L’exception culturelle française ? Les exceptions plutôt. Dans le pessimisme très fin de siècle, ambiant à Paris – et Paris c’est la France -, l’étranger, fut-il architecte, s’étonne. Certes, nul ne recommandera la France ni pour ses toilettes ni pour sa fraternité. Si l’égalité n’est pas mieux partagée qu’ailleurs, la liberté y est plus conviviale qu’il n’y paraît. Les cafés, les femmes, les vacances, par exemple. Malraux plutôt que JFK.
La France vit aujourd’hui une crise à la fois politique, économique et sociale. Les médias en parlent tous les jours et les gens sont dans la rue. Ils se plaignent et pointent les autres du doigt. Les banques, les riches, les politiques, l’Europe, la mondialisation, etc. Bref, tout est de la faute des autres et, surtout, du président de la République.
Une observation : ok, pourquoi n’y a-t-il personne parmi ces citoyens qui se demande, en tant que Français, ce qu’il pourrait contribuer à son pays pour l’aider de sortir de la crise plutôt que de geindre quant à ce que son pays devrait faire pour lui ?
En 1997 par exemple, les Coréens du sud se sont spontanément mobilisés pour un mouvement de collecte de l’or afin de participer à réduire la dette de leur pays. Ailleurs des gens passent volontairement le balai sur les trottoirs devant leur maison ou boutique pour participer à la propreté de leur ville.
La réponse est parce qu’ils sont Français. Oui, Français. Ils ne sourient pas de peur d’être considérés comme un imbécile ou un hypocrite. Ils ont toujours un mot à dire quel que soit le sujet. Ils pensent que si les autres ont un mode de vie, eux ont un art de vivre. Ils font semblant de ne pas se soucier de l’argent même quand ils en ont des tonnes et ceux qui n’en ont pas disent que ce n’est pas ça qui compte, surtout avec des services publics.
Ils sont les enfants de «la Grande Nation qui s’imposait d’elle-même dans le monde sans autre artifice que le rayonnement de son esprit, sa raison et ses principes». Contre «le monde extérieur d’aujourd’hui qui a changé à tort le paradigme», ils sont très attachés à ce qu’ils sont pour sauvegarder leur culture. Astérix !
Les étrangers vivant en France se demandent parfois si les Français sont «normaux». C’est comme ça, dit-on. De fait, les fameuses exceptions françaises se trouvent dans toutes les dimensions du pays et donc, au quotidien, dans son paysage urbain.
Les Cafés
Les Français doivent être les champions du monde au nombre de cafés par habitant. Ils en ont une conception de l’espace bien particulière. Dans les autres pays, les tables sont largement espacées pour assurer le périmètre intime et la tranquillité des clients. En France, les tables sont tellement proches que les voisins s’entendent et s’invitent volontairement dans les conversations. Les gens sont là pour échanger les idées comme un sport national et les cafés sont de véritables pièces de fonction sociale. Les terrasses de café sont carrément sur le trottoir avec des gens assis serrés, des pigeons et des mégots par terre. Espaces publics, espaces privés, tous rouspètent et se sentent bien.
Affiches de femmes nues
Rues, stations de métro, arrêts de bus, partout, des images de femmes aux fesses et seins nus sont présentes (de moins en moins d’ailleurs comme la pipe de Jacques Tati et la clope de Gainsbourg) dans les espaces publics : cela ne concerne pas seulement des affiches publicitaires de lingerie ou de parfum mais aussi des affiches de campagnes aux causes diverses. Même Marianne, symbole national de la République française dans le tableau de Delacroix, a les seins à l’air. Contrairement à d’autres pays, le corps dénudé féminin est, en France, admiré. Le regard n’est pas considéré comme une grossièreté mais comme hommage à la beauté du corps et son pouvoir de séduction.
Villes fantômes en août
Au mois d’août chaque année, les villes françaises changent. Tout à coup, tous les volets sont fermés et il n’y a plus d’embouteillage, sauf sur la côte. Les trottoirs vides sont seulement animés de petites notes collées sur les vitrines de commerces fermées : congé annuel. Le pays entier est en pleine léthargie pendant ce rituel estival sacré des Français. Il faut prier de n’avoir pas une fuite d’eau à ce moment là, le plombier est parti en vacances. En ces temps de crise, cette habitude des Français aurait pu changer mais non. Le désir de partir est plus fort que tout.
Bref, y a-t-il des exceptions françaises en matière d’architecture contemporaine ?
Voyons. Mauvaises finitions ? Trop de réglementations inutiles empêchant les nouvelles approches de conception et de mise en œuvre ? Zones périurbaines remplies de non-architecture ? Barres et tours stigmatisées ?…
Bon, trop de caricatures tuent la caricature.
Comme aux Canadiens, rire de soi-même fait du bien.
Hyojin Byun
Le blog de Hyojin Byun
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 27 novembre 2013