officiers d’active vont adorer. Pour eux aussi, plutôt que l’appartement, même pas le studio, la chambre, autre mot pour la cellule ! C’est décidément une manie.
Pourtant le même ministère des Armées en 2019 faisait encore appel à des architectes (ENIA) qui concevaient des bâtiments non industrialisés pour la construction à Arcueil (Val-de-Marne) du plus grand bâtiment pour cadres célibataires (BCC) de l’armée.** Les temps changent, vite…
Alors, Logement d’abord ! autant réinventer le dortoir. Pour les jeunes et les travailleurs, on appellerait ça une auberge de famille, non mixte cela va de soi, pour y loger dix ou vingt par chambrée. On y parvient déjà avec les migrants en rétention alors le pli sera vite pris. Il est possible encore de s’inspirer des anciennes pensions de famille soviétiques ; quand le mot tourisme n’existait pas à l’est du mur, les migrants étaient alors ceux qui de Pologne au Tatarstan voyageaient pour vendre quelques biens et comme il n’y avait pas d’hôtel, ils dormaient à quatre par chambre sur des lits jumeaux dans des pensions de famille pour camarades. Lever 6h au son du clairon !
Bref, entre industrialisation, pensions de famille et béguinages, les solutions pour résoudre la crise du logement ne manquent décidément pas pour ce gouvernement. Logement d’abord ! et en avant la musique. Le seul problème vraiment est que toutes ces bonnes idées fleurent bon la France des rentiers, des immeubles de rapport et des marchands de sommeil, un pays rance qui ne ressemble en rien à la start-up nation que d’aucuns espéraient sans doute. Dit autrement, Macron se tromperait-il de siècle ?
Christophe Leray
*Lire le communiqué A Saint-Maixent-l’Ecole, UNIK : Vincent Lavergne fera-t-il école ?
**Lire le communiqué A Arcueil, un bâtiment pour cadres célibataires signé Enia architectes