Et s’il fallait envisager la ville nouvelle à l’ancienne, sans nostalgie ? Dans l’idéal absolu, avec la mer qui monte, ce serait Venise. Comment anticiper – pardonnez-moi, planifier – à 50 ou 100 ans comme se doit de le faire chaque élu face à ses responsabilités, a fortiori un « nouveau » président ? Dessine-moi un mouton ?
A relire la tribune signée par le gratin de la profession pour des ‘Logements de qualité au bénéfice de tous’*, publiée par l’ordre des architectes en février 2018 à l’adresse de « l’ancien » président Macron et son aréopage concerné, de s’apercevoir que tout était déjà dit. Pas besoin des nombreux rapports subséquents du type rapport Leclercq-Girometti**, tous les enjeux étaient déjà parfaitement clairs. De se retrouver aujourd’hui en 2022 exactement comme hier, loi ELAN et 14 EPR en plus, permet de mesurer toute la distance non parcourue par ce président en cinq ans.
Ce qui pose la question : aujourd’hui, pour les prochaines décades, c’est quoi l’avenir ? Concernant le climat et la ville, les deux nous concernant absolument tous, que faire ? Nous verrons bien si, pour une fois, nos nouvelles ministres concernées façon puzzle de ce nouveau gouvernement du président « nouveau » en viendront à prendre des décisions audacieuses pour l’avenir de la France… Il est permis d’en douter. C’est pourtant le moment ! En effet, ce président-là n’a plus aucun espoir de réélection, il peut désormais penser aux Français avant lui-même. Dessine-moi un mouton ?
A 50 ans, 100 tout au plus, c’est-à-dire demain, quelle ville, et quelle France, à +5° ? C‘est pour chercher des éléments de réponse à cette question que Chroniques a entrepris au printemps 2022 un voyage de quelques jours à Montpellier (Hérault) pour discuter avec les architectes et élus locaux, les architectes surtout, de la façon dont ils envisagent l’avenir. Après tout, ils construisent des bâtiments censés durer 50 ans : Montpellier +5°, qu’en pensent-ils ?
Parmi les fléaux du dérèglement climatique, il faut compter avec le réchauffement planétaire, qui va en s’accélérant, chacun en convient. Donc, question : avec +5°, et de très longues périodes de canicule de plus en plus courantes et longues, où fera-t-il meilleur : dans le Marais à Paris ou Avenue de France dans la même ville ? Avec +5°c, où fera-t-il meilleur à Montpellier, dans l’Ecusson ou dans la ZAC Ovalie ? Avec +5°c, où fera-t-il meilleur, dans la Cité des Doges ou dans les cités tout court comme on dit dans le 9-3 ?
Si quiconque doit se projeter dans l’avenir, la réponse évidente à ces questions devrait dès aujourd’hui imposer une nouvelle façon de penser et de faire la ville. La ZAC a été selon son usage un outil opérationnel efficace ou une catastrophe mais son principe, daté XXe siècle, est-il à la hauteur des XXIe et XXIIe siècles ? Le logement ne peut être assujetti aux seules logiques du profit et des effets de mode – toujours plus courts les effets de mode – qui fabriquent aujourd’hui les quartiers dégradés de demain. Très bien mais, à partir d’aujourd’hui, que peut faire le gouvernement ? D’autres boîtes pour les moutons, avec des trous pour qu’ils puissent respirer ?
Ce qu’ont en commun Le Marais, l’Ecusson et Venise, ainsi que nombre de cités médiévales, de Toulouse aux villages de Provence en passant par les vieilles villes d’Angers ou de Troyes, sont des ruelles étroites protégeant de l’ardeur du soleil, des murs souvent aveugles vers l’extérieur – les volets fermés sauf le soir – et toute une vie tournée vers l’intérieur de l’îlot, végétalisé et oasis de fraîcheur. Ces cours ou ces patios, plantés mais pas toujours, ont souvent le mérite d’être en pleine terre et de permettre à l’eau d’imprégner le sol.
A l’époque, ces villes médiévales étaient ainsi construites pour tout un tas de raisons pragmatiques, dont la disponibilité de ressources locales en matériaux et savoir-faire. Pourtant les mots écologie et circuit court n’étaient pas dans le dictionnaire, vous pouvez relire Rabelais ! Pour autant, nombre des raisons ayant suscité cet urbanisme de promiscuité, les enjeux de défense notamment, n’ont plus lieu d’être aujourd’hui cependant que les qualités de ces quartiers, des siècles plus tard, et sans doute de façon inattendue, se révèlent particulièrement adaptées à ce qui attend l’humanité : +5°.
De fait, des ruelles étroites interdisent toute circulation automobile. Ces quartiers n’en sont pas moins extrêmement vivants, sauf quand ils demeurent propriété de l’église. L’Ecusson de Montpellier par exemple, que Chroniques a pu visiter accompagné d’une baronne de Caravètes*** – la meilleure guide qui soit – compte plus de 70 hôtels particuliers avec cours datant du XVIIe et XVIIIe siècles, d’une surface atteignant pour certains jusqu’à 3 500 m².**** Ce petit périmètre est pourtant tout l’inverse de la ville-musée. Dans l’Ecusson, il y a des logements, des bureaux, des professions libérales, une halle commerciale, tous les commerces et lieux culturels d’un centre-ville vivant et du monde plein les rues dès le matin 8h jusqu’au soir très tard.
Certes la sociologie du quartier évolue. Il y a des départs, notamment à cause de l’accessibilité, ici les propriétaires (quelles qu’en soient les raisons) n’ont pas mis d’ascenseurs dans leurs majestueux escaliers, il y a donc des colocations d’étudiants, des familles, des habitants et usagers qui pour l’essentiel n’ont pas besoin de la voiture avec toutes les lignes de tram qui desservent très bien le centre-ville. Il y a trois écoles primaires. Des lieux de soin et des lieux de prière, évidemment. Le centre-ville est si animé que les déménagements se font la nuit, tout devant être terminé à 8h le matin quand l’Ecusson est envahi par ses habitants. Montpellier était déjà si dense que quand Louis XIV a voulu une place d’armes, il a dû la faire à l’extérieur de la ville constituée.
Aujourd’hui, des siècles plus tard, le prix du m² oscille désormais entre 4 et 5 000 €, sans terrasse, sans parking, et avec l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) en embuscade ; il faut une autorisation de la DRAC pour mettre la fibre… Habiter dans l’Ecusson finit par coûter cher, ce qui explique qu’il y ait des immeubles vides, d’autres découpés en lots.
Mais, à +5°c, le repli sur soi au frais de murs épais peut se révéler une bonne idée. Dans l’Ecusson, au plus chaud de l’été, les caves et sous-sols profonds font office de puits canadiens et rafraîchissent délicatement les cours.
Notez qu’à l’époque du développement de l’Ecusson, la question de l’intimité et des vis-à-vis semblait ne pas se poser. On n’était pourtant pas aux Pays-Bas ! Il n’y a souvent que quatre mètres entre les bâtiments – moins à Venise et ailleurs – et peu de balcons donnant sur l’extérieur. Or, c’est l’un des paradoxes actuels : les gens veulent aujourd’hui « un prolongement extérieur ».
Justement, à Montpellier, le prolongement extérieur est un must dans chacun des nouveaux bâtiments des nouveaux quartiers des diverses ZAC, les terrasses toutes plus généreuses les unes que les autres, y compris dans le logement social. Quitte justement à ce que les habitants se protègent de toute cette transparence en couvrant leurs terrasses et balcons de cannisses et autres décors de grandes surfaces de bricolage. Enfin, au-delà de l’intimité, à + 5°, qui veut encore de grandes terrasses extérieures qui brûlent au soleil ? Peut-être est-ce maintenant le moment d’y penser.
Certes, une conception de la ville comme à Venise ou dans la Cité de Carcassonne par exemple, les pompiers en feraient une apoplexie !
Pour autant, d’ici 50 ans, puis 100 ans, inexorablement, la population en déclin quand les derniers baby-boomers auront tiré leur révérence – la décroissance elle est là, au coin de la rue – avec +5°C en plein cagnard, avec le retour de temps très incertains, peut-être les populations seront-elles heureuses de se retrouver entre elles, serrées à l’ombre autour de leur piton rocheux en attendant des jours meilleurs qui, en l’occurrence puisqu’il s’agit de climat, ne viendront pas.
D’ailleurs, avant que les nouvelles ministres n’y pensent, des architectes de plus en plus nombreux se sont déjà emparés du concept et promeuvent venelles, ruelles et autres allées dans de nouveaux quartiers à parcourir à pied – parfois avec un parking silo pas loin mais aussi parfois avec des solutions plus originales. Je connais désormais plusieurs de ces quartiers, à Montpellier et dans ses environs, un autre encore sur L’Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). D’autres sortent de terre dans le pays c’est certain. Des quartiers, puisque nous sommes en 2022, qui font aujourd’hui la part belle à la végétation, bientôt luxuriante avec tout ce CO².
Avec demain la France à +5%, peut-être est-il temps de retrouver les vertus de la mitoyenneté et d’une conception urbaine « à l’ancienne », quand les bâtisseurs n’avaient pas besoin de GPS pour trouver le nord.
Sinon, en Touraine et en Anjou, c’est sans doute le bon moment de redécouvrir l’habitat troglodyte. Sans électricité et sans chauffage, l’homme pourra toujours y survivre l’hiver nucléaire.
Christophe Leray
* https://www.architectes.org/actualites/signez-la-tribune-pour-des-logements-de-qualite-au-benefice-de-tous
** Lire notre article Rapport Leclercq – Girometti : le baromètre qui donne le temps d’hier
*** La confrérie des barons et baronnes de Caravètes (Caravetas en occitant) réunit celles et ceux vivant et habitant à Montpellier depuis au moins deux générations. De fait, Chroniques connaît désormais deux de ces baronnes architectes – à ne pas confondre avec daronnes, encore que…
**** Pour découvrir les secrets de l’Ecusson, se précipiter au Festival des Architectures Vives, un parcours architectural annuel (16ème édition du 14 au 19 juin 2022) à destination du grand public permettant de découvrir des sites emblématiques au cœur de la ville historique en reliant hôtels particuliers et cours intérieures majoritairement privées et habituellement non ouvertes aux visiteurs.
Lire aussi A Montpellier, un « beau » bâtiment pour les voisins