Dans une tribune publiée par Le Monde (21/02/2022)*, Christophe Najdovski, maire-adjoint de Paris en charge de l’« Écologie pour Paris », développe pour la capitale de la France le concept de « ville-jardin ». Lequel fait logiquement suite à celui de ces « forêts urbaines » censées la composer. D’un oxymore l’autre inventé par Anne Hidalgo, maire candidate à la fonction suprême, aussi loin que les Français sont concernés, cela vaut 3%. Heureux Parisiens…
Au moins, après les murs et les toits végétalisés, la ville de Paris ramène la végétation au sol. Si d’aucuns en jugent par le succès insensé des pieds d’arbres décorés et des jardins collectifs dans la rue, c’est un moindre mal !
Etonnamment, l’adjoint débute sa tribune en parlant de la tour Eiffel dont le parvis, écrit-il, était il y a vingt-cinq ans un parking à ciel ouvert. « Inimaginable aujourd’hui », s’écrie-t-il. Puisqu’il en parle, nous pourrions rétorquer qu’il y a quelques années à peine, la « dame de fer » si chère à son cœur n’était pas enceinte d’un corset disgracieux et que chacun avait accès à ses piliers sans mot de passe ! Inimaginable aujourd’hui ?
Mais revenons à la « ville-jardin », ce qui, avouons-le, a plus de gueule qu’une simple « cité-jardin ». Ou peut-être les conseillers à 3% de la maire n’y avaient pas pensé : « Paris, la cité-jardin du futur ! ». Ou alors, le slogan sentait trop le prolo, ce qui fait évidemment mauvais genre pour les socialistes parisiens. Va donc pour la « ville-jardin », surtout depuis, comme le souligne l’édile, que « les Parisiens ont retrouvé leur fleuve » au terme de « batailles homériques ». Après la « Guerre » contre le Covid du président, les batailles romanesques de la maire de Paris qui emmène ses administrés de Charybde en Scylla. Ils doivent en être fort aise à Kiev de notre courage !
Sans se boucher les oreilles, sensible au chant sirupeux des sirènes de l’air du temps, Christophe Najdovski poursuit avec l’idée selon laquelle la « ville thermique […] offerte aux moteurs à explosion » est forcément « vulnérable à ses externalités négatives comme les bouchons, le bruit et la pollution de l’air ». C’est vrai. La difficulté est que les « externalités négatives » en question, même en novlangue dont cette tribune est truffée, sont consubstantielles de la ville.
Que l’on y aille à pied, à vélo, en trottinette, en voiture, en camion ou en carriole à bœufs, il y a forcément embouteillage pour aller au marché justement parce qu’il y a le marché. Sauf si le marché n’intéresse personne. Et les embouteillages, cela fait du bruit et cela pollue, sauf évidemment à récupérer les bouses pour en faire un engrais naturel pour l’agriculture urbaine. Sinon, ce n’est pas compliqué, vous enlevez la ville, fini les embouteillages.
Pour le coup, tenter de vendre la ville sans bouchon est manquer singulièrement d’urbanité, un peu comme vendre une maison sans toit. Certes, c’est possible. Tiens, par exemple, dans les rues du Bucarest de Ceausescu, qui se souvient avoir jamais vu d’embouteillage ? Sinon, au grand marché à bestiaux de Tucson, Arizona, le cow-boy pas malin rouspétait déjà qu’il y ait trop de monde et qu’il ne savait pas où planter sa tente !
« Cette « ville-jardin », nous la faisons pousser au cœur des quartiers, en commençant par les rues à proximité des écoles, pour que les enfants puissent y évoluer dans un cadre sécurisé et agréable, et même rester jouer après l’école », assure l’adjoint. Au secours ! Parce qu’aujourd’hui l’abord des écoles est si peu sécurisé et agréable que, mieux que des caméras ou des vigiles, quelques arbres y feront la différence ?
Quelques arbres ? Que dis-je, il s’agira bien entendu de forêts urbaines, comme dirait Calypso. D’ailleurs y seront plantés en permaculture des arbres fruitiers pour nourrir la faune sauvage soudain chez elle en ville. Ne manquerait plus que dans trente ans les bambins y aient peur du loup, des parents inquiets s’empressant alors de raser la forêt, si elle n’est pas déjà devenue un dépotoir. Dans la ville-jardin, faudra-t-il vacciner tous les enfants contre la rage ?
Que faire sinon des moustiques ? Les moustiques aiment en effet les sous-bois humides et la chair fraîche d’enfants au sang pur. Comme à La Réunion, où le moustique est responsable d’une autre épidémie, La Dengue. Le moustique, surtout le Tigre – signe chinois de l’année 2022, brrr brrr – est-il une nuisance supportable ou cette ville-jardin sera-t-elle passée à l’insecticide et au pesticide tout comme le jardin de mon voisin ?
Malgré les vœux de biodiversité affichés par les élus parisiens, il est à craindre que la ville-jardin ne soit pas forcément une bonne nouvelle pour les moustiques et, si elle n’est pas bonne pour les insectes… Mais bon, si cette forêt pousse aussi vite qu’un immeuble d’Edouard François, les bambins ont le temps de voir venir et de prendre des coups de soleil. Et puis, les cafards aiment aussi les climats chauds et humides…
Circée, qui s’y connaît en magie, entend donc « transformer des ronds-points automobiles bitumés en places piétonnisées et végétalisées », dont le Trocadéro par exemple. Attention batailles homériques et médailles en chocolat en vue.
L’un des soucis de cette vision bucolique est qu’il est facile d’imaginer comment ces rues hyper-confortables malgré la canicule, au cœur d’une cité d’arts et de loisirs, sauront attirer des magnats de royaumes ou d’émirats divers qui verront en Paris, dans 25 ans, quand les arbres auront poussé, la dernière oasis de France, voire d’Europe. Et les autocrates viendront du monde entier se rafraîchir dans la ville-jardin & lumière comme les empereurs chinois déménageaient chaque année de leur palais d’hiver à leur palais d’été. Alors un nain de jardin ici, un autre là, tous ensemble pour applaudir une chasse à courre sur les Champs-Elysées. Pas une vraie chasse évidemment, une chasse stylisée, comme dans la Rome antique mais sous les frondaisons d’un parc aux écureuils.
« La « ville-jardin » a des arguments pour convaincre au-delà des classes sociales. Elle a vocation à se développer partout dans la capitale. Pas seulement pour survivre face au dérèglement climatique. Mais tout simplement pour mieux vivre au quotidien », se défend d’avance l’adjoint, cependant volontiers menaçant à l’encontre des adeptes de la « ville thermique », forcément des imbéciles et des non-citoyens, surtout dans l’ouest parisien, suivez son regard…
En attendant Babylone, le capitalisme aura trouvé que vendre de l’air potable – i.e. respirable – est la dernière astuce pour faire grimper les profits du CAC40, et hors les « villes-jardins », la population rendue stérile comme les abeilles par toutes les saloperies chimiques qu’elle ingurgite en sera réduite à se payer, très cher, une PMA désormais légale pour pouvoir se reproduire.
Mais foin de préoccupations funestes, la ville-jardin et tout ça, depuis dix ou quinze ans que ça dure, ce doit être hyper important question « externalités positives ». La preuve, ça vaut 3% sur radio-trottoir. Et c’est encore compter gentiment. Heureux Parisiens…
Christophe Leray
* Urbanisme : « La “ville-jardin” a vocation à se développer partout dans la capitale »