Cette année encore, pour la 4ème fois, le magazine Vanity Fair (qui pourrait se traduire par foire aux vanités) a présenté le 21 novembre 2016 les 50 Français les plus influents du monde – artistes, chanteurs, créateurs, entrepreneurs, designers, sportifs, scientifiques, politiques, écrivains, chefs, acteurs, …- «qui font rayonner le génie français dans le monde». Parmi eux, à la 10ème place, un architecte, Jean Nouvel, ainsi présenté : «le plus insoumis des architectes français qui vient de livrer en septembre sa dernière merveille : le Louvre Abu Dhabi».
Mon petit doigt me dit que le ‘merveilleux’ Emirat doit se montrer généreux à l’endroit de Vanity Fair quand il fait sa promotion. D’ailleurs Nouvel est encore dans la liste des nominés au prix Aga Khan 2016 d’architecture, l’un des plus prestigieux au monde, pour une tour à… Doha. Qui sait s’il a de l’influence dans le monde mais il en a dans les émirats. Mais bon, pourquoi pas. Jean Nouvel donc.
Selon la façon dont est regardée son œuvre, il est permis en effet de penser que son influence puisse être considérable dans le monde (et encore cela reste à prouver mais soit), il est aussi permis de penser que vu la façon dont il boucle quelques-uns de ses chantiers ici en France cette influence n’est certainement pas à l’avantage du rayonnement du génie français dans le monde. Les Bains docks du Havre témoignent parfaitement de cette ambivalence : un formidable dessin, une exécution catastrophique. La philharmonie de Paris est un autre exemple. Mais peut-être n’est-ce pas là la faute de Nouvel mais de la France.
Ses laudateurs en tout cas voient le verre carrément plein et relèvent que l’homme de l’art a su s’engager et prendre position. Chacun se souvient en effet de la fameuse tribune en 1999 dans Le Monde ‘Boulogne assassine Billancourt’. La raison peut-être, même si ça date, pour laquelle Vanity Fair parle d’un architecte «insoumis». Hasard sans doute, dix ans plus tard, le même est le coordinateur du projet de l’île Seguin et, en 2016, nul ne peut dire que c’est une réussite.
Entretemps, Nouvel est peu ou prou parvenu à produire une architecture variée, la sienne. Oui il s’est parfois/souvent planté sur les détails mais au moins rappelle-t-il à tous ses collègues que construire ce n’est pas acheter un produit industriel, c’est au contraire le créer. C’est quand l’industrie soutient l’architecture qu’il y a de l’innovation, pas l’inverse.
Et s’il s’est reconverti dans le design ? L’architecte n’a-t-il pas vocation à être généraliste, sinon universel ? Certes chacun voit bien les dégâts causés par les programmiste depuis 20 ans. Les créateurs tels Jean Nouvel ou Philippe Stark ne font-ils pas avancer la recherche comme la formule 1 fait avancer la recherche automobile ? Chaque bâtiment est un prototype et, avant de mettre en cause l’architecte pour la médiocrité des détails, il convient peut-être de s’interroger sur la qualité des entreprises retenues, pas seulement d’ailleurs sur les chantiers de Nouvel car nous n’apprenons rien à personne en disant qu’en France, la main d’oeuvre laisse souvent à désirer.
Bon, en tout cas, Nouvel au moins revendique de faire des bâtiments chers. Très bien sauf que ces qualités ne s’appliquent pas au seul Nouvel, qui se voit lui pourtant affublé, selon Vanity Fair, d’une influence apparemment étendue.
Il est vrai encore que Jean Nouvel a transformé la communication des agences et introduit dans le dictionnaire le mot ‘stararchitcte’. Combien sont-ils désormais à reprendre sa fameuse pose du penseur ? C’est sûr que dans ce cadre, être célébré par Vanity Fair est pour Nouvel tout à fait approprié. En ce sens il a permis à la profession de s’émanciper : oui on a le droit de se vendre et autant que cela ait de l’allure. Il n’y est sans doute pour rien si aujourd’hui toutes les agences éprouvent le besoin de communiquer (sans trop savoir s’y prendre le plus souvent), Nouvel n’en était pas moins précurseur et parfaitement en phase avec l’air de son temps.
Question d’image ? Mais une image c’est le plus souvent ce que demande la commande publique, et les élus de raconter des sornettes quant au budget du concours pour que ça passe auprès des administrés. Certes le concours de la Philharmonie indiquait un budget de 200 M€ et c’est à ce prix que Nouvel a gagné. Chacun savait pourtant que ce n’était pas là le vrai coût d’une philharmonie (se souvenir de l’esclandre de Zaha Hadid !). Mais si Nouvel avait disposé dès le départ du budget finalement dépensé, l’ouvrage proposerait peut-être de meilleures finitions, du moins peut-on l’espérer. Bref, encore ne faut-il pas faire porter à Nouvel des habits trop grands pour lui.
Enfin, pour être architecte, d’aucuns conviendront qu’il faut être un peu, beaucoup, voire passionnément mégalo et sans doute qu’à ce sujet Nouvel ne le rend à personne. Et si lui finit plus ou moins ruiné, il fut, comme beaucoup de personnages historiques (oui historique, osons le mot) un remarquable créateur de richesse car il a fait travailler beaucoup de gens, dont des avocats en grand nombre.
Ses détracteurs pourront eux voir le verre à moitié vide et pourront, sans être démentis, mettre en exergue les interminables dépassements de budget, les faillites répétées, les ouvrages pas toujours bien conçus et les chantiers bâclés, dont la Philharmonie et le Musée Branly, sans même parler des thermes du Havre fermés au bout de six mois car ils tombaient par terre. Les ‘starchitectes’ anglo-saxons et japonais et allemands ont le souci de la finition. Bon il est vrai que les ouvriers japonais travaillent en gants blancs. Mais il est aussi vrai que Nouvel a fini dans ce domaine par devenir le symptôme d’une génération d’architectes désormais perçue par le public comme arrogante et dispendieuse.
Pourtant, malgré sa reconnaissance, Nouvel ne porte en rien la voix de la profession et ne s’est finalement jamais engagé autrement que pour lui-même, ce qui relativise le courage. Son statut de star médiatique a cependant transformé celui de l’architecte lambda tant le grand public ne sait plus qu’un architecte est simplement quelqu’un qui construit des bâtiments, comme la maison du voisin par exemple qui a l’air pas mal. Et quand il y pense le grand public, se remémorant tous les reportages et les articles, il se dit que c’est forcément cher. En partie à cause de Nouvel, l’architecture n’est plus un art mais un coût ! D’où peut-être une prédilection pour la chaleur des Emirats plutôt que pour les frimas du Havre.
Les remarques acides de quelques confrères aigris ne gâtent en rien la notoriété, au contraire : «Les architectes eux-mêmes doivent descendre du piédestal d’artiste sur lequel on les a placés», comme l’écrit l’autre. Qui est ‘on’ ? Les élus ? Les médias ? Ses pairs ? Si Nouvel est le plus connu des architectes auprès des Français, ce n’est pas de sa faute puisqu’ON l’a placé sur un piédestal.
Bref, même s’il convient de se réjouir qu’un architecte ait été retenu dans cette liste, à l’intention de ceux qui dans le monde préfèrent reconnaître l’influence de Nouvel plutôt que la subir, cette place dans le top 10 de Vanity Fair méritait d’être nuancée.
La dernière fois que j’ai rencontré Jean Nouvel, c’était à l’automne 2015 lors du vernissage de l’exposition de l’une de ses lignes de mobilier. L’homme de l’art semblait fatigué et j’en fus attristé. A l’écoute des explications de son chef de projet, il semblait découvrir d’un œil distrait ses créations. La vérité du moment est donc peut-être que Jean Nouvel est devenu une griffe, une marque de luxe et c’est sans doute cet aspect qui a fini d’emporter la conviction de Vanity Fair. Ne lui manque plus qu’à faire de la pub pour Emirates Airlines et la boucle sera bouclée.
C’est pourtant bien l’architecture et le personnage qui demeureront. Difficile donc au final de savoir si véritablement Jean Nouvel fait rayonner le génie français partout dans le monde. Peu importe au fond : s’il faut réconcilier ses laudateurs et détracteurs, admettre que la façon dont il a mené sa carrière, sa vie, il avait le droit de le faire, qu’il ne s’en est pas trop mal tiré et que c’est déjà pas mal.
Christophe Leray