En architecture comme en sport, on ne retient que le nom des gagnants, pas celui des finalistes malheureux. Pour la construction par exemple de l’université de Chicago* dans le XIIIe arrondissement de Paris, dans le secteur Massena, un concours gagné en décembre 2018 par l’Américaine Jeanne Gang, qui se souvient de l’autre projet en finale ?
Il s’agit en l’occurrence d’un projet conçu par les agences parisiennes Périphériques Marin + Trottin et Philéas et porté par le groupe immobilier QUARTUS. Il n’est pas question ici de refaire le match, encore moins de comparer les mérites respectifs des deux projets, mais, puisque ceux de l’équipe Gang sont connus, de comprendre quels éléments ont permis à un projet intitulé Maison/Construire (M/C) d’atteindre la finale.
L’idée principale qui sous-tend ce projet est «centrée sur la volonté de mettre en place une intégration transversale des compétences qui sont liées à l’architecture», expliquent Julien Zanassi, associé Philéas, et David Trottin de Périphériques.
Ainsi, pour ce qui concerne l’îlot M9A du concours, M/C répondait évidemment au programme mixte demandé et regroupait les locaux de l’Université de Chicago, des logements (92) et l’entrée du RER C. Surtout il proposait à rez-de-chaussée du bâtiment un «équipement hybride de commerces, de recherches et d’innovations». Un quoi ?
L’explication est à chercher dans le constat des auteurs, établi depuis plusieurs années déjà, que les échanges interprofessionnels entre acteurs de la construction se diversifient et s’intensifient avec les mutations actuelles de la fabrique de la ville : révolution du numérique, développement de nouveaux modèles économiques, innovations sociales, synergies collectives autour des projets, innovations environnementales, etc… Tandis que le secteur de la construction est en pleine émulation, le métier d’architecte, comme d’autres savoir-faire, est pourtant de plus en plus fractionné en prestations différenciées d’où disparaît la cohérence globale.
«Les échanges entre professionnels de la construction ont besoin de trouver un nouvel espace d’expression, dynamique et transversal, afin de pouvoir mener des recherches et innover, échanger et évoluer, expliquer et partager», disent-ils. C’est en recherchant la traduction architecturale d’un tel espace d’expression s’adressant à tous les acteurs de la construction qu’est né en 2017 le concept de Maison/Construire.
«En complément des institutions et espaces dédiés à l’architecture qui ont des missions spécifiques, nous imaginons un autre type d’espace de prise de parole, d’actions et de communication autour de l’architecture, une nouvelle façon de la vivre, de la raconter. Un lieu pédagogue, acteur et ouvert qui puisse la ramener à son essence scientifique dans un esprit constructif, didactique et pédagogique. Cet espace (géographique, temporel, économique) s’adresse tout autant au monde de l’architecture qu’à ceux qui la construisent, l’habitent et la font vivre quotidiennement, le grand public», expliquent Julien Zanassi et David Trottin.
Concrètement les concepteurs imaginent par exemple dédier une partie du bâtiment, voire un morceau de façade, à la formation aux métiers de la construction, qu’il s’agisse de former à l’architecture les professionnels du bâtiment ou de former à la construction de jeunes architectes dans une logique d’échanges. «M/C veut donner aux jeunes en formation l’envie de reconquérir les métiers du bâtiment de manière positive et créative comme ce fut le cas pour les métiers de la cuisine», souligne Julien Zanassi. Des cours d’architecture et de construction comme des cours de cuisine ?
En tout cas, Julien Zanassi et David Trottin se verraient bien d’offrir là un accès du public aux architectes, «sur le modèle des avocats commis d’office», pour donner conseil à toutes questions relatives à l’architecture et orienter les gens dans la bonne direction, les faire participer à l’architecture. «L’espace ne sera pas qu’un lieu d’expérimentation architecturale et technique mais également un lieu d’évènement», disent-ils.
Selon eux, un programme de logements et/ou bureaux et/ou commerces, si possible en relation avec l’objet de l’immeuble – résidence étudiante, écoles de formation, agences d’architectures, BET, start-ups, ateliers, fablabs, voire un FaçadeLab, etc. -, pouvait financer ce lieu ouvert «à la réflexion sur la fabrique de la ville». Un grand bâtiment de coworking ciblé autour de l’architecture en somme. «M/C est un programme ‘en plus’ qui ne bouleverse pas pour autant le programme initial, bien au contraire», soutient David Trottin.
Sur le fond, les architectes imaginent qu’un tel immeuble, toujours différent par essence, pourrait être conçu dans n’importe quel nouveau quartier, dans n’importe quelle ville, avec toujours une vocation locale et pérenne de formation, d’exposition et d’expérimentation. Ne serait-ce d’ailleurs que pour disposer d’un lieu où former les techniciens qui feront fonctionner les immeubles de demain. «Si on donne une voiture d’aujourd’hui à un type des années 30, il ne sait pas comment faire marcher la clim», relève David Trottin à juste titre. Les architectes du projet se définissent d’ailleurs comme des «fabcilitateurs».
Montrer ‘comment ça marche’, mettre en exergue l’excellence des différents acteurs tout en soulignant concrètement le haut niveau et la sophistication de la construction et de l’architecture d’aujourd’hui, très bien, pourquoi pas. Ne restait plus qu’à trouver un investisseur et passer aux travaux pratiques.
C’est là où l’histoire devient intéressante car si le projet a fini par atteindre la finale du concours de la SEMAPA pour l’université de Chicago à Paris, c’est qu’un investisseur, Quartus, s’est intéressé au concept de cet équipement hybride et a calculé pouvoir le financer malgré un modèle de dimension philanthropique basé sur l’expérience associative.
Lequel concept a évidemment évolué lors du concours en regard du contexte parisien mais l’idée de base était bien présente dans le projet présenté. «L’équipement hybride de commerces, de recherches et d’innovations» indiqué dans les intentions et cité plus haut n’étaient donc pas lubies d’architectes. «Notre proposition était d’abord l’expression d’une démarche active, un immeuble d’architectures et non d’architectes», conclut David Trottin.
Il aurait sans doute été intéressant de voir se développer un tel projet, de voir le concept évoluer à l’épreuve de la réalité mais l’idée d’un immeuble qui serait en lui-même un démonstrateur ouvert d’expérimentations architecturales et techniques toujours renouvelées, car faisant partie de son fonctionnement, demeure séduisante.
Toujours est-il que, ainsi qu’en témoigne le projet M/C, l’espoir est permis pour les architectes ayant la volonté de préfigurer et animer l’architecture de s’autoriser quelques risques. Au moins jusqu’en finale.
Christophe Leray
* Voir notre article Le dessous des images : la perspective de Jeanne Hidalgo