Maison, villa, manoir, castel, résidence, jusqu’à la Cité Radieuse… sont des notions utilisées pour associer le logement à une histoire. La question se pose sur l’amélioration de la qualité architecturale du logement. Rendre un appartement aussi désirable qu’une maison, c’est un rêve, celui d’une majorité de nos contemporains. Il pourrait être possible, encore faut-il le vouloir et dégager quelques éléments de programme.
Si certaines innovations ont un impact direct sur l’organisation de l’espace, d’autres améliorent le confort et l’usage tout en restant sans effet sur l’espace à vivre proprement dit.
Il revient à l’architecte de faire le tri et de mesurer ce qui va modifier, de façon concrète, la qualité de vie dans un logement ou dans une maison. S’il est clair que la surface est un facteur de confort important, il est tout aussi évident que le développement seul de la domotique ne va pas permettre de repenser l’habitation de la cave au grenier. C’est aux architectes qu’il incombe de parler d’architecture, c’est à eux d’imposer un discours qui ne les éloigne pas des « solutions architecturales ».
Le Corbusier, encore lui, se moquait des architectes qui, tout en apprenant à dessiner des Palais, ne savaient pas concevoir une maison. Il avait raison. À la question : pourquoi avez-vous choisi d’habiter des villes nouvelles ? Les nouveaux habitants répondaient, sans ambiguïté : nous rêvions d’une maison avec un jardin en centre-ville mais c’était au-dessus de nos moyens. Le choix relevait donc (et relève toujours) d’un renoncement et bien souvent d’une succession de renoncements.
Entre le désir du départ et sa réalisation, le souhait est de vivre dans une maison. Sous-jacente au souhait, l’aspiration est l’appropriation, notion qui suppose la possibilité d’organiser son espace de manière personnelle et d’en être co-concepteur. La mise en évidence des conditions qui permettent d’évoluer à sa guise, dans son propre espace, devient la pierre angulaire de la conception architecturale du logement.
L’idéologie de la construction a la vie dure.
Loin d’imaginer une nouvelle utopie, il s’agit bien d’affronter le réel pour l’améliorer et le rendre vivable. Beaucoup d’expériences glorieuses au départ se sont révélées catastrophiques à l’arrivée.
En outre, l’expérience a montré que le « low rise high density » permettait d’obtenir une sorte d’optimum urbain et d’éviter de mettre des logements dans des immeubles de grande hauteur.
En effet, mieux vaut se concentrer sur de petits immeubles si l’on veut apporter une réponse au problème de la ville et à celui du logement. Bien qu’il soit périlleux d’énoncer quelques principes, le sujet est dans tous les esprits : qu’est-ce que l’architecture peut apporter comme réponse au problème du logement ? quand je parle d’architecture, je pense à une démarche différente de celle de la construction.
Le rêve des Français n’est pas d’habiter un Palais mais d’habiter une maison avec un jardin, une cave et un grenier. Un rêve devenu inaccessible et sans réponse, l’insatisfaction va aller grandissante tout comme la désaffection pour l’architecture moderne. Après les normes, les DTU, les règlements… que reste-t-il pour innover, inventer, concevoir un logement qui puisse satisfaire aux attentes ? Les études se multiplient mais les obstacles aussi : la routine, la culture d’entreprise, le prix du foncier, celui de la construction… de quoi décourager les bonnes volontés.
Nul ne peut dire que le logement manque « d’attentions », chaque maître d’ouvrage a son cahier des charges, son mode d’emploi et les architectes n’ont plus qu’à s’y plier. Bien plus qu’un programme, le cahier des charges est un véritable support explicatif dans lequel la domotique, les matériaux de construction, l’économie circulaire et les économies d’énergie tiennent une place prépondérante, sans oublier les recommandations des experts remises aux différents ministres. Il ne reste plus qu’à suivre les « excellentes » réalisations de Le Corbusier dans ses cités radieuses ou l’expérience des coursives de Georges Candilis au Mirail pour réinventer la réponse.
Si pour satisfaire aux nouvelles exigences, l’idéal reste une cage d’escalier pour deux appartements, encore faudrait-il que l’économie de la construction comme les charges, notamment celles liées à l’ascenseur, le permettent. Réduire le nombre d’appartements par cage d’escalier dans le logement social est un objectif qui va à l’encontre de l’économie de la construction. Les élus ont leur point de vue sur les façades et les maîtres d’ouvrage savent ce qu’ils veulent quant à l’organisation des logements : circulez il n’y a plus rien à inventer !
Ce découpage s’inscrit aujourd’hui dans une nouvelle réglementation qui prévoit un permis d’aménager avant le permis de construire. La démarche ne peut être qu’itérative et le risque est grand de croire à l’indépendance de chaque étape, ce qui finalement retire au projet sa dimension essentielle, sa complexité. De quoi se décourager !
Que devient l’architecture dans ce contexte, quel est le rôle de l’architecte ?
D’aucuns peuvent rechercher la réponse dans les grands-messes, les séminaires, les assises et autres colloques. Ainsi, les Assises Nationales du Logement et de la Mixité Urbaine proposent un programme plein de promesses « Un logement de qualité pour tous » en quatre thématiques :
« La qualité rime-t-elle toujours avec le prix élevé ? », « Logement pour tous, l’utopie ? », « Santé, adaptation et accessibilité, les défis du logement universel » et pour finir « Décarboner le logement, un défi pour la rénovation ».
Curieusement, c’est ce dernier point qui est traité par les architectes… À croire que l’architecture n’a plus rien à proposer qui lui soit propre, il n’est plus question d’architecture alors que les attentes sont réelles.
Comment sortir l’architecture, pourtant reconnue d’utilité publique, du double piège idéologique et technique dans lequel elle est tombée.
Depuis un siècle, l’architecture s’est mise dans une impasse. Elle a cru à l’industrie salvatrice, à la nécessité de la répétition comme seule esthétique, ce qui l’a conduite à l’uniformisation. Je pensais qu’il était possible de sortir de cette impasse mais voilà que le piège se referme à nouveau avec l’écologie rédemptrice. Les étudiants la réclament, la ministre de la Culture obtempère. Ils auraient pu avoir raison en prenant l’écologie comme une démarche, comme un outil de conception, comme une pratique de la systémique. Mais comment l’appliquer sans comprendre que la ville et le logement constituent un écosystème ?
Le fonctionnalisme a mis la ville en vrac, malmené l’écologie urbaine et rendu particulièrement difficile l’expression d’un projet désirable. Bien trop souvent, l’écologie reste une manière de confirmer que la ville n’est plus désirable, que plus personne n’en veut, au point de rendre tout projet impossible. Si le projet d’une ville pour tous n’est pas réinvesti dans les écoles d’architecture, les conséquences vont être très lourdes sur l’ensemble de la société.
Penser que la construction bas carbone est le seul sujet traité par un architecte me paraît problématique. En quoi cette réflexion a-t-elle une réelle incidence sur l’architecture et surtout sur la conception d’un logement nouveau, mis à part le fait que les centres d’intérêt se sont déplacés de l’industrialisation vers l’écologisation de l’architecture ?
Si Cyrano de Bergerac avait été interrogé par l’organisateur des Assises du Logement, il aurait dit « Ah non ! C’est un peu court, jeune homme ! … Passons des généralités aux actions possibles ».
Généralités oui, mais sans jamais perdre de vue l’objectif qui est de rendre un appartement aussi désirable qu’une Maison !
Le logement d’aujourd’hui doit en effet répondre à de nouvelles attentes, de véritables défis. Ainsi, dans une surface donnée, souvent réduite, il doit recevoir un nombre sans cesse croissant d’activités différentes. L’enjeu est de pouvoir faire varier la distribution d’un même espace au cours d’une même journée. C’est un véritable casse-tête pour le bailleur qui doit, au fil des années, réajuster la composition d’un programme, surtout s’il considère la dimension patrimoniale de ses réalisations. Comment imaginer un hôtel social qui puisse être transformé, dans quelques années, en résidence seniors ou en logements familiaux ? Comment offrir à chacun un « coin jardin » ?
Le paradoxe du logement
Élément essentiel de la ville, le logement se conçoit de l’intérieur vers l’extérieur, il doit donc intégrer « l’extérieur, l’espace urbain mais aussi la nature ». Dans le temps de sa conception, c’est l’usage qui prime. L’attente est forte d’avoir plus de ville, plus de services, plus de présence de la nature. Avec l’évolution rapide des modes de vie et des conditions de travail, il faut explorer les possibilités nouvelles de conception d’un « autre » logement.
J’ose quelques pistes de réflexion programmatiques qui pourraient devenir huit principes :
– Le rez-de-chaussée est un espace collectif. Le rapport au sol, à la ville se faisant par le rez-de-chaussée, il faut proposer une certaine hauteur apte à recevoir les locaux collectifs, les commerces, avec les conséquences sur les PLU, le traitement du stationnement et répondre dans bien des situations au risque d’inondation.
– La toiture sous toutes ses formes, c’est le rapport au ciel. Elle doit devenir support de production d’énergie, utiliser les combles pour stocker les eaux de pluie, utiliser l’espace des combles pour proposer des greniers et des serres.
– L’espace du logement doit offrir les conditions d’un espace évolutif et adaptable, exigences qui pourraient rendre l’appartement différent et apte à l’appropriation.
– La présence de la nature rendue possible par les prolongements extérieurs et à l’initiative de chaque occupant.
– La ventilation naturelle sera privilégiée par la disposition des ouvertures, le traitement des façades et les différences dans l’orientation.
– Les circulations verticales configurées de telle façon qu’elles vont permettre l’évolution dans le temps de la mixité sociale et de la mixité logements /activités.
– Le cloisonnement intérieur aisément interchangeable. Des cloisons meubles vont contribuer, à tout moment, à varier sans difficulté la distribution des espaces par rapport au cloisonnement fixe.
– La modénature et la façade épaisse, sont un élément de la culture bioclimatique, elle permet la différenciation en fonction des situations, des contextes, des orientations. Elle se développe entre autres sous la forme de supports de végétation, de brise-soleil, de ‘bow window’.
Contrairement à Cyrano de Bergerac, j’aimerais partager ces idées et que l’architecture croit en sa capacité à construire des problèmes et à apporter des solutions.
Si les questions du financement du logement, du prix du foncier ou de la construction sont fondamentales pour sortir de la crise, il n’en reste pas moins vrai que l’architecture va devoir s’ouvrir à de nouveaux questionnements parce que les modèles actuels ont montré leurs limites. La construction d’une problématique, préalable et ouverte, semble une voie possible pour faire évoluer l’offre architecturale, en faire un moteur à oxygène, dans un monde replié sur une exploration qui semble figée. Je plaide pour un réveil qui fasse de la culture et de la nature l’alpha et l’oméga de la conception, d’une manière générale.
L’écologie
Les étudiants en veulent et la ministre a promis d’accéder à leur demande. Ils se trompent, c’est de culture dont ils ont besoin. L’écologie doit être vue comme une démarche, comme un moyen à la disposition des architectes pour refonder une architecture qui puisse répondre aux attentes sociales, en créant du lien et un langage partagé. La démarche doit se construire techniquement et culturellement. Nourrie symboliquement, métaphoriquement et poétiquement par la culture, l’architecture va puiser dans les formes de la nature pour renouer avec un imaginaire social.
Il est urgent que les écoles d’architecture participent à la libération de l’architecture, à la sortie du piège dans lequel elle s’est mise.
Après quelques années passées au ministère de l’Équipement, où il était surtout question d’industrialisation de la construction, puis au ministère de la Culture, pour que culture de l’architecture et culture dans l’architecture soient un même sujet, l’architecture va-t-elle migrer vers le ministère de l’Écologie et des Territoires, avant de se dissoudre dans les profondeurs des océans et de l’espace… dans le « Laboratoire du Futur » à la biennale de Venise.
Alain Sarfati
Architecte & Urbaniste
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