Qui se souvient de cet immeuble austère du boulevard Morland à Paris (IV), qui abritait l’ancienne préfecture de Paris et de la Région Ile-de-France ?* Après six ans d’attention, des millions d’euros et moult scrutations, « Morland Mixité Capitale » a enfin été livrée en mai 2022, redorant un peu le blason des « Ré-Inventer Paris ». Visite.
Par une belle matinée de juin, Chroniques d’Architecture a visité avec Anne Savard (architecte) et Mélanie Uriot (responsable communication) le dernier né de l’agence parisienne CALQ. « Après un an de concours, deux ans de projet et quatre ans de chantier entrecoupé d’un Covid complexe à gérer pour les plus de 600 compagnons, c’est enfin livré », raconte Anne Savard.
En 2014, Anne Hidalgo et Jean-Louis Missika, son adjoint à « l’urbanisme, à l’architecture, aux projets du Grand Paris, au développement économique et à l’attractivité » inauguraient fièrement « Ré-inventer Paris », le premier d’une longue liste désormais d’appels à projets inédits appelant au mariage de promoteurs, de financiers et d’équipes de maîtrise d’œuvre. Se souvenir encore de la déception en 2016 lors de la présentation des lauréats ; après l’excitation qu’avait suscitée la compétition, les amas de verdure peinaient à camoufler le peu d’inventions nouvelles, tant techniques, philosophiques que programmatiques.
Six ans plus tard, les premiers projets sont enfin accouchés parmi lesquels sans doute le plus gros programme du concours : la réhabilitation et l’extension de l’ancienne préfecture de Police, située sur les quais de Seine, 17 boulevard Morland, œuvre moderniste de Laprade, Fournier et Fontaine circa 1957.
A la manœuvre pour s’attaquer au plus de 43 000 m² de l’ancienne cité administrative, le promoteur Emerige pour Nuveen Real Estate (bureaux, l’hôtel et les ERP), I3F et Pearl (logements) avec l’architecte britannique David Chipperfield (son agence berlinoise) et, représenté en France par l’agence BRS pour la partie neuve, ici « Lead Design », associé à CALQ « cosignataires de permis de construire » pour la réhabilitation et la MOEX au nom de toute l’équipe.
Si le montage d’opération était en 2014 relativement nouveau, « Morland Mixité Capitale » a su répondre aux attentes à bien des niveaux, notamment sur le thème de la mixité qui a donné son nom au projet. Mixité également incarnée dans la complémentarité des agences, l’une reconnue internationalement et l’autre reconnue pour sa maîtrise des enjeux techniques des chantiers. Sans oublier les autres acteurs tel Other Spaces, le studio de l’artiste Olafur Eliasson. Chacun à sa bonne place, là où il excelle, le résultat est à la hauteur.
L’opération de restructuration et extension de l’ancien Morland est peut-être symbolisée par son acuponcture technique, dont 38 voûtes de béton de neuf mètres de haut et coulées en place le long du boulevard et prolongées par un péristyle moderne, une galerie couverte pour fermer la cour tout en accueillant généreusement le piéton venu de la rue.
« Ici, le gros-œuvre est très complexe, la réalisation (coffrage, ferraillage, coulage) in-situ a nécessité une journée par voûte », souligne Anne Savard. Elles ont été coulées en une fois, sans reprise de coulage pour le moindre doute quant à leur finition. De fait, le béton ne tolère aucun défaut, surtout quand il porte si lourd. « D’ailleurs, nous avons dû réaliser un pontage sous l’ouvrage, car nous sommes au-dessus du métro », dit-elle de ce tour de force.
Ce portique redonne au bâtiment, malgré son imposante échelle, une assise et un rapport au trottoir plus piétonnier et rend toute son urbanité à l’îlot paradoxalement invisibilisé. Démonstration est faite que la ville peut s’insérer dans une parcelle privée et vice-versa et mettre en œuvre une autre mixité, urbaine celle-ci. Les voûtes depuis le boulevard pallient, comme souvent en réhabilitation, un manque criant d’accès visibles et identifiables. Il fallait donc rendre aimable cette vaste parcelle et attirer les passants dans cette grande cour végétalisée. L’avenir dira si le pari est relevé car il est osé à Paris de proposer aux quidams de pénétrer aussi frontalement dans un îlot d’apparence privée.
D’apparence seulement car pas moins de onze programmes cohabitent dans ce Rubik’s cube de plus de 43 600 m², tant à l’horizontale qu’à la verticale : bureaux (conçus en blanc), 199 logements (sociaux, intermédiaires et en accession), une galerie d’art, un hôtel 5 étoiles, une auberge de jeunesse, crèche, des restaurants et bars, un fitness club, une piscine, des commerces de bouche.
C’est moins la superposition de programmes qui prouve ici l’innovation programmatique que quelques détails de gestion. La piscine, propriété du fitness clubsera accessible à l’hôtel tout en accueillant des élèves des classes environnantes par exemple.
La sur-végétalisation des projets de Ré-Inventer Paris avait été largement critiquée. Pourtant, si Morland est sorti de son carcan minéral, notamment grâce à sa généreuse cour, il offre quelques touches d’agriculture urbaine jusqu’en toiture, environ 3 000 m² selon le communiqué de presse du promoteur.
Les trois derniers niveaux du bâtiment de bureaux sur le quai Henri IV accueillent une serre en triplex, non chauffée, pour une culture d’agrumes. « Une installation d’agriculture urbaine hors-sol occupe la toiture des ailes de logement », précise l’architecte. Sur la toiture de l’auberge de jeunesse, son attrait n’est pas de fournir des tomates en hiver pour la fourmilière du dessous mais de mettre en œuvre un système de phytoépuration des eaux de l’immeuble. Ingénieux système qui participe activement à la dé-imperméabilisation de la parcelle, sans obliger à supprimer trop de surface sans doute.
Les logements, du studio aux grands logements familiaux, ont été installés dans l’immeuble le long des rues Schomberg et Agrippa d’Aubigné dont l’épaisseur des bâtiments de 14 mètres favorisait l’intégration (tandis que le bâtiment principal fait 23 mètres d’épaisseur). Ils sont organisés autour de six accès, permettant de favoriser des logements traversants. « Minimiser les noyaux de circulation pour limiter la perte de surface, sans impacter l’habitabilité des logements était un impératif », se souvient Anne Savard. L’habitabilité, donc l’usage, est ainsi devenue une priorité, preuve étant donnée avec l’ajout de balcons systématiques, seule modification par ailleurs des façades.
« Nous avons en revanche pu retrouver les dessins des profilés des huisseries d’origine en forme de croix que nous avons pu reproduire à l’identique. Enfin presque, les fenêtres d’époque étaient en acier, elles sont désormais en aluminium », précise la femme de l’art.
La transformation de bureaux en logements est une thématique de l’agence. « Ici, la difficulté a été dans l’adaptation de la trame de 2.25 mètres d’entraxe, pour dimensionner les pièces. Une trame, c’est trop petit, deux trames c’est trop grand, il a fallu jouer un peu des coudes », racontent les deux collaboratrices en souriant.
Il est cependant regrettable que rien n’ait été prévu, en termes programmatiques du moins, sur la commercialisation et la disposition des logements qui se retrouvent sur les ailes avec des vues sur les rues secondaires alors que les derniers niveaux de l’hôtel, restructuré avec un plafond miroir signé Olafur Eliasson et Sébastien Behmann pour le studio Other Spaces, offrent un des plus beaux panoramas sur Paris laissé aux habitués des bars d’hôtel.
Alice Delaleu
*MAJ 16/06 – Le relecteur, qui a confondu l’ancienne Préfecture de Paris et de la Région Ile-de-France avec la Préfecture de police, qui est elle toujours sur l’Ile de la Cité, ira faire un tour en garde à vue pour se rafraîchir les idées.