Depuis le 14 juillet dernier, le Musée de Cluny (ou Musée national du Moyen Âge – Thermes et hôtel de Cluny), dans le Ve arrondissement de Paris, a enfin un accueil à sa mesure d’institution internationale. Brillamment conçue autant sur la forme que le fond par l’architecte Bernard Desmoulin, la nouvelle extension de 250 m² au sol démontre avec maestria qu’en architecture, il n’y a pas que la taille qui compte. Visite.
Pour avoir arpenté le bitume usé du Boul’Mich de nombreuses fois pendant mes années estudiantines, je croyais pouvoir dire que je connaissais le Quartier latin comme ma poche. Mais je dois bien avouer que j’aurais sans doute été bien incapable de préciser ce qu’il se passait au coin du Boulevard Saint-Michel, de la rue du Sommerard jusqu’à la petite Place Paul Painlevé. Et pour cause ! Si le musée est internationalement reconnu, son entrée était quant à elle quasi confidentielle.
Le touriste de passage devait faire la queue des heures le long de la rue du Sommerard, coincé sur un trottoir étroit avant d’accéder au musée par la petite cour du très bel ancien Hôtel des Abbés de Cluny. Rien de pratique, surtout rien qui n’était à la mesure de l’institution.
Depuis le 14 juillet, le mal est guéri grâce à l’architecte récipiendaire en 2009 de l’Equerre d’argent, Bernard Desmoulin. L’homme de l’art est un habitué de l’architecture muséale mais également des interventions en sites très protégés. Il tire de son expérience à l’Abbaye de Cluny (en Bourgogne), de son intervention au grand commun de Versailles, sur le portail de l’Abbaye janséniste de Port-Royal ou encore à l’Ambassade de France de Mexico que la modernité architecturale ne rime nie avec gros mot, ni avec grand geste si elle est apportée avec délicatesse et subtilité.
Si l’extension tient finalement sur un modeste carré, le projet global est bien plus complexe puisque, à terme, ce sont tous les espaces scénographiques qui seront revus et corrigés.
Le site du Musée de Cluny est à lui seul un résumé de l’histoire du quartier. Il reste les vestiges des anciens thermes romains du Ier siècle, une des plus vieilles maisons de Paris, datant probablement de Lutèce, l’ancien Hôtel des Abbés de Cluny, un ajout sous forme de pastiche du XIXe siècle et quelques extensions du XXe siècle. S’ils ont été restaurés il y a peu, les vestiges romains demeurent à l’air libre. Aujourd’hui, il y a peu de liens directs et évidents entre le musée du Moyen-Age et les thermes antiques. C’est ce que le projet de l’agence Desmoulin ambitionne de réaliser.
Bernard Desmoulin ne s’excuse pas d’apposer sa patte dans un site à l’histoire si longue. «Lorsque l’architecture contemporaine introduit un dialogue et poursuit une histoire, c’est là que la modernité prend tout son sens», dit-il. Sur ce palimpseste parisien, l’architecte a privilégié un travail en strates.
Concrètement, la face visible de son travail se résume en une extension de 700 m² de surface totale construite sur un plan carré de 16 x 16 mètres, comme en lévitation et implantée sur une terrasse entre les thermes et l’extension d’Emile Boeswillwald (1815 – 1896). Si ce bâtiment n’est pas le plus spectaculaire de son époque, il fallait néanmoins composer avec, sans même le toucher, et encore moins l’étouffer. L’agence Desmoulin a pris le parti du collage. Le bâtiment d’accueil s’accole au bâtiment XIXe, grâce à un joint creux millimétrique, sans pour autant en perturber la structure.
Pour la structure, les enjeux étaient aussi considérables. Concevoir un bâtiment au-dessus de vestiges antiques posait des problématiques structurelles de taille. L’ouvrage se devait donc d’être d’une extrême légèreté. Bernard Desmoulin a ainsi proposé un ouvrage sur dalle béton et mur en partie en métal, soutenu par la toiture.
Pour rester dans l’esprit de collage qui lui tenait à cœur, le bâtiment ultraléger repose sur des pieux reliés par une poutre porteuse de 16 mètres de long. En pratique, les fondements devaient être aussi extrêmement discrets. Il ne fallait pas toucher les vestiges pour ne pas avoir à entamer des fouilles archéologiques. Comme un clin d’œil un peu fier, un pieu et la poutre se laissent apercevoir dans un des anciens thermes.
Une fois les problématiques structurelles résolues avec finesse, s’est posée la question de la matérialité. Lors d’une conférence au Pavillon de l’Arsenal le 13 septembre dernier et dédiée à la restructuration du musée parisien, Bernard Desmoulin a expliqué qu’il ne voulait ici pas de Corten, qu’il aime pourtant toujours à mettre en œuvre.
«J’avais pensé au bronze, mais les ingénieurs m‘ont dit que ce n’était pas possible. Alors j’ai cherché ce qui ressemblait à du bronze. Là, je me suis souvenu du travail de Bernard Zehrfuss à l’Ambassade de Varsovie*», se souvient Bernard Desmoulin. L’architecte y avait savamment mis en œuvre des panneaux de fonte d’aluminium. La matérialité était trouvée. La fonte a le mérite d’être à la fois légère, peu épaisse, malléable dans la forme et économiquement très accessible.
Tout n’était pourtant pas réglé. En effet, «aujourd’hui, les architectes utilisent peu la fonte d’aluminium, ce sont plutôt les constructeurs de pièces automobiles qui en maîtrisent les codes», explique l’architecte, qui est donc allé à leur rencontre. «Ici, nous avons cherché le hasard des aspérités avec un matériau qui donnait l’impression d’avoir des cheveux blancs», confie en souriant l’homme de l’art aux cheveux poivre et sel.
Sur la façade, chaque panneau possède un ton diffèrent, des dimensions uniques. Ils sont mis en œuvre sur un calepinage savant avec différents reliefs. Trois types de panneaux sont ainsi installés. Des panneaux de fonte pleins, certains semi-ajourés et en relief et d’autres creux.
Pour le dessin, c’est le tambour de l’escalier de la chapelle qui a frappé l’architecte. «J’ai trouvé le dessin tellement fin et beau que je me suis dit pourquoi ne pas le reproduire sur les ouvertures qui ne devaient pas être perçues comme des ouvertures», raconte-il.
Après la pose, en hiver, la façade était chocolat, un peu triste. Et soudain, un rayon de soleil est venu révéler ce qui n’avait été que pressenti tout le temps des études. Désormais, la façade vibre de mille intonations de doré, d’ocre, de miel, elle change avec le moindre nuage, à la faveur du plus petit déplacement. L’architecte nous explique qu’il ne sait jamais ce qu’il verra in fine avec la matérialité choisie et que les choses ne sont pas toujours comme il peut le décider. En tout cas, à Cluny, le hasard de la matérialité fait très bien les choses.
Cet écrin est devenu l’entrée du musée depuis la petite rue du Sommerard, désormais piétonnisée. Il est également le signal des interventions déjà effectuées et de celles à venir de ce vaste projet de restructuration du musée. Dans ce projet d’ensemble, la circulation est désormais articulée autour d’un pivot central avec un escalier majestueux et deux ascenseurs qui distribuent les différents étages.
Dans ce petit volume, l’architecte a également ménagé un coin librairie, une salle pédagogique pour recevoir les écoles, et, joie des conservateurs, un atelier de restauration des œuvres qui faisait cruellement défaut. Il a même réussi à glisser une petite salle d’exposition temporaire de 70 m².
La matérialité est aussi impressionnante dedans que dehors. Ici tout est d’une simplicité déconcertante et d’une exécution des plus délicates. En témoigne la mise en œuvre d’un très beau béton matricé planchette, jusque sur les sous-faces des plafonds. La légende, relatée par Bernard Desmoulin, raconte que l’entreprise passait l’aspirateur dans les coffrages ! Quand la précision des détails vient s’ajouter à l’élégance de la simple délicatesse, il ne reste plus qu’à aller découvrir le lieu autant que les collections. Jusque dans les espaces intérieurs, c’est la légèreté de la structure qui a commandé la matérialité des éléments comme en témoigne le grand escalier de la librairie en Corian. «Nous devions refaire l’accueil, pas le musée !», souligne l’architecte. La précision est utile.
Sur le terreau presque millénaire de la rue du Sommerard, Bernard Desmoulin démontre qu’un véritable signal architectural peut être modeste en surface et subtil!
Alice Delaleu
*Lire à ce sujet notre article A Varsovie, une ambassade contemporaine pétrie d’histoire(s)