Le premier épisode du feuilleton concernant la restauration de Notre-Dame de Paris laissait entrevoir un développement sulfureux lorsque viendrait le moment de remettre en place la statue rocambolesque de Viollet-le-Duc au pied de la flèche.*
Nul ne s’attendait à la puissante canonnade déclenchée le 30 septembre 2020 par la Cour des comptes qui dénonce pêle-mêle, dans un rapport de 170 pages consacré à Notre-Dame, une gestion complexe et des responsabilités enchevêtrées, l’incohérence du programme de travaux en cours (lancé en 2016) lorsqu’est intervenu l’incendie en avril 2019.
En particulier, les marchés lancés par la DRAC en 2017, pour la restauration des parties hautes de la flèche de la croisée et des statues en cuivre (sept lots), comportaient des écarts importants, jusqu’à 228%, entre les estimations initiales et le montant final du marché. Même avant l’incendie, une certaine approximation régnait donc dans la mise en œuvre des travaux d’entretien de routine.
Jean-Louis Georgelin : Général Boum, Boum
La création d’un établissement public à la fin 2019 et la nomination à sa tête d’un général en retraite au franc-parler (« un architecte ça ferme sa gueule » avait-il déclaré devant une commission parlementaire) allait-elle modifier les désordres précédents ?
Eh bien non ! La Cour s’étonne, dans son rapport, qu’aucune enquête administrative n’ait été décidée par le ministère de la Culture après l’incendie et qu’il ne se soit porté partie civile que tardivement (juin 2020) dans l’enquête judiciaire en cours. Les oreilles de celui que Canteloup appelait « coton-tige » ont dû siffler ! Entre-temps, c’est Roselyne qui a hérité de la patate chaude…`
Plus grave est l’absence de transparence dans l’emploi des fonds collectés auprès des donateurs (840 M€ dans 140 pays, dont 140 M€ seulement ont été versés) ce qui « risque de fragiliser la concrétisation de certaines promesses de dons (640 M€) dans un contexte de crise économique ».
Autre grief majeur, les sages de la rue Cambon dénoncent l’utilisation des dons pour financer la gouvernance de l’Etablissement public (salaires des 39 collaborateurs sous la houlette du Général-président Jean-Louis Georgelin) soit 5 M€ alors que le texte qui a créé cet organisme public (loi du 29 juillet 2019) précise que « les fonds recueillis au titre de la souscription nationale sont exclusivement destinés au financement des travaux de conservation et de restauration de la cathédrale ». À cette somme s’ajoute à un loyer de 263 000 euros annuels pour des locaux Cité Martignac, dans le très chic VIIe arrondissement de Paris. C’est-à-dire un loyer de près de 22.000 euros mensuels, (93 euros / m²), soit 2,5 fois le prix moyen constaté dans le quartier. Cerise sur le gâteau, ce loyer est versé à l’État, propriétaire des locaux, qui empoche donc une partie des dons privés ! Rue Cambon, ça ne passe pas. C’est finalement la rue de Valois qui paira le loyer.
Cafouillage comptable
Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes n’a pas utilisé la litote, le 30 septembre dernier, interviewé par Léa Salamé sur France Inter, en se montrant soucieux du respect des donateurs, soulignant « l’exigence primordiale d’une transparence complète » quant à la gestion de leurs subsides. L’Etablissement public se voit ainsi mis en demeure de mettre « rapidement » en place une comptabilité analytique permettant de « retracer précisément l’emploi des fonds afin de rendre compte aux donateurs ».
Rien ne justifie en outre, selon les Sages, que toutes les dépenses de fonctionnement de l’Etablissement public (5 M€ / an) soit financées par les donateurs, puisqu’« un quart de ses effectifs sont affectés à la valorisation des abords de la cathédrale et non à sa restauration ». Cette observation sibylline pourrait bien cacher une bombe à retardement, car « quand c’est flou, il y a un loup » disait Martine Aubry à propos du programme électoral de François Hollande.
Hollande, le retour : « Coucou le revoilou »
On se souvient encore de la chanson prophétique de Michel Polnareff. François Hollande avait lancé le 7 décembre 2015, une mission d’étude sur l’Ile de la Cité, afin de repenser ses 22 hectares à échéance de 25 ans. Confié à Philippe Bélaval, patron du Centre des monuments nationaux et Dominique Perrault, architecte, ce rapport fut remis à François Hollande et Anne Hidalgo en décembre 2016.
Il projetait pour 2040 le réaménagement de la Cité en « Ile-monument » englobant la cathédrale (propriété de l’Etat), la Préfecture de Police, l’ancien Palais de justice, la Sainte Chapelle, l’Hôtel-Dieu et le marché aux fleurs, tout en dégageant une plus-value foncière de 100 000 m² évaluée à un milliard d’euros. Comment ? En « exploitant la sous-face au moyen de sols de verre, pour rendre le parvis de Notre-Dame plus accueillant et proposant de meilleurs services aux touristes (sic) ». En clair, créer un centre commercial en sous-sol, sous le parvis. Auchan et Unibail, approchés, avaient manifesté un vif intérêt. Il n’en fallait pas plus, au lendemain de l’incendie, pour rallumer la fièvre complotiste toujours prête à s’enflammer sur le web quant à l’origine du sinistre et susciter la méfiance face à un projet mercantile. (http://www.missioniledelacite.paris/).
On aurait pu croire que ce rapport était cramé après l’incendie. Il n’en est rien car, dès le 23 avril 2019, Dominique Perrault, alors que les cendres de la charpente étaient encore fumantes, plaidait pour lier la restauration de la cathédrale au projet « Hollande » de réhabilitation de l’Ile de la Cité.
C’est, précisément, ce que les magistrats de la Cour des comptes ont débusqué en dénonçant l’affectation de crédits issus de la collecte internationale pour un soi-disant « aménagement des abords ». Un euphémisme qui cache une opération immobilière d’envergure, fondée à l’époque sur la fréquentation de 14 millions de touristes par an, décimée aujourd’hui par la Covid-19.
Le premier à s’intéresser aux « abords de Notre-Dame » fut Haussmann, sous le Second Empire. Il fit détruire le tissu urbain qui enserrait l’édifice depuis le Moyen-Age, portant un préjudice sérieux au monument en ruinant la continuité urbaine et faisant d’un témoignage majeur de l’architecture gothique une relique. Si l’Histoire ne se répète pas, elle ne se divise pas, non plus. Notre-Dame de Paris « symbole de l’unité nationale » dit-on au lendemain de l’incendie. C’est oublier qu’entre 1793 et 1795, la « ci-devant église métropolitaine » fut transformée en Temple de la Raison… et que l’on y entreposait des réserves de vin pour les soldats qui, ces années-là, se battaient aux frontières.
Syrus
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*Chroniques d’Architecture. 1er septembre 2020. Notre-Dame : la flèche empoisonnée de Viollet-le-Duc