Comment redonner un statut désirable à la surnommée «plus belle avenue du monde» ? A cette interrogation l’agende PCA-Stream répond, entre autres, par le réenchantement, dont l’étude intitulée Champs-Élysées, histoire & perspectives* est exposée entre les murs du Pavillon de l’Arsenal depuis le 13 février. Visite.
Champs-Élysées, histoire & perspectives, fait suite à une réflexion menée à l’initiative du Comité Champs-Élysées en juin 2018 : Comment réenchanter les Champs-Élysées ? Comment faire pour les Parisiens d’arpenter de nouveau ses pavés ? Comment faire évoluer l’image d’un quartier tout en poncifs ? De septembre 2018 à avril 2019, PCA-Stream a exploré l’histoire de cette avenue, étudié ses usages et ses usagers, analysé les comportements, compris les enjeux et livré une vision prospective, aux avant-postes de l’évolution future, nécessaire et volontariste.
Les Champs-Élysées, qui incarnent depuis Marie de Médicis l’histoire de France, sont porteurs d’une charge symbolique universelle. Lorsque Le Nôtre prolonge l’axe du jardin des Tuileries au-delà des murailles qui ceinturent Paris, il matérialise la vision de son contemporain Descartes, qui invite l’homme, dans le Discours de la méthode (1637), à «se rendre comme maître et possesseur de la nature». «Cette dimension philosophique originelle associe durablement l’avenue des Champs-Élysées à l’avènement des temps modernes, au point que nous pouvons y voir l’un des ‘kilomètres zéro’ de la modernité occidentale», explique l’architecte Philippe Chiambaretta, fondateur de PCA-Stream.
Lieu historique de promenade et de flânerie des Parisiens, les Champs-Élysées deviennent sous le Second Empire le lieu d’exhibitions sociales, d’expérimentation des innovations urbaines et des Expositions universelles célébrant les progrès des sciences et des techniques. Très tôt, l’avenue marque son amour pour l’automobile et le cinéma.
Champs-Elysées vs Parisiens, les chemins de la discorde
Pourtant, après avoir incarné l’élégance française et les avant-gardes intellectuelles jusqu’à la fin des années 1960, les Champs-Élysées vont progressivement perdre leur attrait pour les Parisiens, jusqu’à faire l’objet d’un véritable désamour. Sur les 100 000 visiteurs quotidiens, 68% sont des touristes quand seulement 5% sont des promeneurs parisiens.
Il faut dire que la partie haute de l’avenue concentre tous les maux de la ville contemporaine : surchargée, surpolluée, victime d’un tourisme de masse, de la surconsommation, de la bétonisation, un sentiment d’insécurité et de nombreuses incivilités, bref une image à l’exact opposé de la ville désirable, calme, piétonne et verte telle qu’elle est souhaitée désormais. Un paradoxe puisque, à l’hyper-plein des Champs-Elysées du haut répond l’hyper-vide des Champs-Elysées du bas, dont le jardin de 24 hectares semble oublié de tous les Parisiens qui ne demandent pourtant que l’accès gratuit à la verdure. Il s’agit donc d’ici à 2030 de redonner aussi au Jardin des Champs-Elysées un statut de destination agréable et désirable, enchantée pour tout dire.
Faire revenir les Parisiens sur le champ
La vision prospective promue par l’étude n’est pas un projet. Elle pose un diagnostic sur ce territoire malade, mal aimé, déserté et propose un remède pour le rendre «désirable, résilient et inclusif». Après les manifestations de ces dernières années, dont certaines ont fait du verre pilé des vitrines de luxe, les enseignes constatant par ailleurs la baisse progressive de la fréquentation, les élections municipales, les Jeux olympiques de 2024 qui se rapprochent, les enjeux sont de taille.
Alors, quelle ordonnance docteur ? A l’ère de l’Anthropocène, la ville doit désormais être pensée comme durable en diminuant «son bilan carbone de moitié et en restaurant les écosystèmes naturels». Le bruit et la pollution de l’air pourraient être presque totalement éliminés par le choix d’un revêtement de sol et la transition vers les mobilités électriques et douces. PCA-Stream promet également la réduction des nuisances urbaines de la rue aux parkings. Comprenons que la voiture y aura de moins en moins sa place, que la végétalisation doit aussi y reprendre ses droits.
Notons un autre paradoxe. En effet, pour mettre en place sa vision, l’agence PCA-Stream indique avoir fait appel aux fournisseurs de télécommunications afin de recueillir et d’étudier, en tout anonymat, les données des téléphones des uns et des autres. Pourtant, nous le savons désormais, le big data, le Cloud, ne sont pas sans avoir un impact non négligeable sur l’environnement, un impact qui d’ici peu risque d’être équivalent à celui des voitures. D’autant que, pour limiter les nuisances, il s’agirait de changer le revêtement de sol, afin que des voitures électriques circulent en produisant encore moins de décibels…
Selon l’architecte, le territoire doit aussi devenir plus «inclusif, pour y accueillir un large public, jeunes, des familles et minorités, dans une mixité qui fait l’essence et l’attrait des villes». Pour cela, la piétonnisation de la place de la Concorde et la suppression de la rampe du tunnel sur le Cours-la-Reine sont envisagés pour retrouver la promenade d’origine entre les jardins des Champs-Élysées, les Tuileries et la Seine. Des itinéraires de substitution et autres raccourcis ont été imaginés pour éliminer les embouteillages de l’avenue qui pourrait se contenter de deux voies de circulation. Eliminer ou déporter les embouteillages dans les autres quartiers ?
L’étude de PCA-Stream dévoile aussi une prospection autour d’une nouvelle offre commerciale plus «parisienne» avec des ‘rooftops’ ouverts au public, des offres plus sociales et solidaires en s’éloignant de l’avenue. Surtout elle évoque «une programmation innovante, créative et non commerciale, jouant sur la synergie et l’engagement des talents et des institutions déjà présents».
Il est évident que l’avenue des Champs-Elysées nécessite d’être entièrement repensée dans son urbanité. Derrière toutes ces études venues du monde entier (Harvard, le MIT ont même été mis à contribution), il reste regrettable que les premières solutions ne soient qu’une énième redite pour marketer l’avenue avec un label Parisien compassé mais pourtant si vendeur.
Car, pour ceux qui vivent des pavés élyséens, la réelle motivation est bien là : faire revenir les Parisiens, transmuter l’image touristique, mal vécue, vers un ADN plus citadin, à grand renfort de «bistrots», de «gastronomie», «d’art de vivre» et autres expositions culturelles pour atteindre une nouvelle cible et de nouveaux consommateurs. Ce nouvel ADN sera-t-il vraiment parisien ? Espérons qu’il échappe aux poncifs qui nous sont servis à chaque consultation, comme si le bistrot (dont le nom vient du russe) était le seul élément de décor authentique à réinterpréter.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette étude prospective résulte d’une commande réalisée à l’initiative du Comité des Champs-Elysées, association réunissant propriétaires et occupants du quartier, dont les intérêts dépassent bien souvent la simple philanthropie. Citynove (foncière des Galeries Lafayette), Dassault Immobilier, Gécina et Groupama Immobilier ont largement contribué au comité de pilotage, comme un aveu que derrière une approche sincère d’amélioration et de correction des stigmates du temps, se cachent aussi des intérêts bien plus pragmatiques. Le projet est estimé à 150 millions d’euros, quand cette première étude a déjà été financée à la hauteur d’un million d’euros.
Le calendrier est en outre révélateur d’enjeu politique, personne n’étant sans savoir que la bataille des municipales fait rage autour de ces questions très électoralistes. Jean-Noël Reinhardt, président du Comité des Champs-Elysées le souligne d’ailleurs. «L’étude a été montrée à tous les candidats à la Mairie de Paris, et tous le soutiennent», dit-il. Le contraire aurait été bien étrange car cette étude tombe à point nommé dans les préoccupations toutes parisiennes. Pour la bonne forme, les Parisiens sont même conviés à donner leur avis via une plateforme de consultation en ligne.
D’aucuns se souviennent sûrement du projet de réaménagement de l’avenue Foch, pensé par Hamonic & Mason en association avec l’investisseur Marc Rozenblat (CDU), dont l’idée de réappropriation d’une avenue dédiée à la voiture avait aussi fait son chemin.
Souhaitons à la vision de PCA-Stream une meilleure longévité et un soutien plus soutenu des politiciens.
Alice Delaleu