La première chronique de l’année est généralement dédiée aux mots de l’architecture. Ce janvier, peau de balle et balai de crin sur le lexique à la mode. Cela annonce-t-il une disette conceptuelle en 2023 ? Pour éviter le stress, dissertons sur la présence en augmentation des chiens et des chats dans les agences.
Les animaux de compagnie ont globalement la cote en France, notamment chez jeunes urbains qui constituent une grande partie des contingents des agences d’architecture. Dans le pays, une étude de la FACCO* et Kantar en 2020 ne dénombrait pas moins de 75 millions d’animaux domestiques (dont 15,1 millions de chiens et 7,5 de chats) soit plus que la population humaine. Ce qui fait un certain nombre de compagnons prêts à s’ennuyer à côté (sur le) du canapé en attendant que leur propriétaire rentre, exténué, du turbin.
Travailler avec son chien n’est cependant plus l’apanage des présidents, n’en déplaise au Golden Retriever de Gérard Ford ou à Nemo, le labrador farceur d’Emmanuel Macron. Pourtant, bien que la pratique reste marginale en France, de plus en plus d’entreprises acceptent d’accueillir plus ou moins ponctuellement les compagnons à quatre pattes des collaborateurs ; les agences d’architecture n’échapperont pas à la règle.
Preuves s’il en est, fleurissent sur leurs sites quelques portraits indiquant la présence dans les agences des fidèles mascottes telles Orson, à mi-temps chez KOZ architectes, Rough, le pinscher nain d’Olivier Leclerq d’AIR Architecture, le corgi « happiness manager » Rubis de Jaykay Land de l’agence LA/BA ou de Loki, jeune chien curieux chez Ivry Serre. Les chats sont plus discrets sous les chauffages. Zad aura laissé quelques jolis souvenirs à WRA/Ithaques comme Fat Jack, exposé avec les travaux de l’agence HAH à la Cité de l’architecture en 2017 lors de l’exposition « Clichés d’architecte » et dont le faire-part de décès a été diffusé dans les « actualités » de l’agence, sans oublier « l’increvable » Dang Jin Kun, mascotte d’Echelle Inconnue depuis … 2001 !
La relation architecte/animaux ne date pas d’hier et n’est pas sans rappeler l’histoire de Le Corbusier et de son fidèle ami Pinceau du Val d’Or, disparu noyé sur la plage du cabanon de Roquebrune-Cap-Martin du concepteur, comme un présage de l’accident qui lui coûtera d’ailleurs la vie vingt ans plus tard. Pour ce qui est de la dépouille de Pinceau, l’architecte en fit tanner la peau pour l’utiliser en reliure d’une édition de Don Quichotte, objet aujourd’hui conservé par la Fondation Le Corbusier. Si, à n’en pas douter, comme Malraux avec son chat Fourrure, Le Corbusier s’est forcément inspiré de son compagnon à poils, loin de lui l’idée de créer un « clapier géant pour locataires cobayes », comme cela lui fut reproché avec la Cité radieuse.
Désormais, à l’instar des Google et autre Purina, les architectes peuvent doucement espérer pouvoir amener leurs compagnons à l’Atelier, supprimant l’excuse pour esquiver la charrette du jour en rappelant l’obligation de la balade du chien sous peine d’odorantes représailles. Car si les animaux sont souvent ceux des associés, ce n’est cependant pas toujours le cas, les bêtes abolissant en partie quelques frontières sociales et hiérarchiques. « Orson est dans son panier mais tout le monde le papouille. La pause déjeuner, il la passe avec les collaborateurs dans le canapé de l’agence », témoigne Nathalie Bernini, qui amène son beagle depuis qu’il a cinq mois.
Si les patrons des Gafam inspirent les chefs d’agence, c’est que de nombreuses études font apparaître les bénéfices de la présence animale au bureau : un caractère apaisant, un stress en baisse, une empathie décuplée et des relations améliorées avec ses collègues. « La présence de Rough à l’agence permet de désamorcer les tensions », explique Olivier Leclercq à propos de son fidèle petit compagnon de trois ans qui l’accompagne à l’agence presque chaque jour. « Il nous fait aussi relativiser nos soucis quand les siens sont finalement très simples : boire, manger, être caressé », ajoute-t-il
Selon une étude menée par le modeste marchand de croquettes Purina (filiale de Nestlé), en 2016, 44% des salariés aimeraient amener leur chien sur leur lieu de travail alors que seulement 16% peuvent le faire. La possibilité de venir travailler avec son chien entre d’ailleurs dans les cinq raisons qui font pencher la balance dans le choix d’un emploi. De l’aveu des propriétaires, les journées sont plus sympas avec un animal. « Quand je prends le chien, ma journée est plus souriante. Sinon, j’ai une journée de Parisien, je me fais engueuler sur mon vélo », en rit Olivier Leclercq (le chien est là lors de la discussion téléphonique).
D’un point de vue légal, il est possible pour une agence d’accueillir un animal puisque le Code du travail ne l’interdit pas. Charge à l’entreprise de l’accepter, ou non ou selon ses recommandations : espèces acceptées, lieux dédiés, concertation entre collaborateurs … A l’agence Richez et Associés, c’est le secrétaire, Jean Nguyen qui pendant de longues années a lancé la tradition en amenant chaque jour plusieurs générations de fidèles amis au bureau. « Ils mettent une bonne ambiance », raconte-t-il. Au point que désormais, certains jours, il est possible de croiser au sein de cette grande agence un labrador, un jack ressel ou encore un pinscher.
La présence d’animaux en entreprise serait par ailleurs un anti-stress naturel dans la lignée des multiples études démontrant les effets relaxants des bestioles poilues sur les humains. Ils entraînent une libération d’endorphines calmantes : l’ocytocine. D’autant qu’en présence d’un animal, les tensions s’apaisent aussi naturellement. Ce qui était valable lors des émeutes de 2005 lorsque la police montée a été appelée en renfort dans les cités en flammes de Seine-Saint-Denis pour apaiser les émeutiers se vérifie aussi dans les bureaux. Surtout lorsque le niveau d’anxiété ambiant augmente à mesure que le rendu d’un PRO approche !
Si longtemps les pauses ont été mal vues, d’aucuns savent maintenant qu’elles boostent la productivité. Un animal à l’agence implique nécessairement une ou deux promenades digestives, de marcher un peu, de s’aérer la tête et de revenir libéré devant son écran. Sans compter sur la capacité des animaux à favoriser les liens entre les collaborateurs. Le bureau de Jean était très fréquenté grâce à la présence de ses chiens, « les collaborateurs venaient jouer avec », se souvient-il. « Un animal apporte une bouffée d’oxygène dans nos journées et parfois du réconfort », confirme Nathalie Bernini.
En ces temps de difficulté de recrutement et de fidélisation des équipes, voilà de quoi retenir au travail de jeunes générations plus volatiles que leurs aînées ? En termes de marque employeur, c’est au moins aussi nature que le Yoga et bien moins cher à mettre en place que la semaine de quatre jours, l’un n’empêchant pas l’autre. D’ailleurs, Orson chez Koz est à 50% de temps de travail, deux jours par semaine dans cette agence qui a mis en place la semaine de quatre jours depuis quelques mois.
Les agences, comme toutes les entreprises, montrent quelques réticences liées aussi à l’imprévu. « L’entreprise qui accepte le chien est une entreprise qui accepte l’imprévu, l’exception et l’aléa. D’une certaine façon, celles qui font un blocage sur ce sujet en font plein d’autres », estime David Abiker, journaliste à Radio Classique et fondateur de la ligue canine des travailleurs avec son chien, Obi-Wan.
Selon Jean, les animaux peuvent cependant représenter quelques contraintes, surtout lorsqu’ils sont jeunes et qu’il faut les balader plus souvent. Pour AIR architecture, si l’associé avoue ne pas être contre la présence d’autres chiens, Rough lui fait bien comprendre que ce ne sera pas possible d’embaucher un chat.
Chiens ou chats ne pourraient-ils pas devenir des collaborateurs à plein temps ? C’est peut-être le cas pour Lio et Oréo, le caniche et le schnauzer de l’agence américaine ANX dont les CV sont en ligne : « Lio a un master en archéologie, il aime bien déterrer les os », indique le site internet de l’agence californienne. Ne serait-il pas temps en effet, tel Rubis de Jaykay Land, le corgi, « happiness manager » de l’agence LA/BA, d’aller un peu trimer pour gagner ses croquettes ?
Léa Muller