BETC en 2016, Station F en 2017, la future maison mère d’Orange en 2020, aucun siège d’entreprise ne passe au travers de la tendance FlexOffice, tout droit héritée de Google, maître absolu en matière de Start-Up. Un autre point commun à tous, c’est la drague ouverte des ‘Millenials’, nouvelle cible alimentaire, vestimentaire et technologique. Et pour l’archi, cela se traduit comment ?
L’enfant de l’an 2000 a bien grandi. Il aura bientôt le bac en poche, parlera le franglais mieux que l’anglais et aura les pouces plus aiguisés que les couteaux d’un ‘itamae’ de Tokyo. Sans doute qu’il partira faire un tour du monde en Asie ou en Amérique du Sud et qu’après avoir vu tant de belles choses, il n’aura d’autres choix que de travailler. Mais attention, la formation tendance grandes écoles mariée au baroudeur qui sommeille en chacun d’eux n’en fera sans doute pas un employé qui se contentera d’un PC gris et d’un bureau blanc sans fenêtre.
Le ‘Millenial’ a la bougeotte, il s’ennuie vite, tripote son Mac avec la rapidité de Flash Gordon. Les grandes entreprises ont encore besoin de cerveaux pour créer les robots de demain. Pas question de les laisser partir à la concurrence !
C’est aussi une question d’image. Déjà, au tournant des années 2010, le bureau de type Algeco de chantier a disparu au profit de l’OpenSpace. Il fallait être discret pour celui qui arrivait en retard ! Mais, depuis quelques années, le FlexOffice a fait son apparition dans les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazone, Microsoft) de la Silicon Valley. Le concept est aujourd’hui arrivé dans les succursales françaises presque aussi vite qu’un mail envoyé à 6 PM de S.F..
En quelques mots, le FlexOffice répond dans un premier temps aux modes de vie du nouvel arrivant. Plus nomade, il travaillera en télétravail ou choisira son tabouret en arrivant sur le Desk. Il est ultra-connecté ? Pas de problème, le Wifi est illimité, les prises omniprésentes et le bâtiment labellisé WiredScore. Ils sont en mode projet à perpétuité ? La cantine se fera espace de coworking à partir de 14h30.
Surtout, le ‘Millenial’ est cool ! Alors la déco est à son image, ambiance jungle au rez-de-chaussée pour l’accueil, une envie de surf à R+4 (chez les Créas) ou tendance ‘scandi’ chez les managers. Et surtout, Monsieur, Madame l’Architecte, ne pas décaler ou différencier un siège de l’autre, histoire de ne pas perdre l’esprit communautaire, la start-up est une grande famille !
Le ‘flagship’ comme simple emballage cadeau semble désormais sortir tout droit de l’âge des cavernes. «Tu bosses au Publicis Drugstore ? J’adore l’endroit» est ainsi devenu très 2005. «Tu bosses chez BETC ? J’adore la déco !» est très 2018. Déjà qu’il faut dépasser le périphérique (on évitera la Porte de la Villette à vélo), le ‘Millenial’ et l’ex start-up devenue multinationale n’en devisent pas moins de l’architecte et de l’architecture.
Les noms ne manquent pas. Wilmotte, Viguier, BIG… Le siège de BETC a même été gratifié de plusieurs prix, alors même que l’apprenti communiquant mélange déco La Redoute archi-vue et archi-tecture … Que penser d’une société qui élève en prophète la perfection et le dépassement de soi, quand son élite supposée s’entasse dans autant de lieux tous semblables les uns aux autres, où le bois est forcément clair, quand un tapis aztèque côtoie sans scrupule un lampadaire années 50 ?
L’arrivée du petit nouveau fait considérablement évoluer le rapport du lieu de travail à la ville. Il s’installe dans des quartiers définis comme pas encore tout à fait gentrifiés. BETC fut fondé en 1995, il est encore temps de s’offrir un passé. Quant à la Station F, à l’heure de la parution de cette chronique, pas sûre que toutes les entreprises soient créées. Du coup, la présence de ces centaines de jeunes (et moins jeunes) permet de redorer le blason urbain de certains quartiers encore un peu perdus. Il y aura bientôt une brasserie branchée. C’est ainsi que la très bien fréquentée franchise Big Mama promet d’ouvrir un restaurant de mille couverts dans la Station F, de quoi connecter un peu ce quartier en manque d’animation.
Souvent, le ‘Millenial’ privilégie les circulations douces et écolos. Comme les pieds ne vont pas assez vite, son moyen de locomotion privilégié sera le vélo. Celui qui n’aura pas trop peur du ridicule préférera la trottinette quand le plus téméraire crânera en ‘overboard’. En bref, là où il y a encore peu, le lieu de travail était largement pourvu en parkings, il faut aujourd’hui des locaux à vélos et des prises électrique.
Notez le changement d’échelle, pas toujours facile à appréhender entre tous les nouveaux usages. De la salle de sport, aux salles de repos en passant par les espaces de coworking ou de réunions informelles, et considérant que le toit devra être dévolu au «RouffeTaupe»… le local à vélo n’est pas facile à caser.
En fait, les nouveaux modes de travailler engendrent aussi une multitude de signalétiques nouvelles, d’écrans en tous genres, de flashs colorées… Les grandes entreprises jouent la carte du cool comme autant de va-tout. Mais, suivre les modes qui s’enchaînent à la vitesse des nouvelles versions de l’Iphone, ne pose-il pas à terme quelques questions ? Le coût financier est sans appel. Quant aux problèmes environnementaux si prégnants dans les discussions des concepteurs, comment parvenir à faire cohabiter l’évolution des usages, qui s’accélère, avec les notions de pérennité et de résilience ? Plus loin que la simple idée de la décoration, c’est en réalité le temps de l’architecture et le tempo de la réutilisation qui s’entrechoquent avec ces nouveaux travailleurs.
D’autant qu’à l’usage, derrière le faux-semblant de rigueur, il ne faudra pas creuser bien loin pour entendre au détour d’un couloir que, finalement, c’était pas mal d’avoir plus de murs ou une place attitrée.*
Le mode projet est désormais facilité puisque chacun s’installe où il le souhaite. Mais le propre du mode projet cher aux start-up, c’est quand même de faire un peu de bruit dans l’échange parfois spontané, ou de discuter fortuitement avec son manager, sans penser à réserver une bulle fermée. Pour satisfaire aux exigences de ces nouvelles façons de faire, rien de mieux pour un architecte que d’offrir la lumière aux entrailles et de briser les murs. Quand l’architecture tertiaire traditionnelle proposait concentration et silence relatifs, bref des murs comme une protection pour un espace appropriable, le FlexOffice n’en a plus besoin, les écouteurs et les casques audio ayant remplacé les cloisons et les portes.
Qu’adviendra-t-il quand les plantes vertes auront trépassé, quand le saut à l’élastique à partir d’un drone aura remplacé le surf et le tricot dans les échelons du fun et quand tous auront mal au dos à force de se tenir en tailleur sur les tabourets des mange-debouts ? Sans compter que la génération suivante aura son mot à dire. Que restera-t-il de FlexOffice ?
Alice Delaleu
* Selon le baromètre de l’observatoire Actineo de la qualité de vie au bureau publié en novembre 2017, pour 57% des actifs travaillant en bureau, l’espace de travail idéal est un «bureau individuel fermé».