Le mercredi 30 octobre 2024, l’architecte, designer et photographe Marc Held tenait conférence à l’Académie du Climat à Paris à l’occasion de la sortie de son ouvrage* dédié à l’école du Centre de la terre à Samba Dia au Sénégal, une maternelle de trois classes construite par ses soins en briques de terre. Une aventure architecturale, sociale et humaine s’il en est une. Rencontre.
Pour ceux qui comme moi ne connaissaient pas Marc Held avant cette occasion, sa fiche Wikipedia est complète et permet d’éviter ici le bavardage. Disons quand même que fils de réfugiés juifs hongrois, son père dans le maquis, il devient, à 11 ans, le facteur de la Résistance, portant les plis entre les différents camps de maquisards. Il sera décoré pour avoir été le plus jeune résistant de France. À 92 ans, ses valeurs sont inchangées.
L’école de Samba Dia, au Sénégal, donc, une école maternelle de trois classes construite en terre avec les artisans locaux. Une réussite aussi merveilleuse qu’improbable et objet de la conférence et de cet excellent livre.
Certes, le travail de Marc Held coche toutes les cases de l’écologie non punitive : il a construit une superbe école pour un coût dérisoire – 150 000 €, une somme issue de dons bienveillants mais qu’il a fallu réunir – surtout comparé au coût d’une école équivalente en France. Et même en ce cas, le coût de l’école de Samba Dia n’est pas un coût réel puisque l’ouvrage est né du désir et de l’ardeur de nombre de bénévoles étudiants en architecture, l’architecte lui-même plus versé de poésie que d’honoraires. Et comment évaluer les bénéfices culturels et sociaux d’un tel ouvrage ? « L’architecture et des prestations de haut niveau, c’est aussi faire preuve d’exemplarité. Les utilisateurs sont dans l’admiration éperdue, le cadre est luxueux, il y a des toilettes pour les gosses… », dit-il.
Avec cette école maternelle, comme Francis Kéré et Gilles Perraudin avant lui, Marc Held fait à nouveau la démonstration qu’un tel ouvrage immensément confortable, voire luxueux, peut être réalisé avec main-d’œuvre et matériaux locaux. Du travail pour des artisans désœuvrés, une école pour l’éducation des garçons et des filles, la terre pour les briques et le soleil pour les sécher quasi gratuits… La question est donc : comment se fait-il que malgré toutes ces vertus, ce type de construction, depuis la première école de Kéré, et celle-là commence à dater, aucune filière ne se soit mise en place pour développer l’architecture de terre ? Pourquoi l’Afrique ne se couvre-t-elle pas de tels ouvrages, écoles, bâtiments publics et de logements – surtout de logements quand ceux-ci consistent pour une grande majorité de la population en cahutes de parpaings couvertes d’un toit de tôle ?
Certes, le Grand Paris Express est tout pareil passé à côté de l’opportunité de créer une industrie locale le long des voies mais, à l’heure où la question de l’immigration pour nous, l’émigration pour eux, est d’une actualité impérieuse pour nos sociétés, ne serait-il pas pertinent d’entretenir un cercle vertueux d’investissement local basé sur les ressources disponibles plutôt que pour les jeunes du coin d’espérer un avenir incertain dans un pays froid et pas accueillant ? Pourquoi l’école de Marc Held fait-elle encore exception ?
Nous avons retrouvé l’homme des arts quelques jours plus tard, dans une charmante pension de famille du Ve arrondissement de Paris pour lui poser la question ; pourquoi ces méthodes, ayant pourtant fait la démonstration de leur pertinence et de leur efficacité, ne font-elles pas école ?
L’architecte n’a pas attendu le journaliste pour y réfléchir et a identifié plusieurs freins, chacun d’eux quasi rédhibitoire.
Le premier est l’image du matériau devenue péjorative, l’architecture de terre perçue comme étant celle des gens pauvres, les techniques traditionnelles apparaissant alors méprisables. « Le modèle rejeté est remplacé par celui de la modernité, qui est celui des maisons des riches expats. Idem en Grèce [où Marc Held vit depuis 40 ans] où construire en pierre était devenu un truc de vieux. On admire l’expat qui a réussi et son modèle suburbain importé devient un signe social et ajoute à la réticence vis-à-vis des techniques et matériaux ancestraux », souligne Marc Held.
« Au premier chef, il y a la sémiologie du bâtiment qui apparaît riche ou pauvre, et cette image est plus déterminante que les avantages objectifs de confort. Les gens qui ont visité l’école ont bien abordé la question de la fraîcheur, de la ventilation, etc. mais le confort vient en second, après l’image. Il faut alors compter sur l’expérience vécue, que les gens se rendent compte qu’il fait frais sans climatisation, mais il faut du temps pour que cette expérience vécue se diffuse dans la population », dit-il.
À Imaginer que les gens soient convaincus, le second frein est la formation. Comment réalise-t-on un tel ouvrage ? À ce titre, l’école Samba Dia fait à nouveau montre d’exemplarité : il n’y a pas de béton et ça tient ! Pour autant, il a fallu expliquer la voûte nubienne, la différence entre les différents usages de la terre et les qualités de la chaux.
Vient ensuite le problème de l’outillage, qui est une autre façon d’aborder la notion économique du projet. « Fabriquer les briques par exemple, une famille peut le faire à mains nues mais c’est long alors qu’il suffit d’une presse, laquelle coûte entre 400 et 500 euros, pour rendre la production efficace. Il s’agit toutefois d’une somme immense quand on vit dans un état de total dépouillement », souligne l’architecte. Un dénuement subi quand ces populations sont passées d’une société de subsistance à une société d’agriculture intensive, l’arachide par exemple, qui demande beaucoup moins de main-d’œuvre. « Quand l’autonomie alimentaire n’est pas assurée, acheter ou louer une presse n’est pas à l’ordre du jour. Ce d’autant plus que nous ne pouvons pas affirmer qu’une construction en terre est moins onéreuse que la construction en parpaings. Au-delà de son image sociale, si on construit en terre trois fois plus cher qu’avec des parpaings, c’est impossible quand il n’y a pas d’argent », résume Marc Held.
Justement, pour parvenir à des prix compétitifs, ne faut-il pas une filière pour alimenter la demande ? « L’architecte de campagne », pour citer Gilles Perraudin, rapporte cette anecdote. « Il y a une école d’architecture à Dakar, un enseignant vient visiter l’école de Samba Dia avec une cinquantaine d’étudiants : ils visitent les lieux, il y a un dialogue mais ils n’écoutent rien parce qu’ils sont fascinés par la société de haute technologie ; l’architecture en terre, si elle impressionne les intellectuels et les partisans du retour aux racines, n’est pas pour ces jeunes gens un modèle de richesse », raconte-t-il.
De fait, il est paradoxal de retrouver dans un même mouvement la fascination de la technologie et le rejet du monde occidental. « Il faut dépasser le stade de la fascination ; des gens qui ont fait des études supérieures et n’ont pas besoin de faire montre de leur réussite sociale commencent à construire des maisons en terre. Les riches aussi peuvent montrer l’exemple », relève l’architecte, pour toujours optimiste. Il est tout aussi paradoxal que cette école, riche pour les pauvres selon la volonté de son architecte, soit perçue comme pauvre par les riches…
Pour finir, de comprendre à demi-mot que cette question d’une industrie basée sur un nouveau paradigme constructif suggère que, là-bas comme ici, les mêmes logiques et réticences liées aux intérêts privés sont à l’œuvre, l’industrie cimentière n’étant pas moins puissante en Afrique qu’en Europe.
Bref, voilà une école maternelle, un ouvrage dédié à l’éducation des garçons et des filles dans un pays où les besoins sont immenses, qui, malgré la fierté de tous ses acteurs, est destinée à demeurer un ovni architectural. À l’heure où les capitales africaines se couvrent de tours climatisées et d’aéroports tous plus grands les uns que les autres, l’école en terre de Samba Dia semble, en effet, une figure anachronique.
Il suffit pour s’en persuader de comparer le coût d’une presse – entre 400 et 500 euros pièce donc – pour fabriquer des briques destinées à construire des écoles, au coût, faute d’une quelconque perspective chez soi, d’un passage éminemment dangereux vers l’Europe.
Il faudrait pourtant que quelqu’un, quelque part, qui s’inquiète de l’émigration, s’adresse enfin aux architectes. « Il y a un tel besoin d’architecture éthique, un besoin immense, même en France », assure Marc Held, avant de conclure, amusé : « pour faire basculer l’opinion, il faut aussi que les gens parlent de ce projet, pas pour des raisons esthétiques ou de confort, mais parce qu’on en a parlé ».
Dont acte.
Christophe Leray
*Éditeur : Éditions Norma ; SAMBA DIA, l’école du Centre de la Terre, par Marc Held ; 80 pages ; Format : 20.5 x 25 cm ; Prix : 19 €
Découvrir la présentation du livre au sein de la sélection Livres d’octobre 2024 – Mémoire d’escalier, de Paul Chemetov et de Samba Dia