Y a-t-il la place en ville pour des bâtiments démontables, modulaires, utiles et pourtant œuvre d’architecte ? Malgré leurs vives réticences initiales, les habitants du XVIe à Paris doivent en convenir : le bâtiment d’hébergement d’urgence de 200 places imaginé par Moon architecture (co-conception Air Architectes jusqu’au PC) pour l’association Aurore maître d’ouvrage n’est pas la cour des miracles. Au contraire. Peut-être un jour les mêmes y enverront en crèche leurs petits-enfants.
Pour un bâtiment temporaire destiné aux sans-abri ayant déclenché une violente polémique au printemps 2016*, l’ouvrage Aurore, ou ‘promesse de l’aube’, de Guillaume Hannoun (Moon) dans le XVIe arrondissement de Paris est urbain dans tous les sens du terme. Il fait pourtant 196 m de long pour 12 m de large. Une barre ? L’immeuble est parfaitement intégré dans la végétation en bordure du bois de Boulogne et répond subtilement au rythme de l’avenue Maunoury pour conserver le lien visuel avec le quartier. Sa présence est aussi calme que le quartier lui-même.
Ses occupants, déshérités sans doute, furent l’objet de moult fantasmes de la part des riverains*. Plus triviale est la réalité puisqu’aujourd’hui 25% des résidents sont en fait des travailleurs pauvres, ce qui en dit long sur la réalité de la notion de SDF quand un travail à Paris ne permet qu’une chambre (9m²) dans un logement d’urgence construit en principe pour les grands exclus… Il y a aussi des familles, des enfants dont quelques-uns vont à l’école publique, dans le XVIe !
Aux extrémités des unités d’habitations – le bâtiment en compte quatre – des panneaux en Danpalon inondent les circulations de lumière tout en protégeant les résidents, détail utile sans doute eu égard à la violence des polémiques et menaces qui ont accompagné la naissance du projet.
Le bâtiment est modulaire mais rien ne l’indique de l’extérieur à un œil non averti, le passant lambda ne voyant qu’une façade en bois à la mode aux couleurs de l’été indien, vert, jaune, orange, brun, signalétique universelle qui permet de distinguer les unités.
En ce jour de canicule, les résidents profitent de l’ombre portée des frondaisons sur les parvis des cages d’escalier qui remplissent leur fonction de lieu de vie, la petite échelle permettant la rencontre de gens qui, connaissant l’exclusion, sont souvent jaloux de leur intimité. Une allée ombrée fait tout à la fois office de voie de services et de terrasse pour tous les résidents de l’immeuble. A l’intérieur, la température est étonnamment tempérée malgré le soleil de plomb à l’extérieur.
«Les normes, y compris thermiques, sont plus contraignantes pour l’hébergement que le logement», souligne Guillaume Hannoun. Y compris sans doute celles de l’accès handicapé, l’architecte ayant conçu au rez-de-chaussée une circulation PMR permettant d’atteindre toutes les unités, ce dont un très jeune garçon dans son fauteuil roulant a parfaitement compris l’usage.
Toute la panoplie des normes y est donc passée. En ce jour de chaleur estivale, se mettre à la place de l’association qui gère les lieux avec rigueur et bienveillance : pour l’efficience thermique, ouvrir ou pas ? Au fil de la visite, des pièces sont fermées et conservent une véritable fraîcheur – le cabinet du médecin, les salles de classe, des salons. Merci les normes. Dans d’autres unités, les mêmes espaces sont ouverts, il y a un courant d’air, l’odeur des sous-bois tout proches et il y fait à peine plus chaud.
Dit autrement, en l’occurrence, l’habitat modulaire et social n’est pas synonyme d’habitat au rabais. Les chambres ne sont pas des cellules et ont toutes la vue sur la végétation et la ville. Il n’y a pas de barreaux, mêmes symboliques. Ce bâtiment sera toujours cent fois plus élégant et meilleur marché que n’importe quel habitat de containers.
Sans doute plus pratique également puisque la clef du programme était, pour l’association Aurore maître d’ouvrage, de parvenir à rendre pérenne son investissement dans un bâtiment provisoire. Oxymore ?
La dernière destination de l’hébergement d’urgence est souvent l’hôtel, dont le coût est énorme pour la communauté. L’idée d’Aurore est, sur du foncier intercalaire – c’est-à-dire disponible entre deux projets –, de pouvoir construire et démonter à tel ou tel endroit un bâtiment provisoire de qualité quant à sa destination et pérenne dans sa composition et son utilisation. Ce projet avec Moon Architecture est le premier du genre pour l’association et la première matérialisation concrète du concept.
La France étant le spécialiste du provisoire qui dure, il faudra certes revenir dans deux ans, date de la fin du bail, pour voir ce qui se passe mais à visiter le bâtiment, occupé depuis un an, il est aisé de s’apercevoir que le défi proposé par Aurore a été largement relevé. Tous les membres de l’association croisés ce jour-là lors de la visite avaient le sourire, malgré la canicule. Conditions de travail ?
Parmi les contraintes habituelles d’un bâtiment neuf à Paris, il y avait pourtant en plus celle de la rapidité de conception et de construction. En effet, s’il faut deux ans d’études et autant de travaux pour un tel ouvrage, le bail intercalaire, court par définition, sera déjà échu à la livraison. Ce qui donne pour ce bâtiment : novembre 2015 dépôt du Permis de Construire (PC), obtenu en mars 2016 pour une ouverture en novembre 2016. Un mois et demi de conception, le dossier pro, la mise au point… Comme le souligne Guillaume Hannoun, comme les modules sont ensuite industrialisés, «il ne faut pas se planter à la validation».
Le site était déjà imperméabilisé, le bâtiment est simplement posé là, rien n’est enterré et la parcelle sera rendue telle quelle pour un projet futur.
La réussite explicite de ce projet, pour une destination pourtant ‘polémique’, pose la question de l’urbanisme temporaire. Moon développe un projet similaire avec le même maître d’ouvrage, un bâtiment de 300 places dans le bastion de Bercy. Cela ne signifie pas que l’architecte va refaire le même bâtiment temporaire avec les mêmes modules et la même écriture car ce nouvel ouvrage, comme le premier, doit répondre à son contexte.
Plus exactement, c’est le système constructif, désormais maîtrisé par l’agence, qui permet pour ce type de bâtiment d’envisager une évolution du programme. Comment par exemple répondre à la question d’une crèche ou d’une classe provisoires durant des travaux sur un équipement scolaire ?
L’idée de Guillaume Hannoun est de disposer d’un élément construit, confortable et adapté à son usage pouvant être déplacé en fonction des circonstances, à des dates connues longtemps à l’avance. De quoi en effet s’organiser. L’architecte va plus loin dans sa réflexion. «Les quartiers évoluent, des gens s’installent, d’autres partent, un jour peuplés par des familles, ils sont vides quand les enfants sont partis. Que faire des équipements désertés dix ans plus tard ?», s’interroge-t-il.
C’est en fait d’une nouvelle temporalité de l’architecture dont parle Guillaume Hannoun. Selon lui, ce type de bâtiment modulaire permet de s’ajuster avec souplesse à l’évolution d’une ville qui bouge tout en donnant plusieurs vies à ces bâtiments, ce qui permet «d’éviter les trucs qui ne servent à rien». Puisque c’est d’actualité, c’est à cette aune qu’il pose par exemple la question des jeux Olympiques. «On construit un village olympique très dense pour 15 jours de festivités puis on le garde pendant 60 ans», dit-il. Comme à Grenoble !
Lui constate que, de toute façon, les logements des athlètes seront répétitifs et voit dans son système constructif un outil d’aménagement urbain. Pouvoir accompagner l’évènement, par exemple les J. O., puis ensuite démonter les immeubles et, divisés en autant d’unités que nécessaire, les reconstruire là où on en a besoin, par exemple dans ces quartiers ANRU où des habitants sont en attente de relogement.
De fait, le bâtiment du Bois de Boulogne à Paris XVIe, quand viendra le temps du démontage, pourra être divisé en deux, trois ou quatre ensembles et disposé autrement dans l’espace. Il ne s’agit pas de couvrir la France de bâtiments modulaires mais, aux marges de la construction patrimoniale et de l’investissement à fonds perdu, il y a en effet la place pour les architectes de réfléchir à la temporalité de ces bâtiments utiles qui, en ville, se déplaceraient de fonciers intercalaires en parcelles provisoires au service de l’urgence de leurs usagers.
Quoi qu’il en soit, l’expérience est largement positive pour l’architecte. Maîtrise des coûts, rapidité d’exécution, avec un système constructif plus traditionnel, Moon Architecture a gagné le concours pour une résidence Etudiants et poursuit sa recherche dans le cadre de la construction d’un hôtel.
«Je n’ai pas encore toutes les réponses mais une nouvelle temporalité pour certains bâtiments est une idée à creuser car l‘architecture est vouée à s’inscrire dans cette société de flux de plus en plus liquide», conclut Guillaume Hannoun.
Les sans-abri et travailleurs pauvres du bois de Boulogne lui en sont gré.
Christophe Leray
*voir à ce sujet notre article Dans le XVIe à Paris, le projet Aurore menacé d’obscurantisme