Le 23 décembre 2021 était délivré le permis de démolir de l’ancien siège de l’Insee, à Malakoff (Hauts-de-Seine). À l’heure où il est question de la réutilisation de nos bâtiments iconiques, d’aucuns crient au sacrilège.
Depuis quelques années maintenant et la prise de conscience de l’empreinte carbone de nos constructions sur l’avenir de nos ressources naturelles, les pouvoirs publics chantent à tout va que la norme est désormais à la réutilisation, la fameuse réhab si peu sexy des années 2000 devenant ainsi acte politique de recyclage urbain.
À l’aune des restructurations environnementalement exemplaires de l’ancien siège de Peugeot, avenue de la Grande Armée par Baumschlager Erbele ou de la Tour Montparnasse par le collectif Nouvelle AOM et de leurs discours tous très orientés développement durable et résilience urbaine, pas d’inquiétude quant au fait que la ville de Paris et a minima ses communes limitrophes se montrent promptes à conserver leurs bâtiments iconiques.
Même au-delà du périphérique, des tours pas si neuves se sentaient ainsi à l’abri de l’implosion. La tour Pleyel est d’ailleurs toujours en plein chantier de mutation en hôtel 4* sous les plans des architectes de Sretchko Markovic. Avec le lifting, la grand-mère de Saint-Denis s’offrira même le luxe d’un nouveau nom, Maestro. C’est que la réhabilitation, même complexe et coûteuse, est possible et créatrice de valeur, pour des ambitions publiques comme privées.
Alors que se passe-t-il à Malakoff, le long du périphérique pour que le fameux Tripode, et son R+13 d’environ 48 mètres de haut, conçu dans les années ‘70 et œuvre des architectes Lana et Honneger soit ainsi démoli, faisant fi de l’investissement initial et futur et surtout de l’avenir de la planète ? Pas de réponse cosmétique pour cette construction qui a autant de fans que de détracteurs. Un tel acte n’est-il pas au demeurant un non-sens patrimonial, architectural et écologique ?
En ces temps électoraux, des architectes et maîtres d’ouvrage commencent doucement à s’agiter. Comment se fait-il que le propret discours parisien, lequel permet à des agences notoires de s’offrir de belles vitrines, ne transpire pas à Malakoff ? Le Tripode est pourtant bien ancré dans une entrée de ville dont il est urgent de retravailler l’image et la fonctionnalité mais urbanistes, programmistes et architectes ne sauraient pas faire avec le déjà-là ?
D’autant que ce bâtiment semble disposer en ses murs de quelques belles qualités mises en avant par les adresses candidates à la réhabilitation : ancien bâtiment tertiaire avec plateaux libres et traversants, structure robuste et apparemment bien entretenue, circulations verticales centrales lisibles, possibilité de réutiliser la toiture pour l’agrémenter de tout le toutim des modeux type Rooftop et autre agriculture urbaine. De quoi entrer avec vigueur dans le XXIe siècle en conservant un peu de ce qui reste de ce patrimoine de la seconde moitié du siècle dernier.
Pour lui éviter une démolition, faut-il pour autant nécessairement protéger le Tripode de Malakoff comme la Tour Lopez ou la tour Totem d’Andrault et Parrat ?
Rembobinons une aventure qui pourrait susciter les amitiés d’Ubu. En 2015, l’Insee quitte le site. L’Etat, propriétaire, souhaite vendre bâtiment et parcelle. La ville lance des études en complicité avec les élus parisiens pour redessiner la porosité entre les deux villes. « Nous avons saisi cette opportunité pour redessiner notre entrée de ville. L’idée avouée, libérer de l’espace au sol en travaillant une zone urbaine complexe », indique Marc Choukour, responsable de l’aménagement du territoire et du développement économique à Malakoff *.
Mais en 2018, coup de tonnerre ! L’Etat ne vend plus au prétexte de regrouper en un même lieu plusieurs services ministériels, soit 1 800 agents venus d’antennes intra-muros dont le foncier représentait une belle plus-value à la revente. En 2020, un avis de pré-information paraît sur les marchés publics pour la conception, réalisation et maintenance (CRÈME) d’un bâtiment de 36 000 m², de la même hauteur que le Tripode, privilégiant une emprise de barre**. La modernité façon 30 Glorieuses en 2020, pour la modique somme de 160 millions d’euros tout de même.
Bien sûr, rien n’est jamais bien rose au pays du vieux béton et la communauté du BTP pourrait lancer les bookmakers du coin sur les tonnes d’amiante dont doivent être pourvus les locaux, et sur le coût, et la technicité de la dépollution associée ! Suffisant pour trucider un second Tripode (après celui de Nantes) ?
Rien n’est moins sûr puisque le désamiantage reste à l’ordre du jour, même pour une démolition. Ce qui pose toujours la légitimité de l’opération tant l’amiante est souvent l’argument facile pour justifier une destruction. Pourtant, Jussieu fut un succès, la Tour Montparnasse s’annonce déjà une vitrine d’un savoir-faire exemplaire, sans compter d’autres projets en région dont la récente réhabilitation de la Tour Silex2 à Lyon. Ce sont les contraintes comme l’amiante, les hauteurs sous plafonds hors normes actuelles ou des façades Pailleron difficiles à faire évoluer qui génèrent aussi de réelles solutions innovantes comme l’a prouvé la réhabilitation de l’ancien siège d’EDF, près du parc Monceau à Paris.
Au-delà du manque de visibilité des projets publics à long terme, de la logique comptable qui gouverne les projets étatiques et de la paresse intellectuelle qui embrume la réflexion générale, c’est ici la pertinence environnementale de la volonté politique qui perturbe. Détruire des dizaines de tonnes de béton et d’acier pour en mettre en œuvre bien davantage pour concevoir la même tour peu ou prou, est-ce bien raisonnable, intelligent et ambitieux au regard des défis environnementaux du siècle ?
Sur quoi sont fondés les discours politiques s’ils ne sont pas suivis de faits ? Investisseurs, architectes et citoyens semblent au demeurant accueillir les actes de réhabilitation de façon plutôt heureuse, quand bien même la réhabilitation leur a été imposée par ces mêmes politiques. Faites ce que je dis et pas ce que je fais ?
Dans un post LinkedIn du 5 mars dernier, Thierry Lajoie, ancien aménageur passé du côté obscur de la force chez le promoteur Quartus, pose ainsi la question. « Ce type de démarche est-elle de nature à conforter le lien de confiance pourtant indispensable entre la société (les citoyens, les entreprises, les associations…) et les autorités publiques (le gouvernement, les élus, les représentants…), dont la dissolution est un des soucis de l’époque ? »
La dissolution du Tripode, icône architecturale et symbole politique, par exemple ?
Alice Delaleu
* Adélaïde Ténaglia, Les Echos du 12 novembre 2021 « A Malakoff, le projet de ministère des Affaires sociales soumis au débat public » **Lire notre article Quand l’Etat dilapide le patrimoine familial, l’électeur regarde les pots de fleurs