À la London Design Biennale 2023 (LDB), la France brille par son absence. Pour autant, nombre de pays, et leurs pavillons, brillent par leur présence. Herbert Wright, notre correspondant, en témoigne. Chronique d’Outre-Manche.
Sur place à la London Design Biennale 2023, J’étais sur le point de goûter le pain que le pavillon autrichien préparait quand je me suis soudain retrouvé face à un dilemme végétarien. En lieu de farine naturelle (mealworm flour ; mealworm = ver de farine !), des vers de farine entiers se trouvaient dans celle-ci, incrustés comme des tomates séchées au soleil. Les vers de farine sont-ils de la viande ? Notre dépendance à la viande tue la planète mais ces animaux sont « durables ».
Pendant que j’y réfléchissais, un pain alternatif sans vers de farine est sorti des pimpants fours autrichiens. Je l’ai goûté, c’était délicieux. À côté de moi, des dessins animés présentaient une Cyber Yeast Society (Société Cyber de la levure) où l’exercice de gymnastique comprenait le pétrissage de la pâte et des modèles imprimés en 3D de molécules de levure s’ouvraient et ressemblaient à des W.-C. Le pavillon autrichien était amusant et savoureux.
La biennale se déroule (jusqu’au 25 juin 2023) à Somerset House, un majestueux bâtiment néoclassique près du pont de Waterloo. Le thème choisi par le directeur artistique Aric Chen (anciennement du M+ Museum Hong Kong et maintenant directeur du Nieuwe Instituut de Rotterdam) est « The Global Game », inspiré du World Game de Buckminster Fuller de 1961 qui proposait que les nations collaborent plutôt que rivalisent pour résoudre les problèmes du monde. Aric Chen relève que les pavillons nationaux sont toujours en compétition, certes, mais collaborent-ils à la LBD ?
La première collaboration qu’un visiteur peut rencontrer en entrant dans la grande cour de Somerset House est accidentelle et créée par le vent. Malte remplit la cour avec Urban Fabric, une impressionnante installation de tissus suspendus teints selon les méthodes traditionnelles phéniciennes-maltaises. L’œuvre ouverte, monumentale mais éthérée de Turquie, conçue par Melek Zeynap Bulut, se trouve dans le coin à côté. Des hexagones métalliques concentriques créent des arcs formés par des tiges suspendues. Quand le vent souffle, tintent les carillons turcs tandis que flottent les rideaux maltais.
À l’intérieur, certains pays collaborent vraiment, vraiment. Les architectes danois SAGA et des étudiants suisses présentent un projet appelé Blue Nomad, un concept de maison flottante à énergie solaire « pour coloniser l’eau » pouvant se regrouper pour former de plus grandes colonies. Est-ce que ce genre d’idée est d’une aide quelconque tandis que s’élève le niveau de la mer ou qu’explosent des villes côtières africaines et asiatiques attirant des milliers de migrants chaque jour ? Aucune de ces considérations ne trouble St-Gerlach sur le lac de Constance, d’où viennent les étudiants, mais Blue Nomad pourrait être une voie d’évacuation pour les riches plus facile à atteindre que la destination préférée d’Elon Musk, Mars.
En 2018, les architectes de l’agence internationale Hassell ont conçu un habitat martien imprimé en 3D pour la NASA, j’ai donc été un peu surpris de les retrouver dans un « pavillon » appelé Bidi Bidi. Il ne représenta pas un pays mais un camp pour 270 000 réfugiés en Ouganda, où un centre de musique et d’arts conçu par Hassell est en construction. Le nom du camp semble cosmopolite mais le renforcement de la créativité et son partage dans un centre social est un coup de pouce vital pour la communauté déplacée. J’ai demandé au chef de projet Xavier de Kestelier si Mars et Bidi Bidi avaient quelque chose en commun. « Les deux endroits visent à permettre la survie mais les gens doivent aussi pouvoir prospérer », dit-il. Bonne réponse. De plus, sur Mars et en Ouganda, la conception et la construction utilisent la terre locale pour construire.
Un autre type de réfugiés a attiré l’attention de Shigeru Ban, qui a une longue histoire de projets de construction là où une catastrophe a frappé. En 1995, il a conçu des structures fabriquées avec des tubes de carton et, maintenant, son système de cloisons en papier donne aux Ukrainiens la dignité de l’intimité dans les grands bâtiments qui les abritent. Les unités de ce pavillon humanitaire, organisé par Clare Farrow, créent un complexe habité de récits et de poèmes ukrainiens. Poignant !
Une autre réponse pratique à la souffrance ukrainienne dans la guerre psychopathique de la Russie fait surface dans le pavillon polonais. La Russie fournissait autrefois 80% des fenêtres installées en l’Ukraine, maintenant ses missiles les démolissent. Les Polonais ont envoyé des fenêtres récupérées pour les remplacer mais elles ne sont pas toujours aux bonnes dimensions. Le pavillon polonais présente donc différents boîtiers architecturaux conçus pour combler l’écart. Les fenêtres n’ont pas fait l’objet d’une telle attention architecturale depuis le thème Elements de Rem Koolhaas à la Biennale de Venise en 2014. Désormais, la guerre et le réemploi façonnent l’agenda.
Malheureusement, la France est absente des 24 pays avec des pavillons à la LBD, ainsi que des dix autres à thèmes. Pourquoi les biennales les appellent-elles « pavillons » ? Venise est le pire pour des « pavillons » qui n’en sont pas. Dans l’Arsenale, ce sont surtout des parcelles au sol, comme les stands d’un salon professionnel. Les pavillons de la LBD sont principalement des pièces. Deux des meilleures étaient imaginées par des pays d’Asie du Pacifique mettant en évidence des approches très différentes pour fabriquer des choses.
Le pavillon taïwanais Visible Shop parle de la vitalité manufacturière du pays et, avec partout du métal découpé avec précision et de jolis petits écrans illustrant la stratégie taïwanaise, les designers Serendipity Studio et Loudly Lightning Studio créent de manière inattendue une installation artistique époustouflante. Ils exploitent l’une des nombreuses cheminées de Somerset House. De celle-ci, comme le train du tableau la dourée poignadé (1938) de René Magritte, quelque chose de dynamique et de métallique jaillit dans la pièce : une dalle d’acier de 6 m de long et, flottant au-dessus, un ensemble de flotteurs de pistons argentés, chacun actif au hasard, comme s’il était pressé par un trompettiste invisible. Si c’est une métaphore pour des individus indépendants travaillant ensemble, c’est ambigu mais c’est fascinant.
Le Japon, lui aussi, est high-tech et hyper-urbanisé, mais Yuki Sumner a organisé un pavillon intitulé The future is rural. Attendez, la population rurale du Japon ne vieillit-elle pas et ne s’effondre-t-elle pas, tandis que les villes du monde entier se développent à un rythme effréné ? Des artistes et designers japonais renouent avec la campagne et y trouvent du folklore, des ressources à explorer et une pensée ancienne sur la fabrication. Les œuvres exposées comprennent des œuvres d’art réalisées avec des matériaux naturels, des meubles en forme de mouton, des photos et des films – tous gardés par des mascottes au néon du projet Rubbish Rabbit de Ryo Okamoto qui lutte contre notre saccage de la planète. Les anciennes méthodes et la sagesse peuvent nous conduire à une vie plus lente, plus sereine et durable. Le message du Japon est captivant et profond.
Tout le monde parle d’IA ces jours-ci, désormais considérée comme une menace existentielle (quelque chose sur lequel j’ai donné une conférence en 2018 !), mais à part l’artiste robotique britannique AI-DA et ses peintures trash, il en était peu question à la LDB. Il nous faut désormais réfléchir à la manière de rendre la société résiliente face aux menaces existentielles telles que le changement climatique, la guerre, le déclin démographique ou même l’IA.
Chen et Buckminster Fuller ont raison de dire que la collaboration peut répondre à cette problématique. La LDB en fait montre mais l’esprit de compétition demeure. C’est inévitable quand il y a une si grande variété d’idées et de designs.
Herbert Wright
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