Déplacer Paris au Havre ? Et dire qu’Edouard Philippe a un temps caressé l’intention de se présenter dans la capitale, voilà qui ferait l’affaire. Et Villani, l’astéroïde bourré d’hélium issu de la ceinture de Jupiter et lancé à toute allure pour se fracasser sur la capitale annonce-t-il la fin des dinosaures parisiens ? Les municipales sont en tout cas l’occasion pour les candidats de donner toute la mesure de leur talent.
Il faut dire que maintenant que la campagne des municipales à Paris est lancée dans l’une de ses dernières lignes droites, les candidats à l’Hôtel de ville se bousculent pour faire des propositions, évidemment de bon sens, à propos d’urbanisme et du futur de la capitale.
Marcel Campion, le roi des forains, en voilà un par exemple qui est franc du collier puisque sa liste Libérons Paris ne propose rien moins que de rouvrir les voies sur berges, d’interdire les trottinettes (qui lui en voudrait ?) et de doubler le périphérique. Il fallait que cela soit dit. Depuis que François Fillon est hors-course – souvenez-vous des ambitions de celui-là – s’il en faut encore un pour défendre l’Automobile Club de l’Ouest, Marcel Campion est votre homme !
Justement, à propos des voies sur berges, soit dit en passant, n’aurait-il pas été plus judicieux de laisser les voies sur berges rive droite ouvertes au trafic et de transformer la rive haute en boulevard urbain plutôt que l’inverse ? Mais bon, ce qui a été fait peut être défait.
La preuve, Danièle Simonnet (La France Insoumise) propose carrément d’annuler les Jeux Olympiques. «Les retombées financières ne sont pas garanties et toutes les éditions précédentes ont vu leur budget initial dépassé. D’ailleurs celui de Paris est déjà dépassé et sans compter le budget sécurité», déclare d’un air entendu l’élue d’extrême gauche (BFM – 24/10/19). Elle indique cependant, prudente, que cette remise en cause des J.O. serait soumise à référendum. Si ce n’est pas là parler très fort pour ne rien dire…
Qui saurait la blâmer quand la course à l’investiture semble fricasser le cerveau de ceux apparemment pourtant les mieux avertis ? Gaspard Gantzer par exemple (Parisiennes, Parisiens). L’ancien porte-flingue de François Hollande entend, lui, le supprimer le périphérique. A la place, il suggère de «végétaliser» et de «faire place à de nouveaux projets immobiliers». Trop d’imagination tue l’imagination ! Une proposition de mauvais joueur qui finit par miser ses derniers 1% et qui n’a plus à la fin de la foire de quoi payer le taxi pour rentrer chez lui ?
Et que penser de David Belliard (Verts) qui propose des épiceries Bio Municipales comme à Cuba. «Nous voulons du 100 % bio dans les cantines pour nos enfants et mettre tout en œuvre pour faire baisser les prix des loyers», indique-t-il (Le Parisien – 02/06/19), expliquant pouvoir «réduire l’impact environnemental tout en dégageant de l’argent pour financer aussi des programmes de solidarité». Avec une taxe carbone par exemple ? Quoi qu’il en soit, baisse des loyers ET cantine bio, c’est poire ET fromage pour les bonnets rouges ! Les électeurs lui sauront-ils gré de sa bonne volonté biosourcée ?
Pierre Mansat (Ha les cococo, les cococo, les communiiiistes, des bords de Seine ils sont partis, n’en parlons plus…) a le mérite de prendre de la hauteur. «Les municipales à Paris ne pourront pas se faire sans une vision métropolitaine du territoire», explique-t-il, docte, à son réseau social (26/01). C’est vrai quoi, à écouter quasiment tous les autres candidats, d’aucuns pourraient penser que Paris est une île au milieu de sa banlieue et que les banlieusards ne sont pour rien dans sa richesse.
Ce n’est cependant pas le cas de Cédric Villani qui propose de construire des passerelles au-dessus du périphérique, afin de labelliser les banlieusards Zéro Carbone sans doute, et d’user «de la modélisation mathématique pour fluidifier la circulation» des cantines 100 % bios de David Belliard.
C’est de la science… La preuve. Quand Cédric Villani dévoile son souhait de déplacer «le trafic des trains de grandes lignes Eurostar et Thalys» de la gare du Nord à Saint-Denis, en banlieue nord, Benjamin Griveaux (Paris Ensemble) propose quant à lui, dès le lendemain, de carrément déplacer la Gare de l’Est à la campagne et de mettre la campagne à Paris avec un central Park à la française, «un poumon vert». Trop d’imagination, etc.
A ce compte-là, pourquoi ne pas déplacer Paris jusqu’au Havre comme le fameux concours Réinventer du même nom ?
De quoi quand même se poser des questions. Pour un tel projet pharaonique, Benjamin Ramsès Griveaux, élu député en 2017 dans la cinquième circonscription de Paris, devenu secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances au sein du gouvernement Édouard Philippe II tout en assurant le porte-parolat du gouvernement, est sans doute entouré de conseillers tous plus malins les uns que les autres. Sa campagne, en l’état, en témoigne abondamment. Mais lequel parmi les conseillers de cet homme éminent, un architecte ou un urbaniste peut-être, a pu lui souffler pareille vision d’envergure nationale ? S’il voulait pour son poulain faire la Une des gazettes, opération réussie.
Anne Hidalgo pour sa part se garde bien de toute grandiloquence, elle n’en a pas besoin. Des poumons verts ? Elle en a déjà greffé tout Paris. Des parcs ? Elle en prévoit déjà deux supplémentaires et personne ne lui apprendra la forêt urbaine ! La «vélopole» d’EELV ? La maire sortante a déjà fait part de son intention de faire de Paris une gigantesque piste cyclable. L’encadrement des loyers, une nécessité selon Cédric Villani ? L’édile en chef ne dit que ça depuis tout ce temps, d’ailleurs elle veut même les baisser de 20% les loyers. Le réchauffement climatique ? Elle est spécialiste !
Et quand Anne Souyris, adjointe à la maire de Paris en charge de la santé et tête de liste EELV dans le XIIIe, propose carrément de retrouver le lit de la Bièvre autour de laquelle serait dégagée «une coulée verte piétonnisée avec de la verdure» (sic) (CNews – 03/02/20), Anne Hidalgo n’est guère impressionnée. L’idée date de Bertrand Delanoë, son prédécesseur à l’Hôtel de ville, ce qui ne rajeunit personne, et sans doute que la surenchère et la provocation, si elle lui en touche une, ne fait pas bouger l’autre, comme disait Jacques Chirac, un autre ancien maire de Paris.
Et ce ne sont pas les délires de déménagement de la Gare de l’Est de son jeune challenger, qui a déjà bien du mal à tenir sur le ring, qui vont l’inquiéter plus.
Ha oui, sinon, à destination «des classes moyennes», Anne Hidalgo propose également de créer 30 000 logements avec des loyers inférieurs de 20 % aux prix du marché. Pour le coup, rien de faramineux mais la politique du vieux monde. Cette classe moyenne inférieure de 20% devra-t-elle, pour faire la queue, posséder sa vignette Crit’air en bois à la cire d’abeille ? Trente mille logements à prix d’ami, il y a de quoi faire plaisir.
Reste une inconnue. Non que Rachida Dati soit une inconnue, au contraire, mais elle se montre d’une prudence de sioux et se contente jusqu’à présent de pilonner le bilan d’Anne Hidalgo et de railler les nains sur son chemin au fur et à mesure qu’elle les écrase, ce qui attire toujours une forme de sympathie de l’opinion et fait peu de mécontents parmi la population générale.
L’ex-garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy et maire sortante du VIIe arrondissement, d’un conservatisme à tout crin, s’en remet sans doute aux mânes d’un Jean Nouvel pour qui le meilleur projet est celui que l’on ne dévoile pas durant le concours mais seulement après l’avoir gagné. Et encore…
Christophe Leray et Alice Delaleu