Ce pourrait être un joli conte de fée intitulé “le retour de la fille prodigue”, ou une belle histoire de renaissance sur les lieux mêmes qui l’ont vu naître. Ca y ressemble si on ne lit qu’en diagonale le résumé de Brigitte Métra. Une lecture plus attentive raconte une autre histoire. Où il est question de l’assistance gravitationnelle des planètes. Portrait.
Brigitte Métra, après 17 ans passés auprès de Jean Nouvel, s’émancipe à peine que déjà elle construit ses deux premiers bâtiments à Besançon (Doubs), où elle est née, et à Dole (Jura), où elle a grandi. Coïncidence trop troublante pour n’être pas porteuse de sens. Sauf que cette femme accumule les “coïncidences“. Par exemple, alors qu’enceinte elle travaille à l’agence de Jean Nouvel pour les nouveaux bureaux de l’usine Poulain, dix ans plus tard, désirant “refaire des petits projets“, elle se retrouve à concevoir trois salles de spectacles de 200 places pour le musée de l’objet de la ville de Blois, dans les locaux de… l’ancienne usine Poulain. Ou encore, après avoir terminé ses études d’architecture à La Villette, elle se retrouve 20 ans plus tard cette fois, de nouveau à la Villette pour la Philharmonie de Paris, projet auquel elle est associée avec Jean Nouvel pour la salle de concert. Quel sens donc donner à cette carrière qui semble à chaque fois la ramener, malgré des ellipses de plus en plus larges, à son point de départ ?
Quand on la rencontre dans son agence du boulevard de la Bastille, sorte de Silicon valley de l’architecture, et qu’on lui explique la méthode de ce portrait à venir, Brigitte Métra prend d’une écriture appliquée des notes précises sur un petit carnet. Notes qui ne traduiront au final que ses intentions à ce moment donné, puisque l’expérience prouvera qu’elle réagit et s’adapte plus facilement aux évènements qu’elle ne les contrôle. Pour preuve sans doute, ce plancher qui grinche de façon étonnante dans le silence studieux de l’agence, qui compte aujourd’hui une dizaine de collaborateurs.
“Je suis un peu speed” ; “… dans le mouvement” ; “Je ne tiens pas en place” ; “Je fais un maximum de choses dans un minimum de temps” ; “Je ne parviens pas à avoir une secrétaire fixe, je les épuise. J’épuise tout le monde” sont ainsi quelques phrases extraites d’un entretien mené tambours battants. Mais elle parle aussi dans une même phrase d’un match de rugby auquel elle est invitée – les All Blacks à Marseille – et pour lequel elle a pris le temps de se documenter, et de musique, qu’elle soit classique, du monde ou contemporaine. “Je marche à l’énergie“, dit-elle encore. Tant d’énergie pour revenir à chaque fois au départ ?
Brigitte Métra naît donc à Besançon et grandit à Dole, ville natale de sa mère issue d’une famille de minotiers installée sur une île du Doubs. Son père est pharmacien, vient du Haut-Jura, et deviendra dirigeant d’une société pharmaceutique pour laquelle il arpentera toute la région. L’architecte garde de son enfance “à nager dans le Doubs l’été et à skier l’hiver au contact des forêts, les champignons, les jonquilles” un goût inaltérable pour la nature dans son aspect sauvage et non maîtrisé. Jacques Duhamel est alors député-maire de Dole et ministre de la Culture de Pompidou, ce qui vaut à cette petite ville de 25.000 habitants “une vie culturelle intéressante” à laquelle Brigitte Métra est vite connectée et dont, presque aussi vite, elle perçoit “les limites“. “J’ai une vraie passion, la planète“, dit-elle, évoquant alors cet oncle qui a exploré la Terre Adélie. Bref, voilà une jeune fille à la fois enracinée et ouverte sur le monde.
Si elle passe un bac scientifique, elle aime la philo, le français. Elle a découvert à 17 ans, par un ami étudiant, que l’architecture est une “synthèse, ouverte à tous les champs“. Elle s’inscrit donc à deux facs : anglais parce qu’elle veut voyager, et archi. En trois mois, l’architecture gagnait aux points et au coeur. Tellement qu’après deux années passées à l’école de Nancy, Brigitte Métra taille la route jusqu’à Paris, “jusqu’à la source puisque c’est de là dont venaient nos professeurs“, dit-elle. CQFD
“Je pensais qu’architecte était un métier sédentaire, de constructeur de collèges en banlieue. Je n’ai jamais eu de plan de carrière, je faisais ce qui m’intéressait“, s’amuse encore Brigitte Métra. Alors comme elle voulait voyager, elle est partie. En stop parfois, toujours suffisamment longtemps pour comprendre les lieux et les gens, en Hollande ou en Inde, entre autres destinations. C’est plus tard, après un retour en France avec la “soif” de n’être pas “enfermée” qu’elle a compris que l’architecture – “par l’archi, dans l’archi, avec l’archi” – pouvait devenir le fil conducteur de sa découverte d’horizons tout en lui permettant de gérer ses propres contradictions entre “moderne et sauvage, nature et haute technicité” et que l’architecture, qu’elle fut sédentaire et statique, qu’elle prenne des années à réaliser, n’empêchait pas qui le désire de se laisser “porter par la vie, les intuitions, sans rien calculer“.
“Je reviens d’Inde, il fallait que je bosse. Je regarde une revue et je me dis ‘tiens, lui [Jean Nouvel] a l’air de faire des choses intéressantes’. Je vais rue Lacuée, je me trompe de porte et me voilà embauchée par Archigroupe“, se souvient-elle. Deux ans ou presque plus tard, au hasard des rencontres dans l’escalier, elle entre chez Jean Nouvel et se retrouve chef de projet à l’étranger car “je parlais anglais couramment“. Ses deux passions réunies, elle (re)découvre Rotterdam, Prague juste après la révolution de velours, Lucerne, etc. “Au bout de huit ans je voulais partir : il m’a proposé New York ; difficile de dire non à un hôtel à New York“, raconte Brigitte Métra en riant. Puis ce fut le théâtre de Minneapolis. Finalement, 17 ans se seront écoulés avant qu’elle ne décide de prendre deux mois de vacances.
Il ne se passe pas une semaine sans qu’elle ne muse : “Je ferais bien un petit concours“. Cet ami lui signale un concours pour une salle de spectacle … à Dole. Projet trop petit pour l’agence, Jean Nouvel donne le feu vert, mais la rappelle bientôt : “Nous avons gagné la Philharmonie de Copenhague, je veux que tu t’en occupes“. La semaine suivante, Brigitte Métra est retenue pour Dole. La veille d’un départ au Japon, elle apprend l’avoir gagné. Elle travaille donc sur les deux projets, le sien et Copenhague, de concert. Jusqu’à ce que, dans la course, le père d’une amie de sa fille lui demande s’il lui plairait de construire le nouveau centre de production d’une compagnie d’implants neurologiques à… Besançon. C’est ainsi que furent construits entre 2005 et 2007 ses deux premiers bâtiments, lesquels l’ont ramené là même d’où elle était partie.
Jean Nouvel aimait à répéter qu’il était un chef d’orchestre et que Brigitte Métra était une de ses solistes. “J’adhérais, j’interprétais“, dit-elle, “aujourd’hui, je suis compositeur interprète“. Comme pour une plante qui cherche la lumière, ce départ s’est organisé lentement (toute proportion gardée), naturellement, sans drame. “Je n’ai pas de complexe vis-à-vis de lui, je ne cherche pas à lui ressembler, nous ne jouons pas dans la même cour“, dit-elle encore. “J’ai été éduquée dans une école d’architecture où l’on voulait réfléchir mais ne pas se compromettre, où l’on était plus des intellos que des constructeurs. J’ai tout appris chez Nouvel et lui en suis reconnaissante“. Ils sont encore associés pour le théâtre de Perpignan et c’est ensemble qu’ils ont conçus la salle de concert de la Philharmonie de Paris. Mais ce sont désormais deux histoires différentes.
Le temps joue aujourd’hui en sa faveur. Elle a depuis gagné le concours Opération Paris Pyrénées pour la RATP et Icade Tertial (45.000m², 70 M€ de budget) et un programme de logements étudiants, également à Paris. Sur quatre concours, elle en gagne trois, dont un avec AJN. Puis encore un avec lui, la Philharmonie de Paris.
Elle avoue avoir du mal à structurer son agence. “J’ai un peu changé de métier, la partie administrative est la plus difficile. Mais je suis très contente de mener ma barque, d’être autonome, d’avoir les cartes en main, d’être maître à bord“, dit-elle. Sans doute le vocabulaire nautique n’est-il pas le plus adapté, sauf, puisqu’on en revient à ces retours cycliques à ses points de départ, à estimer qu’elle fait des ronds dans l’eau.
Le vocabulaire d’aéronautique spatiale paraît plus adapté. Car ne s’agit-il pas ici plutôt d’assistance gravitationnelle, soit la capacité à utiliser les autres planètes pour accélérer ? En effet, on le sait, des sondes interplanétaires utilisent l’influence gravitationnelle des planètes pour augmenter considérablement leur vitesse. C’est ainsi que ces vaisseaux high tech doivent revenir à proximité de leur base de lancement, la terre, pour prendre un élan fabuleux et, peut-être, atteindre des planètes lointaines.
Les bâtiments de Dole et Besançon ne sont donc pas ceux d’une renaissance ni même d’un retour aux sources mais les éclats d’une formidable accélération après une ellipse de 17 ans. Si les derniers concours gagnés depuis par Brigitte Métra sont une quelconque indication, la dynamique acquise lors de cette dernière ‘assistance gravitationnelle’ devrait la porter loin. Jusqu’où ? “Je n’en sais rien, l’avenir et les ‘coïncidences de la vie’ nous le diront“, conclut-elle.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 3 octobre 2007