Depuis le mois de mars dernier, il est donné aux bingewatchers* le loisir de regarder une nouvelle série d’animation pour adulte sur Netflix. Que l’action se passe dans un futur apocalyptique ou dans un passé onirique, l’architecture et le dessin de la cellule d’habitation est toujours celle du XXe siècle, quand bien même les robots sont omniprésents, intelligents et doués d’émotions.
Love Death + Robots est une série d’anthologie dans le sens où elle compile 18 épisodes aux styles, personnages et discours variés autour de quelques points communs, faciles à deviner. Si l’on s’aime un peu entre chairs humaines et métaux dans certains opus, on meurt beaucoup dans chacune des histoires. Quant aux robots, cyborgs, transformers, androïdes, araignées géantes, yaourt dictateur et autres humanoïdes, ils sont omniprésents.
Chaque épisode est construit avec son propre univers et est réalisé par un studio français, américain, hongrois ou japonais distinct, sous la houlette de quatre cinéastes-architectes coordinateurs dont Tim Miller, heureux Papa des films Deadpool et du futur Robocoop. Le producteur de l’adaptation de Sonic cette année a aussi travaillé avec David Fincher, réalisateur de Se7en, de l’Etrange histoire de Benjamin Buton ou de Fight club. Plus récemment, le réalisateur de The Game avait aussi collaboré avec la plateforme pour la série Mindhunter.
Trouver un synopsis général à la série est bien impossible, d’autant que si l’anthologie offre un moment plaisant, les épisodes courts (entre 5 et 20 min) sont de qualité très variables, oscillant entre science-fiction, anticipation, comédie, dystopie, ou encore horreur. Même le meilleur n’aurait pas le temps de consolider un discours fort en si peu de temps et chaque épisode est à la fois facile à regarder et difficile à oublier grâce à une narration audacieuse.
Parmi nos épisodes favoris, il y a «Three robots», dans lequel trois petits robots font du tourisme dans une ville apocalyptique où les humains ont disparu depuis belle lurette. Ensemble, ils imaginent ce que devait être la vie de ce peuple lointain, qui cohabitait avec des créatures étranges et ronronnantes appelées «chats». Si les robots sont là, c’est que les humains ont créé leur perte.
«The witness» est aussi une jolie réussite et relate en substance une course poursuite dans une ville asiatique, dans un futur sans doute proche et inspiré des villes d’Enki Bilal. Et comment ne pas citer «behind the Aquila Roft», création frenchie, quand une erreur envoie un équipage dans l’espace à des années-lumière de sa vie d’avant.
Chacun l’aura compris, avec les robots il est fortement question d’espaces, d’espaces temps, d’espace galactique, mais aussi d’espaces urbains et architecturaux puisque, quoi qu’il se passe, les personnages, androïdes, humains, araignées géantes, et autres hologrammes ne font aussi que de se déplacer dans des lieux bidimensionnels, même lorsqu’ils évoluent dans des vaisseaux spatiaux.
Que nous montrent alors ces 18 épisodes de la ville du futur ? De l’urbanisme dystopique ? Des appartements dans des imaginaires d’anticipation ?
Finalement, pas grand-chose de vraiment nouveau. Dans «Blindspot», les mercenaires suivent un convoi dans un tunnel, quand les deux héros de «Fishnight» se retrouvent totalement perdus sur une route désertique qui pourrait être dans l’Arizona ou le Nevada, du bitume au milieu de rien. Il s’agit pourtant de l’un des épisodes visuellement les plus réussis de la série.
La série met en scène des épisodes dans différents coins du globe, du Hong-Kong en proie à la frénésie de la modernité du XIXe siècle («Good Hunting») à la magie des mythes ancestraux, aux fermes clichés du Midwest avec leurs moulins à vent et leurs greniers à foin. Pourtant, les habitants de ce village cachent des robots-transformers pour lutter contre une invasion Alien.
Le spectateur est un peu perdu entre tous ces temps, ces époques, d’autant plus que ses repères sont toujours présents. La course poursuite de «The Witness» se passe dans une mégapole qui pourrait être Taïwan ou Macao, faite de tours dont plus personne n’ose dire qu’elles sont modernes, d’embouteillages de voitures thermiques bien moins évoluées que le taxi de Korben Dallas ou une simple Tesla d’un de nos contemporains. Constatons que le Cinquième Elément fêtera cette année ses vingt-deux printemps !
Dans ce même épisode, comme dans «Zima Blue», l’intérieur des architectures est aussi paradoxalement bien semblable à celui de nos époques : les appartements ont des portes avec des serrures et des clés. La fonction dormir de la cellule, avec son lit 2 places fait au carré est toujours bien dissociée des fonctions se laver et se nourrir. Quoi qu’il arrive donc, même une strip-teaseuse SM plantée dans un Tokyo futuriste vit comme une célibataire de la vielle Europe née avant 2000. Le peu montré des espaces de vie pourrait ainsi être décrit comme n’importe quel bâtiment récent, avec le même vocabulaire.
Dans Metropolis (1927), 2001 : l’Odyssée de l’espace (1968), la première trilogie Star Wars (1977 / 1983) Blade Runner, (1982), ou même dans une certaine mesure dans Minority Report (2202), c’est le traitement de la ville et des espaces intérieurs qui contribuaient à donner le sentiment du futur, de la modernité angoissante, des technologies non maîtrisables ou de la vie à des années-lumière et avec des robots. Metropolis et Blade Runner ont même largement contribué à façonner l’imaginaire collectif à propos de la ville du futur.
La ville ne serait alors plus le reflet d’une modernité toute puissante ? Le support d’écrans de contrôle prompt à téléguider notre civilisation a été remplacé par un yaourt dans «When the yoghurt took over». Que la tour d’un kilomètre ne fasse plus rêver est presque évident dans la mesure où chaque mégapole mondiale possède aujourd’hui son gratte-ciel de compétition, et que Netflix irradie plutôt dans ces coins-là de la galaxie terrestre.
Inversons la donne. Pour les classiques du genre, des architectes et des designers ont collaboré avec des cinéastes pour le scénario et l’invention d’univers variés. Les scénaristes et studios de création de cette série n’auraient-ils pas pu s’adjoindre les conseils avisés mais surtout prospectifs d’architectes un peu imaginatifs ?
A moins que, à l’image de notre civilisation détruite visitée par des robots, l’architecture de science-fiction soit aussi à l’agonie, remplacée par des robots, plus ou moins grands mais extrêmement sophistiqués et violents, capables même de témoigner d’émotions, comme Samantha, la voix avec qui Théodore entame une relation dans Her (2013), film qui montre des relations hommes / robots dans une ville que chacun connaît.
Si les premiers films d’anticipation relayaient la peur de la ville haute et de la modernité, les gratte-ciel ont aujourd’hui été remplacés par des robots doués de plaisir et capables jusqu’aux relations sexuelles avec des humains.
La nouvelle angoisse du XXIe siècle ?
Alice Delaleu
* regardeur de séries compulsif