Il y a débat à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) entre les pros et les antis du projet de Rudy Ricciotti et LBA, soit la construction d’un hôtel 4* suspendu à un exosquelette au-dessus de la Maison du peuple de Beaudouin et Lods.
La difficulté, quand l’émotion l’emporte sur la raison, est de savoir exactement de quoi il s’agit. Afin donc que chacun puisse se faire son opinion, et puisque la Maison du peuple est réputée connue, voici le projet tel qu’il fut présenté à la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Ile de France (DRAC) le 17 janvier 2019. Laudateurs et critiques ne pourront plus dire qu’ils ne savaient pas.
Ensemble, la Maison du peuple
Par Rudy Ricciotti, Laurent Becker (LBA), Holzweg ainsi que Jacques Moulin (ACMH)
Sur l’écriture architecturale
La tour de la MDP devrait pouvoir s’enorgueillir de fédérer, de faire venir à elle tous les publics, toutes les générations et toutes les sensibilités, attitude pour le moins ambitieuse, courant le risque de la schizophrénie.
Cependant, si l’on considère que l’audace n’est pas une vertu bâtarde et sans espoir, il convient d’être optimiste sur les chances de succès d’un tel bâtiment, si l’on consent à effectuer un choix fondamental qui peut fabriquer du sens et peut-être, une fascination : déplacer le champ de l’architecture vers celui de la sculpture et de l’énigme.
Si cette stratégie fonctionne, alors, cette tour aura des chances de succès pour une raison simple : elle sera perçue comme étant amicale et familière car située en dehors du champ et des signes classiques de l’architecture contemporaine ordinaire, aujourd’hui symbole élitiste d’un pouvoir et d’un raisonnement éloigné dont doutent ceux qui en sont écartés.
Pour cela le projet de tour présenté ici est un monolithe énigmatique et diaphane, en sentinelle au-dessus de la Maison du Peuple de Clichy. Il s’agit d’une tour minérale d’environ quatre-vingts mètres de haut, composée d’un exosquelette en béton fibré ultra-performant (bfup) blanc qui enveloppe un parallélépipède vitré aux bords arrondis de la même hauteur.
Tel une œuvre d’Arte Povera, le dessin tridimensionnel de cette membrane en béton fibré laissera libre le visiteur de s’en approprier l’interprétation. C’est un voyage mental offert au flâneur qui pourra librement y voir la topographie de la surface de l’eau, une cascade de cheveux tressés ou encore des lianes pétrifiés suspendues dans le ciel.
Sur le choix des matériaux
L’architecture de notre tour pourrait se résumer sous deux thématiques de matériaux : du béton, et du verre. Ce choix limité est de nature à renforcer la puissance du bâtiment en évitant la dispersion par la prolifération des matériaux : il s’agit d’un projet qui utilise peu, qui n’est pas dans le consumérisme architectural, ou la propagande formelle et qui, de ce fait, traversera le temps sereinement.
Les choix des matériaux et des techniques s’attachent à envisager la durabilité, la permanence et la facilité d’entretien et de maintenance (pas de bardages fragiles en cassettes, ni de vêtures agrafées).
Ce projet possède donc des vertus essentielles pour exister dignement dans son époque :
– il affiche haut les couleurs d’une architecture patriote qui, par des choix constructifs affirmés et non délocalisables, privilégie l’emploi local ;
– il repousse au loin le consumérisme technico-matériologique et refuse la cosmétique architecturale du bardage, de la vêture et du capot qui sont autant de stigmates qui la condamneraient au ridicule à l’échelle de l’Histoire.
Superstructures
La proposition architecturale et technique est guidée par un principe d’optimisation des ouvrages de structures et leur mutualisation avec les ouvrages d’enveloppe :
– la structure intérieure est minimale, simple et donc entièrement dédiée à l’augmentation des surfaces disponibles et leur liberté d’aménagement ;
– la structure extérieure, l’exosquelette, est quant à elle plus présente, plus sophistiquée. Elle vient soulager les ouvrages intérieurs tout en participant pleinement de la conception bioclimatique de la tour.
Un gain de surfaces commercialisables sur chaque niveau
Les noyaux de circulation et les structures intérieures sont géométriquement réduits car largement soulagés par la présence très efficace de l’exostructure.
Cette tresse extérieure en béton à hautes et ultra-hautes performances assure la reprise des charges pesantes et des effets dynamiques du vent, jusqu’au niveau de transfert.
Elle agit ainsi comme un noyau extérieur de contreventement dont l’effet de levier démultiplié permet de faire transiter beaucoup moins d’efforts dans les deux noyaux de distribution.
Les dimensions des noyaux (emprise, épaisseur) sont donc réduites pendant que les surfaces de planchers utilisables seront plus importantes.
Les études avant-projet auront pour objectif principal la diminution de l’emprise du noyau central et, d’une manière générale, l’optimisation de toutes structures intérieures, de manière à libérer les espaces commercialisables.
Des références d’ouvrages de ce type sont toutes des tours remarquables : le John Hancock Center à Chicago, la Tour Agbar de Jean Nouvel à Barcelone, la Hearst Tower de Foster à New York.
Structures de planchers
Nous proposons de réaliser ces ouvrages de la façon la plus économique possible : ossature métallique portant des planchers bacs acier + dalle béton (plancher dit en bacs collaborants). Cette technique nécessite des travaux en second œuvre (flocage, encoffrement pour la stabilité au feu notamment), mais offre une rapidité de construction décisive en termes d’économie.
La réduction des coûts en façade en mutualisant les gestes constructifs tout en proposant une conception bioclimatique efficace.
La tresse extérieure, réalisée en BHP ou BFUP, est à la fois un ouvrage de superstructures et un système de façade. En effet, les filaires aléatoires en BFUP sont positionnés à l’extérieur de la façade vitrée. Ils agissent donc comme une protection solaire naturelle, de même que les coursives d’entretien extérieur.
Cette protection permet principalement une régulation très efficace des apports solaires, ce qui optimise les contraintes de dimensionnement thermique des murs rideaux et donc leur coût.
Parallèlement, l’enveloppe extérieure permet également de jouer un rôle décisif dans la gestion du confort lumineux (facteur lumière du jour).
Dans ces conditions, il est proposé à l’équipe de mener, pendant les études d’avant-projet et de projet, des analyses couplant les études thermiques et solaires (type Héliodon) et les études structurelles (type modèles éléments finis).
La modulation des structures de façade en fonction des expositions aux rayonnements solaires et des évolutions potentielles du programme. Les études d’avant-projet vont permettre d’optimiser l’interaction entre la structure et le fonctionnement bioclimatique de la Tour.
Les façades seront donc toutes différentes, enrichissant le vocabulaire architectural, tout en permettant de respecter des principes naturels de conception :
– densification de la tresse extérieure pour les façades plus exposées au rayonnement solaire ;
– allègement pour les façades en lumière indirecte pour le confort d’usage, modulation de la rythmique des poteaux ;
– réduction de leur diamètre en montant dans les étages ;
– adaptation et variations du rapport vide/plein au niveau des planchers ou à mi-hauteur, etc…
Les allèges et coursives d’entretien extérieures seront réalisées en BFUP, permettant d’assurer le C+D, essentiel dans la sécurité incendie de la tour (à l’instar de la Tour La Marseillaise de Jean Nouvel)
Ce choix permet également d’envisager une réduction considérable des besoins de maintenance, tout en conservant une écriture architectonique de qualité.
Rudy Ricciotti, Laurent Becker (LBA), Holzweg