La jalousie est un vilain défaut. Sauf en architecture ! Ce dont, à l’heure de la transformation du climat, il serait bon de se souvenir au moment d’installer des volets roulants par exemple.
L’été touche à sa fin et nous avons encore eu droit à notre lot de période chaude, voire caniculaire, durant laquelle une lecture m’a interpellé : l’article expliquait que nous avions perdu l’art de la « mise en cabane ». Loin de l’expression courante actuelle qui renvoie au milieu carcérale, il semble que l’expression trouve son origine dans une pratique provençale qui consiste en période chaude à ouvrir grand fenêtres et volets la nuit, pour tout fermer au lever du soleil et vivre à l’intérieur durant les heures chaudes, au frais, à l’ombre, d’où les analogies actuelles avec la prison.
À l’heure où l’on s’interroge sur notre capacité à vivre dans un monde plus chaud, où fleurissent partout les grandes ambitions d’adapter la ville et l’habitat au changement climatique, il y a dans ce rappel comme une évidence : et si, avant de vouloir réinventer la poudre, on commençait déjà par se rappeler ce que faisaient nos anciens ? Ceux qui faute de technologie avaient développé une architecture vernaculaire, certes moins savante que celle de nos grands noms de l’architecture mais pour autant pas moins, sinon plus, pragmatique et fonctionnelle…
Il m’est déjà arrivé d’exprimer le fait que nous devrions bien nous pencher sur la constitution des villes ayant toujours subi des climats chauds, notamment pour rappeler que dans ces villes il n’y a généralement pas de végétation, car elle n’a pas sa place tant les habitats sont serrés et les espaces publics étroits pour ne pas laisser passer le soleil.
Cependant, toute l’ambiguïté de notre rapport au soleil se retrouve dans notre discours actuel. En effet, alors que l’on se plaint de l’échauffement des espaces publics, il ne saurait être question de générer des prospects tels que le soleil ne puisse atteindre le sol comme cela peut-être le cas dans certaines villes méditerranéennes. Alors que l’on se plaint de l’échauffement des habitations, nul ne songerait à réduire les surfaces vitrées de nos logements et à privilégier d’autres orientations que le Sud et L’Ouest… Et si toutefois vous l’envisagiez, les normes et labels vous en empêcheraient…
Pour en revenir à notre « mise en cabane » aujourd’hui disparue, l’architecture n’y est pas pour rien… En effet, pour permettre cette pratique, encore faut-il que l’architecture le permette ! Aujourd’hui le « style international » ayant tout balayé sur son passage a fait disparaître l’occultation en fonction du climat. Où que vous soyez, le volet roulant est de mise !
À se plonger dans le passé, dans le sud de la France, comme en Italie et en Espagne, les constructions étaient équipées de persiennes, dont l’un des modèles les plus évolués n’est autre que le volet « à la niçoise » qui permet, même le volet fermé, d’avoir tout de même de la lumière et une vue vers l’extérieur, donc de vivre « en cabane » ! Essayez de faire cela avec un volet roulant !
Nous payons là notre fascination pour l’Allemagne, les Pays-Bas et les pays Scandinaves et notre volonté d’une expression minimaliste de la façade, où la fenêtre est conçue avant tout comme une perforation de la façade devant être la plus épurée possible, idée rendue possible par l’invention du volet roulant, auquel il est prêté beaucoup de vertus.
Popularisé durant la seconde guerre mondial, c’est avant tout pour sa résistance aux impacts et éclats d’obus qu’il a commencé à se répandre, puis en raison d’une meilleure résistance à l’effraction. Il est aussi apprécié dans les endroits où la rudesse du climat permet de le fermer sans avoir à ouvrir sa fenêtre. Aujourd’hui cependant, sa principale vertu est de pouvoir se motoriser facilement. À l’heure de la domotique et de la fainéantise généralisées, pouvoir fermer ses volets d’une simple pression sur un interrupteur ou de son smartphone depuis l’autre bout du monde est évidemment indispensable… et tant pis si l’air intérieur est plus pollué parce que les habitants n’ouvrent plus leurs fenêtres !
Directement intégré à la fenêtre, le volet roulant permet d’accélérer le processus de construction, dans notre logique du tout en un… Surtout, comme tout bon élément purement technique et fonctionnel, il disparaît de la vue quand il est ouvert, et cela nous autres architectes nous adorons !
À l’usage pourtant, si vous voulez éviter l’éblouissement ou limiter les apports solaires dans votre habitat, vous êtes condamné à vivre dans le quasi noir en l’arrêtant à 10-15 cm du seuil, et du coup vivre la lumière allumée… qui elle-même dégage de la chaleur dans votre intérieur et consomme de l’énergie, cherchez l’erreur ! Si vous ajoutez à cela que le tablier généralement en PVC situé à 2cm de votre fenêtre va prendre le soleil, cela revient à mettre un radiateur devant le vitrage… Les entrées d’air pratiquées en haut de fenêtre ou dans le coffre de volet roulant se chargeront de faire rentrer cet air chauffé entre le volet et la fenêtre directement dans votre intérieur… et d’aucuns se demandent encore d’où vient l’inconfort d’été de nos habitats !
Car, le volet, la persienne, la jalousie, en plus de permettre de maîtriser les apports solaires, se trouve aussi au nu extérieur du mur : de ce fait lorsqu’il est fermé ou mis sur l’espagnolette, il évite au soleil de pénétrer dans l’embrasure de la fenêtre et d’échauffer l’épaisseur de mur. Aujourd’hui, revenant d’une visite en Italie, j’ai pu constater une inversion d’approche sur cet élément qu’est la baie par rapport à la France. La persienne, bien que malmenée par certaines architectures contemporaines, reste tout de même présente, j’en veux pour preuve qu’elle a même une technicité très poussée.
Ainsi il n’est pas rare de la voir en aluminium, avec les ventelles réglables permettant de maîtriser totalement les apports de lumière, elle possède même des joints permettant une étanchéité à l’air quand derrière, les fenêtres elles-mêmes en sont parfois totalement dépourvues. Dans un pays où il faut lutter contre le chaud, et très rarement le froid, un tel dispositif semble assez pertinent.
Pendant ce temps-là, nous, en France, basons tout sur la technicité de la menuiserie et du vitrage. Aujourd’hui, pas une menuiserie ne sort d’une usine française sans au moins deux voire trois niveaux de joints, un double vitrage athermique, avec intercalaire à l’argon quand ce n’est pas du triple vitrage… Tout cela pourquoi ? Parce que l’on attend que le soleil percute le vitrage plutôt que de se poser la question de comment éviter qu’il l’atteigne. Il en résulte un coût de menuiserie très élevé à cause d’un vitrage nécessairement très onéreux et au bilan énergétique et carbone jamais interrogé ! Pourtant, celui-ci restera incapable de traiter la problématique de surchauffe lorsque, directement devant, lui est accolé un volet roulant ! Car, malgré toutes les qualités que l’on peut obtenir sur nos vitrages, ils n’en demeurent pas moins le point faible d’une paroi.
Cela veut-il dire qu’il faut en finir avec le volet roulant ? Bien sûr que non ! Mais, au même titre que l’architecture doit s’adapter au climat dans lequel elle s’implante, ses équipements doivent en faire autant. Dans les climats froids, le volet roulant, dont l’étanchéité à l’air est efficace, vient renforcer la performance thermique de la fenêtre la nuit, ce d’autant qu’en laissant pénétrer le soleil durant la journée on bénéficie d’un chauffage passif dans l’habitat. En revanche dans les zones climatiques chaudes, le volet roulant est évidemment une hérésie totale puisqu’il ne permet pas de moduler finement les apports de lumière et interdits aux usagers de vivre dans l’ombre sans se retrouver dans l’obscurité totale. Il ne permet pas non plus de pouvoir laisser les fenêtres grandes ouvertes derrière les volets fermés le jour quand un filet de vent permet de climatiser l’espace par la circulation de l’air…
Bref, il y a dans l’invention, certes ancienne, de la jalousie une réponse extrêmement pertinente et efficace face à un climat chaud qui autorise une modulation des stratégies en fonction de la météo quotidienne… Évidemment, la jalousie ne résout pas à elle seule la problématique de la gestion de la chaleur dans les bâtiments mais elle y participe grandement.
Puisque les conditions climatiques sont amenées à se « radicaliser », il est d’autant plus important de ne pas se tromper sur les stratégies d’enveloppe des bâtiments, et de se souvenir des logiques constructives anciennes qui s’adaptaient aux besoins locaux. Tout l’inverse de la norme unique qui, face à la grande diversité de notre territoire, conduit immanquablement à des aberrations… que subiront nos concitoyens des années durant.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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