Mon intention n’est pas de faire pleuvoir sur la parade, la pluie s’est invitée toute seule, mais puisqu’il faut à notre tour clore cette séquence, quelques remarques à propos des jeux olympiques (JO) et paralympiques (JOP) de Paris 2024 s’imposent. C’est évidemment, je vous l’accorde, beaucoup plus facile maintenant qu’ils sont terminés. Cependant, quelle image laisseront-ils ? Que signifient de tels jeux du cirque aujourd’hui ? Et demain, puisque la France les accueillera à nouveau en 2030 ?
L’une des images finalement marquantes de ces JO est celle bien sûr de la cérémonie d’ouverture. J’en retiens notamment la pluie, le jour sombre, et toutes les huiles, et tous ceux qui avaient payé bonbon pour être aux premières loges, de se retrouver sous des parapluies, les bateaux et les athlètes indiscernables à plus de 100 mètres. Ces spectateurs triés sur le volet ne voyaient ni n’entendaient évidement rien des animations et du French Cancan. Il faisait froid, la cérémonie a duré longtemps, on n’y voyait que gouttes mais personne parmi les huiles – dont on sait qu’elles flottent sur l’eau – n’a osé, pourtant excédé et trempé, quitter devant les caméras du monde entier les tribunes officielles pour rentrer au chaud, le chauffeur de toute façon introuvable. C’était un premier signal ironique que, pour ces jeux finalement populaires, ce soit à la France d’en haut de se retrouver à son tour dans un tel inconfort.
D’ailleurs celle-là se rattrapera très vite dès qu’apparaîtra, avec le soleil, l’enthousiasme plébéien et tous les pouvoirs en place de se précipiter alors au secours de la victoire, le premier et le dernier d’entre eux, Vulcain ex-Jupiter, qui ressemble d’ailleurs de plus en plus à un Corto Maltese pour ménagères de plus de 50 ans, allant même jusqu’à remettre, tel un maître d’hôtel du CIO, sa série de médailles en direct du haut des Champs-Elysées, juste pile-poil pour les JT. Pourquoi pas ? Les champions du monde ont bien droit à leur descente des Champs et ont bien mérité de la légion d’honneur.
Pour autant, attention au trompe-l’œil, comme dans ces contes quand la ville est ripolinée de façon factice pour la venue du roi, qui s’ébaubit. Comme le monde entier s’est ébaubi devant les images ciselées de ces épreuves sportives au sein des bâtiments les plus prestigieux de la ville. De l’escrime dans le Grand Palais et des canassons dans le parc de Versailles, tous pour un, un pour tous ! Bref, le Paris des XVIIIe et XIXe siècles, le fantasme des touristes de masse. Paris 2024 ? Où était le XXIe siècle, le Paris du deuxième millénium ? Je ne sais pas vous mais moi je ne l’ai vu nulle part. Le futur architectural à Paris doit être planqué quelque part pour être utile pour les JO de Paris 2124 !
D’ailleurs, derrière le Paris de carte postale, c’est bien l’image vieillotte d’une ville-musée qui a amusé le monde entier. Kallimarmaro, qui signifie « d’un beau marbre », est le stade antique d’Athènes, il existe encore. Il est aussi appelé stade panathénaïque, c’est-à-dire, « le stade de tous les Athéniens ». Pour ce qui nous concerne, nous serons sans doute bien en peine de trouver l’équivalent en 2124 ! Mais les Grecs avaient compris tout l’intérêt de voir s’affronter leurs héros pour autre chose qu’une belle Hélène bonne poire !
À propos de stade qui traverse les siècles, question image, il convient sans doute également que le seul équipement majeur réalisé pour ces Jeux olympiques, le Centre Aquatique et la passerelle qui le relie au Stade de France, soit conçu par une agence néerlandaise, VenhoevenCS, avec Ateliers 2/3/4/. Certes, le stade nautique olympique de Vaires (Seine-et-Marne), particulièrement mis à l’honneur durant les épreuves de canoë-kayak et d’aviron, est également appelé à durer. Il a été livré dès 2019 par l’agence allemande Auer Weber. Ce qui évidemment, question héritage, remplit de joie les architectes français qui ont dû se contenter de faire du logement de promoteurs, comme d’habitude. Quelle image de l’architecture française conquérante !
Certes le village olympique est lui aussi prévu pour durer mais il est ironique encore qu’il ait, dès son ouverture aux athlètes, mis à nu la posture de ces gens si soucieux du devenir de la planète. Des immeubles sans air rafraîchi grâce à une conception bioclimatique du tonnerre est sans doute acceptable pour ceux qui hériteront de ces appartements mais pour des athlètes de haut niveau, la bonne intention sirupeuse du cahier des charges ne suffit pas. Pour un athlète qui joue sa vie pour une médaille à 1/100ème de seconde, évidemment qu’il lui faut un air conditionné. Les fédérations ont donc à grands frais rempli les chambres de stations rafraîchissantes pour leur délégation, les plus pauvres suant le savoir-faire français.
Idem pour les lits en carton. La posture est de bonne volonté – un matériau pas cher, solide, recyclable à l’infini – pour les lits des athlètes mais la réalité est que notre société et nos rues sont désormais envahies de carton qui déborde de partout, dont nul ne sait plus que faire, une inondation, tandis que les plus pauvres doivent dormir sous des tentes inconfortables. Or nous savons depuis l’architecte japonais Shigeru Ban tout l’usage qui pourrait être fait de ce carton disponible à profusion mais la posture – l’aide aux migrants ou aux victimes de catastrophes – est moins valorisante pour la start-up nation que faire dormir Teddy Riner sur un lit de réemploi livré par Amazon. D’ailleurs, en y pensant, pourquoi ne pas, en tant qu’émules de Shigeru Ban, multiplier les logements de carton ? Une tempête et la maison s’envole, comme celle des trois petits cochons. Pas de souci pour autant, elle est reconstruite en moins de 24h, livrée avec le sourire de la fermière. Peut-être, à l’horizon 2050, la sobriété se sera-t-elle imposée à nous…
Bref, Paris 2024, une parenthèse enchantée certes mais qui n’a rien d’un miracle puisque, le pain et les jeux, la recette est connue depuis les Romains. De fait, s’il y a tout lieu de se féliciter de la bonne tenue de ces jeux, pour autant, c’est leur triomphe même qui en démontre la fragilité.
Voyons les prochains qui en 2028 auront lieu à Los Angeles. Si bien sûr d’ici-là la ville n’a pas été carbonisée par un Big Fire médaille d’or puisqu’à ce sujet, en Californie, tous les ans des records de feux gigantesques sont battus. Alors dans quatre ans… Qui sait… Et quels jeux ? Si Poutine est toujours-là, les Russes ne viendront pas, peut-être pas non plus les Chinois, et les Iraniens, les Vénézuéliens, etc. Où en sera la tectonique des empires dans quatre ans si, par exemple, Donald Trump venait à gagner en novembre 2024 l’élection présidentielle américaine ? Le boycott ne serait pas une première puisque les Jeux de 1984, déjà à Los Angeles, furent boudés par l’URSS et 15 pays du Bloc de l’Est pour se venger des Américains qui n’étaient pas venus à Moscou en 1980. D’aucuns de se souvenir par ailleurs de ce qu’il est advenu de la Russie après sa Coupe du monde de foot en 2018 et de la Chine après ses JO de 2008. Bref bonne chance à Los Angeles 2028.
De fait, les villes ne se bousculent plus pour accueillir les jeux olympiques et le CIO était tout heureux de se débarrasser de la patate chaude des JO d’hiver 2030 en les « offrant » quasiment à la France (Le Parisien 13/09/24). Mais, vraiment, qui peut parier sur la neige dans les Alpes d’ici six ans ? Chacun se souvient des JO d’hiver 2022 à Pékin, les pistes alimentées aux canons à neige. Comme justement ce qui se fait déjà chez nous pour sauver les saisons touristiques. D’ailleurs, pour les prochains jeux d’hiver en 2026 à Milan et Cortina d’Ampezzo, dans les Dolomites, la neige se fait déjà de plus en plus rare. Alors en 2030 dans les Alpes, c’est un pari… Peut-être Michel Barnier, Premier ministre et ancien élu de Savoie, va-t-il autoriser près de chez lui la construction de mégabassines pour assurer la neige artificielle en abondance en toutes saisons…
Sans parler du problème des infrastructures nécessaires et de leur durabilité, même s’il faut noter que tous les équipements construits pour les JO d’Albertville en 1992 sont aujourd’hui en fonctionnement ou ont été reconvertis. Pour autant, il convient de se demander si les jeux d’hiver ne sont pas à terme condamnés faute d’athlètes : nul n’apprend à skier sur des champs de cailloux et peut-être qu’en 2030 la seule neige visible à Albertville sera celle des boules de verre vendues aux touristes. L’architecture des stations de « sports d’hiver » devrait en être affectée.
Enfin, si les jeux olympiques tels que nous les connaissons semblent condamnés à plus ou moins long terme, il n’en va pas de même des jeux paralympiques. En effet, si Elon Musk l’emporte avec son concept d’homme augmenté, ce n’est qu’une question de temps que, la technologie aidant, les handicapés de tout poil n’explosent tous les records des valides et, en conséquence, tous les records d’audimat. Devant l’extraordinaire augmentation des corps et donc des performances – toujours plus haut, plus vite, plus fort – c’est là qu’ira désormais l’argent des sponsors et des industriels parce qu’il faudra bien pour l’humanité continuer à se goinfrer, ne serait-ce que de sauterelles de l’Apocalypse réemployées en circuit court.
Pour Elon Musk, Ben Johnson dopé jusqu’aux oreilles et vainqueur au JO de Séoul en 1988 de la finale du 100 mètres masculin en 9,79 s, devant Carl Lewis, était juste un prototype de l’athlète augmenté. D’autres ont suivi. Manquerait plus maintenant qu’il ne veuille nous cloner Teddy Riner…
Christophe Leray