L’exposition Métro ! Le Grand Paris en mouvement, à la Cité de l’architecture à Paris (jusqu’au 2 juin 2024) est positivement formidable et les petits et les grands la trouveront fort sympathique et engageante. Séquence Nostalgie, séquence Cinéma, séquence Histoire, entre autres, s’enchaînent et que d’aucuns se rassurent, aucun sujet clivant n’y est abordé. Visite guidée avec Tintin reporter infiltré.
Prélude
L’Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation (INSPE) accueille les étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation. Dans le cadre de son offre culturelle, chaque étudiant doit obligatoirement participer, gratuitement, à un évènement culturel parmi ceux proposés par l’école. Ils sont 14 étudiants, sur plus de 1 200, à avoir choisi la visite guidée de l’exposition Métro ! Le grand Paris en mouvement à la Cité de l’architecture. Parmi ceux-là, presque toutes les matières de l’éducation scolaire, des mathématiques au sport en passant par le chinois et l’espagnol, sont représentées. Question de goût, d’évidence !
Une visite est donc organisée. La date : 18 janvier 2023, une journée qui se révèle aux températures négatives, il y a même de la neige, ce qui à Paris devient aussi rare que l’air pur. L’adresse communiquée aux étudiants, et à la personne de l’INSPE chargée de l’appel, est celle de l’entrée pour les groupes, au 45 avenue du président Wilson et ne correspond qu’à une porte dérobée, quasi invisible pour qui ne la connaît pas. Le réflexe des nouveaux venus à la Cité est alors, naturellement, de se rendre au monumental accueil place du Trocadéro, identifiable de loin, surtout dans le noir.
Surprise, la visite n’est apparemment pas notée dans le planning et il faut aux premiers arrivés montrer la convocation sur leur téléphone pour convaincre l’hôtesse d’accueil qu’ils ne descendent pas de la planète Zorg. Après quelques appels en interne, plutôt que de les inviter à attendre au chaud dans le hall que le quiproquo soit dénoué, les étudiants sont purement et simplement renvoyés dans le froid polaire, où ils se retrouvent devant la porte barricadée du 45 avenue du Président Wilson où personne ne les attend.
Ces étudiants avaient le choix ultime de multiples activités, ils représentent 1% des futurs profs à s’intéresser à l’architecture et il leur faut attendre dans le froid de très longues minutes que la porte soit débarricadée et que le gardien et une fonctionnaire consentent à les laisser entrer pour attendre au chaud relatif d’un espace accueillant comme un musée soviétique !
Il y a parmi les étudiants des retardataires, qui ont tous fait le détour par l’accueil, et cela tombe bien parce que le ou la guide pour la visite n’est finalement pas dans les murs et sera bientôt, après une nouvelle attente, remplacée au pied levé par une autre fonctionnaire de la Cité qui compensera par son enthousiasme le fait de rentrer plus tard chez elle ce jour-là. Un tel accueil à la française en guise de tapis rouge pour les fans témoigne d’une organisation que le monde entier nous enviera lors des Jeux Olympiques, première étape du Grand Paris Express justement.
Place à la visite
La première partie de l’exposition est une longue séquence nostalgie finalement assez éloignée de l’architecture puisqu’il est surtout question de réseaux et d’ingénierie. Ce dont témoigne d’ailleurs l’imposante roue du tunnelier Dorine exposée sur la place du Trocadéro. C’est l’occasion de bien comprendre la différence entre la méthode du bouclier pour creuser les tunnels adoptée par les Anglais à Londres et la méthode finalement adoptée à Paris, celle de la voûte et de l’extraction des terres à dos d’hommes.
Parmi les artefacts de la séquence mémorielle, cet ancien pupitre qui, bien avant l’intelligence artificielle, permettait d’indiquer comment se rendre d’une station à l’autre ; il suffisait d’appuyer sur les boutons correspondants. Les mini lampes non led ont dû finir par flancher avec l’arrivée d’internet.
Les images des tunneliers actuels, un siècle plus tard, leurs maquettes semblant flotter dans une lumière bleutée de science-fiction, ont tout pour faire rêver un futur ingénieur du BTP et des Travaux publics. Les nouvelles gares font pour certaines jusqu’à 40 m de profondeur, largement plus profond que l’interminable vis de la station Abbesses, bien connue des Parisiens quand l’ascenseur est en panne. L’exploit d’ingénierie n’en est pas moins grand aujourd’hui qu’hier. Il demeure que toutes les nouvelles stations se résument à gérer des flux de haut en bas et inversement via de gigantesques escalators. Rien qui n’ait pas déjà été vu à la télé ou dont les usagers de la ligne 14 à Paris n’ont pas déjà fait l’expérience.
Une ligne 14, toute première ligne automatisée à Paris, d’ailleurs singulièrement absente de l’exposition. Elle compte pourtant d’impressionnantes stations flambant neuves, construites en ville, et dont l’extension devrait desservir Orly.
La seconde partie de l’exposition offre une collection de maquettes de quelques futures gares du Grand Paris Express, l‘accent étant mis sur la collaboration entre un architecte et un artiste, ce qui s’impose dans un sens car souvent, en regard de l’exploit d’ingénierie, ne demeurent que les symboles de l’architecture. Pourquoi ces gares-ci parmi les 68 qui sont prévues ? Cela n’est pas clair. Elles ne semblent pas reliées entre elles.
Pour le coup les jeunes étudiants – qui ont compris après avoir découvert la remarquable maquette de la station Opéra la complexité de tels ouvrages – malgré leur curiosité ne parviennent guère à trouver une quelconque cohérence globale, les maquettes posées-là comme les gares elles-mêmes dans le paysage, la gare du Bourget reléguée dans un coin, au fond. Et puis, où est passé Jacques Ferrier, coordinateur des 68 gares ? Les 14 étudiant repartiront sans avoir aucune idée de ce que fut son rôle. In fine, des maquettes, il y en a trop pour appréhender tous les enjeux contemporains d’une gare métropolitaine et pas assez pour passer de la dimension en 2D des écrans à une dimension physique des nouveaux paysages de la métropole.
Le logement en est un exemple. Au-delà des tunnels et des futures stations, le Grand Paris Express comprend aussi un volet aménagement qui concerne les quartiers de gare et des projets immobiliers, pilotés en grande partie par la Société du Grand Paris en co-promotion. Sont prévus notamment environ 8 000 logements, dont 20 % de logements sociaux. Mais comme le ministère du Logement n’est pas celui de tutelle des architectes, ici les logements sont apparemment hors sujet.
Les aspects politiques et financiers n’apparaissent nulle part non plus. Oublié par exemple Nicolas Sarkozy s’engageant en septembre 2007 sur un « Grand Paris à l’horizon de vingt, trente voire quarante ans » lors d’un discours fondateur prononcé à… la Cité de l’architecture devant un parterre des plus grands architectes français ! Sera finalement retenu pour l’Ile-de-France un concept d’encerclement datant des enceintes de Thiers.
Il aurait été intéressant aussi d’évoquer le coût et le financement du « plus grand chantier d’Europe ». Le budget estimé à l’origine à 22 Md€ atteint à ce jour selon le Sénat* 36 Md€ (valeur 2012) ou 42 Md€ (Valeur 2020). Ce n’est pas sans doute pas le chiffre final… D’ailleurs Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, dès septembre 2017, vitupérait déjà à propos de « l’explosion des coûts » et mettait en garde « sur les gestes architecturaux qui conduisent à déséquilibrer le coût ». En guise de quoi, elle appelait à « une modération du coût des gares où la Société du Grand Paris (SGP) fait parfois un geste architectural avec des coûts pharaoniques ». C’est bien connu, le dérapage budgétaire, c’est évidemment la faute de l’égo des architectes.
Pourtant, les enjeux d’acceptabilité décrits dans l’exposition sont d’une remarquable actualité. Il est ainsi curieux de constater que les craintes qu’éprouvaient les premiers Parisiens à s’engager sous terre – alors même qu’il y était permis de fumer – sont renouvelées aujourd’hui, la crainte des particules fines ayant remplacé celle des poussières charbonnières. Ainsi les stations Belleville, Jaurès et Oberkampf sont aujourd’hui (Le Monde 22/11/23) les plus polluées, le taux de particules fines sur les quais supérieur à ce qu’il est raisonnable de respirer selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Sans parler de la concentration des particules super fines, super nocives, et que l’on peine encore à mesurer. Et dire que depuis cent ans, les Parisiens qui l’ont échappé belle n’en savaient rien. Mais il est désormais interdit de fumer dans le métro et, face aux particules élémentaires, Hector Guimard n’en peut mais….
De fait, question d’acceptabilité, ne sont pas évoqués non plus les problèmes actuels du métro cent ans plus tard : difficulté de maintenance, de recrutement de personnel, de salubrité – des toilettes sont prévues dans les nouvelles gares, merci l’empereur Vespasien –, de renouvellement des rames, de fiabilité du service, de sécurité : ces barrières qu’il faut installer partout pour que les gens n’aillent pas sur les voies, les paquets oubliés capables d’immobilier tout le système… sans parler du prix du ticket doublé pour les Jeux olympiques : bienvenue à Panam !
Sur les quais, unité de façade
S’il est question de dessiner une nouvelle carte mentale de la métropole, et si finalement l’exposition Métro ! est essentiellement tournée vers les transports, plus en tout cas que vers l’architecture, elle fait cependant, nous l’avons dit, la part belle aux artistes. La meilleure partie du parcours est peut-être la fin, quand les étudiants sont invités à remonter le couloir jusqu’à l’escalier qui les mène au hall d’entrée. Au moins peuvent-ils ressortir par la grande porte.
Mais là, dans le couloir, est exposée une partie des œuvres d’artistes destinées à orner les nouvelles gares, 29 ayant été dévoilées par la SGP lors du salon du livre de la jeunesse de Montreuil en novembre 2023. Nous sommes désormais loin de l’approche hygiéniste de l’époque qui imposa la blanche céramique mais l’audace du propos et la variété des œuvres sont propres à finalement apporter l’identité commune et contextuelle qui manque tant à tous ces ouvrages hétéroclites.
Pour autant, quid de l’entretien de ces œuvres formidables ? Seront-elles sous verre ? Pourront-elles être nettoyées au karcher ?
Pour conclure, les architectes curieux ne trouveront dans cette exposition rien qu’ils ne savent déjà et elle n’est pas faite pour eux. Mais si vous êtes profane, bon public et que vous aimez les documentaires cocorico, cette exposition en forme de bilan d’étape est à ne pas rater. Vous pouvez y emmener les enfants !
Pour autant, les futurs professeurs y emmèneront-ils leurs élèves ?
En été peut-être…
Christophe Leray
* Selon le rapport du groupe de travail de la commission des finances du Sénat « Grand Paris Express : des coûts à maîtriser, un financement à consolider » élaboré dans le cadre du Projet de loi de finances pour 2023.