C’est marrant comme au détour d’un voyage présidentiel toute l’ambiguïté de la commande française resurgit soudain. Après avoir inauguré le Louvre d’Abou Dhabi en novembre 2017, Emmanuel Macron a lors de son voyage en Chine en janvier 2018 «officialisé» un Centre Pompidou à Shanghai. Un Centre Pompidou qui n’a finalement rien de pompidolien. La faute aux Anglais. Explications.
«La France et la Chine ont conclu le partenariat pour établir un Centre Pompidou d’art contemporain à Shanghai, a annoncé le mardi 10 janvier 2018 le président français, lors d’une déclaration à Pékin aux côtés de son homologue Xi Jinping», indique l’AFP.
Le concept de «Centre Pompidou provisoire», mis en place en 2015 par le Centre Pompidou à Malaga (Espagne), consiste en un prêt des œuvres pour une durée de cinq ans. Séoul serait sur la liste des possibles. Si les présidents français et chinois s’en sont bien évidemment réservé l’annonce, le projet était dans les tuyaux depuis un moment puisque le protocole d’accord avec le ‘West Bund Group’, un investisseur chinois, a été signé en juillet 2017.
Il est vrai que David Chipperfield s’apprête justement à livrer en 2018 le ‘West Bund Art Museum’, un édifice de 25.000 m² au coeur du Xuhui Waterfront Public Open Space, un nouveau quartier né de l’exposition universelle de 2010 qui prolonge le célèbre Bund de Shanghai. C’est ce ‘museum’ qui va donc accueillir le Centre Pompidou pendant cinq ans. Dès le 4 août 2017, Chipperfield annonçait donc la bonne nouvelle.
Dit autrement, avec un investisseur privé chinois et un architecte anglais, Beaubourg fait du musée en VEFA (vente en état futur d’achèvement) à durée limitée. Cela rend certes la diffusion du prestige français moins onéreux pour les contribuables.
D’ailleurs, de deux choses l’une : soit c’est un succès tel et le Pompidou provisoire devient du provisoire qui dure, à la française, et dans 50 ans Beaubourg et la France seront toujours au cœur vibrant de Shanghai, soit Pompidou s’en va au bout de cinq ans et le West Bund Group cherche un nouveau locataire. Un modèle financier qui peut tout à fait se révéler à succès : une succession pérenne non pas d’expositions mais de musées provisoires !
Faire l’économie de collections permanentes, c’est peut-être une nouvelle façon de faire évoluer l’économie d’un musée. C’est en tout cas une économie pour le West Bund Group qui propose donc, pendant cinq ans ou plus si affinités, le musée dont vous êtes le commissaire. Les institutions intéressées ne devraient pas manquer ! Le Centre Pompidou tient provisoirement la corde.
Ces réflexions liées à «l’officialisation» présidentielle sont l’occasion de se souvenir que le Centre Pompidou a également un projet à Bruxelles. Là, c’est dans un ancien garage Citroën que doit prendre place le futur Pompidou de Bruxelles, près du Canal, pour le compte de la SAU (société d’aménagement urbain à Bruxelles, propriétaire du bâtiment) et la région bruxelloise.
Un concours international a été lancé en avril 2017. Il y eut 92 réponses. En juillet, étaient sélectionnés sept finalistes, qui ont chacun reçu 90 000 euros pour remettre avant le 23 décembre 2017 une esquisse de projet avec leur vision pour le futur «pôle culturel».
Parmi ces finalistes*, il n’y a quasiment que des agences belges, et plutôt deux fois qu’une. Pour les firmes étrangères, compter OMA, juste de l’autre côté de la frontière, et les Américains Diller Scofidio + Renfro, associés avec… JDS Architects (Julien De Smedt Belgique). Dans le jury, il y avait bien évidemment un représentant du Centre Pompidou.
Aux Pays-Bas justement, pour le concours international de l’extension de l’aéroport de Schiphol à Amsterdam étaient retenues KAAN architecten (Pays-Bas), OMA (Pays-Bas), MVRDV (Pays-Bas), UNStudio (Pays-Bas) et SOM (la version allemande, juste de l’autre côté de la frontière). C’est l’agence néerlandaise KAAN architecten qui a gagné.
Bref, pour un prestigieux musée français à Bruxelles, pas une agence française parmi les sept finalistes qui sont tous belges ! C’est rageant non ? En tout cas, nombre d’architectes de l’Hexagone s’en émeuvent. D’autant qu’apparemment la France n’a pas de ces pudeurs : les agences étrangères y ont toutes leur place et elles sont nombreuses à prospérer.
France Terre d’Accueil.
Et ce n’est pas fini si l’on se fie aux listes d’architectes que font circuler auprès des promoteurs des maires atteints de collectionnite aiguë. C’est comme les ronds-points, c’est à qui aura le plus gros. Si le maire a décidé d’aligner sa série de starchitectes, si possible étrangers, si possible japonais – «Ghéry on aimerait bien mais il est trop cher» – et de quelques agences françaises à la mode, il n’y a pas grand-chose à faire pour les concurrents malheureux qui, moins que des ‘sparring-partners’, deviennent de simples faire-valoir. Concours ? Quel concours ? Qu’importe au fond le projet, le contexte, tout ça. Mais est-on sûr au moins que l’image de prestigieux architectes étrangers fasse gagner les élections mieux que celle d’architectes français ?
En plus l’architecte étranger il est tranquille puisqu’il sait, collectionnite oblige, qu’il ne retravaillera plus jamais avec ce maître d’ouvrage là. Cela permet toutes les audaces et toutes les approximations. Puisque SANAA est passé de mode, à quand un boulodrome signé Snøhetta, avec un ø comme Zorro, pour l’amicale du 92 ? A propos de SANAA, le Louvre à Lens, c’était un test in vivo chez les Zoulous ? Abou Dhabi avec Nouvel, une séance de rattrapage ?
Cela dit, le protectionnisme des Belges et des Néerlandais, parmi tous les autres, n’est pas très différent de celui que l’on trouve dans les campagnes et villes de France et Navarre où les jurys se répartissent aimablement le gâteau entre amis de bon entregent. En Pologne aussi sans doute des architectes en ont soupé de l’architecture internationale et préconisent le retour aux racines, c’est-à-dire l’entre soi.
Faut-il protéger l’architecture française ? Laquelle ? Est-elle vraiment si faiblarde que ça l’architecture française qu’elle a besoin d’être protégée ? Qu’y a-t-il à protéger ? Le patrimoine ? Faut-il imposer des quotas ? Comment écrire architecture en écriture inclusive et en polonais ?
Surtout, comment éviter la collectionnite et les petits arrangements entre amis puisque les jurys sont souverains et que les hommes et femmes de l’art y sont toujours minoritaires ?
Puisque Macron est adepte de la diplomatie des musées, pourquoi n’impose-t-il pas un architecte français – qui sera de toute façon contesté – dès lors que le prestige de la France est concerné, comme avec une ambassade, comme aux jeux olympiques ?
Sauf qu’en ce cas, un architecte français aurait-il fait une pyramide au Louvre ? Ou un architecte italien avec un architecte anglais construit le Centre Pompidou à Paris ?
La morale de l’histoire est que peut-être, sans s’en rendre compte, les membres du jury à Bruxelles ont rendu grâce à Beaubourg, ce musée indubitablement français dans le texte et toujours contemporain, dont la malédiction est qu’il ne sera peut-être jamais re-construit par un architecte français.
Pour Séoul, avis aux architectes étrangers…
En attendant, le Centre Pompidou France propose jusqu’au 10 septembre 2018 à l’Espace Musée de l’Aéroport de Paris Charles de Gaulle – «un musée au concept unique» – une exposition intitulée ‘L’art abstrait des années 1950’.
L’exposition est située «au milieu des boutiques de luxe».
Françaises les boutiques ?
Christophe Leray
*Voici la liste des agences retenues pour le Centre Pompidou Bruxelles** :
1) 51N4E (Belgique de Johan Anrys, Freek Persyn et Peter Swinnen) / CARUSO ST JOHN ARCHITECTS (Royaume-Uni qui a réalisé entre autre la rénovation de la Tate Britain et la Gagosian Gallery à Paris)
2) ADVVT (Belgique, les nouvelle stars en Flandre, De Vylder Vinck Tailleu) / AGWA (Belgique, qui a réalisé entre autre la couverture du Carré des arts à Mons) / 6A (Royaume-Uni)
3) DILLER SCOFIDIO + RENFRO (Etats-Unis, ils ont entre autre réalisé la High Line de New York) / JDS ARCHITECTS (Julien De Smedt Belgique)
4) LHOAS & LHOAS (Belge) / ORTNER & ORTNER (Allemagne qui a réalisé un musée dans le « quartier des musées » de Vienne)
5) NOA (Belge bruxellois qui ont travaillé pour l’université d’Hasselt) / EM2N (Suisse) / SERGISON BATES (Royaume-Uni)
6) OFFICE (bureau belge de Kersten Geers et David Van Severen) / CHRIST & GANTENBEIN (Suisse) (Ils ont réalisé l’extension du Kunstmuseum de Bâle et le musée de l’histoire suisse à Zurich)
7) OMA de Rem Koolhaas (Pays-Bas, dont la CCTV tower de Pékin et la casa da Musica à Porto) qui se présente avec les Hollandais Wessel de Jonghe, spécialisés en rénovation de bâtiments modernistes et qui avait participé à la pré-étude pour le Citroën.
** Source et pour en savoir plus, le passionnant article de Guy Duplat intitulé Les 7 architectes pour le Citroën-Pompidou: « la nouvelle génération » se réjouit le bouwmeester publié le samedi 22 juillet 2017 dans La Libre.be