Depuis 2003 que je publie des projets qui semblent intéressants, le temps passant, quelques-uns de ces projets deviennent des réalisations. Que reste-il des intentions de l’architecte ? C’est ce que nous vérifions au fil d’une série d’articles pour lesquels nous (re)visitons les bâtiments. Aujourd’hui, l’hôpital du Bailleul, dans la Sarthe, de J.P. Pargade.
Le discours d’inauguration du Pôle Santé Sarthe et Loir au Bailleul en décembre 2008 de François Fillon était un discours politique, puisque, en sus de la figure imposée des remerciements, il traitait surtout de la politique de santé de l’Etat. Mais le Premier ministre, dans un ouvrage enfin construit et en tout point, ou presque, conforme à ses attentes, tint à rappeler à son auditoire l’audace du pari stratégique acté huit ans plus tôt. «Ce fut une aventure extraordinaire, une aventure difficile,» dit-il, précisant encore que «la fusion intercommunale décidée en 2000 était un geste courageux mais pas un geste évident.»
L’idée de regrouper les hôpitaux de deux villes rivales – Sablé (dont F. Fillon fut longtemps maire) et La Flèche -, de couleurs politiques différentes qui plus est, dans un seul établissement situé en plein bocage à exacte distance (15km) des deux communes était en effet, en 2000, une première. Preuve en est que, depuis, une telle réorganisation régionale n’a été validée que pour deux autres opérations (Deauville/Honfleur et Belfort/Montbéliard). L’architecte Jean-Philippe Pargade, lauréat du concours en 2003, a du s’adapter à une nouvelle commande. «Je défendais les hôpitaux urbains,» note-il.
Aujourd’hui que l’établissement fonctionne depuis presque un an, le pari tenté par François Fillon et les élus des deux villes semble en partie gagné. Et l’architecture de Jean-Philippe Pargade y concourt.
L’architecte, dans la présentation de son travail tant en mars 2006 qu’en septembre 2008, met en exergue l’insertion dans le paysage de son «hôpital horizontal.» «Nous souhaitions garder cet aspect naturel de l’environnement, pas faire une entrée de ville,» dit-il. Il a même dû «se battre» pour préserver une haie naturelle qui borde la parcelle alors que le plan vigipirate imposait sa destruction et son remplacement par… une clôture en métal.
De fait, si la palette initiale imaginée lors du concours a disparu, la «vêture» de panneaux en verre sérigraphié de couleur verte, agrafés sur un mur de béton peint en vert afin d’en accentuer la profondeur, confère à l’établissement – par la brillance et le jeu de reflets – un aspect lisse et précieux qui fait le lien entre le paysage champêtre et le ciel. «La façade devient un immense miroir récepteur qui s’anime d’une pulsation vivante au gré des variations météorologiques, de la course des nuages et du soleil, selon les multiples états de la lumière,» écrit Jean-Philippe Pargade. C’est vrai.
Sauf que la présence seule de l’hôpital, doté d’un accès immédiat à l’autoroute A11 (Paris-Nantes), est aujourd’hui à l’origine d’un plus vaste projet de développement industriel et tertiaire sur les parcelles alentours. Et si le bâtiment se fond aujourd’hui dans le paysage à tel point que de l’autoroute il est quasi invisible pour l’œil non averti, et ce d’autant plus quand les arbres auront poussé, c’est le paysage lui-même qui à terme va muter. Ce ne sera toujours pas une entrée de ville, ni même une sortie, mais une zone du troisième type. Le risque existe dès lors que la subtilité de l’ouvrage, sorti de son contexte actuel du lien avec le paysage, en soit altérée. Et si aujourd’hui, dans une sensible attention au confort, «toutes les chambres sont en périphérie et donnent sur la prairie,» (sauf quelques-unes qui donnent sur les patios), qu’en sera-t-il demain ? Jean-Philippe Pargade relève à raison que l’espace autour de l’hôpital est assez vaste pour que l’on apprécie toujours ce contact de l’hôpital et de la nature. Il n’en reste pas moins qu’il serait heureux que les élus, à l’avenir, incitent les aménageurs à prendre en compte cette dimension
D’ailleurs, de nouveaux parkings ont dû être ajoutés dès la fin du chantier. Un système de navettes reliant l’hôpital à Sablé et La Flèche a bien été mis en place mais, de fait, si loin des centres-villes, c’est en voiture que les patients et visiteurs se rendent à l’hôpital. La distance a également un autre effet immédiat sur le fonctionnement des urgences. En effet, comme le souligne Huguette Meyer, directrice générale adjointe en charge des finances et des travaux, «la clientèle a changé ; moins de bobologie, plus de cas plus lourds.» D’ailleurs la prise en charge des urgences la nuit pose encore problème puisqu’il n’y a pas de retour en ville possible par les transports en commun. Enfin, à noter qu’un tel outil, neuf, malgré le contexte champêtre, permet à l’hôpital de Bailleul d’attirer les médecins et personnels qualifiés dont il a besoin (il n’y a que quelques postes vacants). Pour les conserver, l’établissement devra cependant maintenir la compétitivité de l’outil, faute d’autres arguments de valorisation.
Moins visible mais plus fondamental est l’aspect évolutif et «flexible» du bâtiment, l’un des principes étant, par exemple, que les bureaux de l’administration puissent être transformés en unités de soins. Mais cet exemple ne dit rien d’un mode de fonctionnement inscrit au cœur même du parti architectural et qui se révèle d’une grande pertinence. «L’organisation de l’hôpital est très communautaire et la notion de service est gommée, le patient se situe au cœur de l’organisation hospitalière,» explique Jean-Philippe Pargade.
Plus précisément, «pour la première fois en France, ce pôle de Santé résulte de la synthèse de l’hôpital pavillonnaire et de l’hôpital compact. Son échelle humaine – sa hauteur n’excède pas trois niveaux – autorise la création de grands plateaux neutres percés de patios lumineux, colorés et paysagers. Cette géométrie simple favorise la souplesse d’organisation et la capacité d’extension interne ou satellitaire du bâtiment. Elle rationalise les circulations, réduit les déplacements en privilégiant les juxtapositions horizontales,» écrit-il. A noter d’ailleurs une intégration et un fonctionnement des services de livraison derrière le bâtiment remarquable de discrétion et d’efficacité.
Cette «souplesse» fut source d’incompréhension lors de l’installation, notamment parce que deux cultures professionnelles, issues de deux établissements différents, ont dû apprendre à travailler ensemble tout en intégrant de nouvelles pratiques. «Le personnel était un peu dérouté, chacun essayant de faire rentrer au chausse-pied ce qu’il avait avant,» sourit Huguette Meyer, la directrice générale adjointe. D’autant que la réforme Hôpital 2007 a induit de profonds changements, en particulier la gestion de l’hôpital passant d’un décompte en ‘lits’ à une tarification à l’acte.
La mise en couleur conçue par Gary Glazer, si elle «souligne l’élément fondamental du bâtiment, le patio, crée une dynamique intérieur / extérieur et rythme l’organisation spatiale de l’ensemble,» n’est pas attachée à un service donnée ou liée au fonctionnement. Là encore, ce choix permet de ne pas figer dans le temps les services en fonction de leur couleur et concourre à la flexibilité future de l’ouvrage. Sauf que le visiteur peut être désorienté par cette absence de lien couleur/service. Du coup, l’architecte convient de la nécessité de renforcer la signalétique
Cela dit, il avait imaginé une circulation par une large rue centrale distribuant et irriguant les différents secteurs et services, maintenant ainsi intacte leur «liberté d’organisation.» Sauf que des contraintes budgétaires ont changé la dimension de cette rue centrale, désormais de même largueur que les couloirs latéraux. Du coup, la perception de sa fonction distributrice s’en trouve évidemment affectée.
Par ailleurs, quelques soucis demeurent, pointés par Huguette Meyer. Le premier est le fait que l’entrée à la maternité se fasse par celle des urgences, ce qui n’est pas forcément engageant au milieu de la nuit. Rien qui ne puisse être résolu à l’avenir assurent l’architecte et la directrice adjointe. Plus délicat, le réassort des matériaux. L’architecte se félicite à juste titre d’être parvenu à se faire livrer tous les matériaux désirés – faux-plafonds, sols PVC, jusqu’aux poignées de porte – aux couleurs adéquates. Sauf que cette production sur-mesure («facile d’entretien» note un employé dont c’est le rôle – précision utile) risque de n’être pas facilement remplaçable en petite quantité tandis que de grosses quantités posent elles-mêmes des problèmes de stockage.
Cela dit, difficile de lister toutes les trouvailles de Jean-Philippe Pargade qui participent à la réussite de l’ouvrage. Citons cependant, en vrac, que les patios, en nombre, offrent partout abondance de lumière naturelle et des vues insoupçonnées au sein même d’un établissement hospitalier, que l’organisation générale (chambres en périphérie bien exposées, plateaux techniques au nord) fonctionne parfaitement, que l’attention portée au restaurant, en ce lieu isolé, est également un gage de confort, de même d’ailleurs que la générosité des espaces d’accueil. Une vaste agora dans l’interstice entre l’hôpital et le bâtiment ‘technique’, dont le restaurant, offre un espace dégagé inattendu au cœur même de l’hôpital ; elle offre de la lumière – encore – mais surtout interdit tout sentiment de confinement. A noter encore que les patients sous surveillance (prisonniers, patients violents, etc.), dans des lieux pourtant sécurisés, n’en ont pas moins accès à un patio. C’est un détail qui en dit long sur la volonté de l’architecte d’offrir, à tous, autant de confort que faire se peut.
Au final, dans un domaine dont les transformations et innovations, technologiques notamment, sont constantes, le plus remarquable reste que Jean-Philippe Pargade a livré en 2008 un bâtiment, conçu en 2003, qui, loin d’être dès l’ouverture déjà daté, n’injurie pas l’avenir et offre la perspective de pouvoir s’adapter à toutes les évolutions futures. C’est sans doute, au-delà de la qualité de la façade et de la noria de couleurs et de patios, sa plus grande réussite.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 5 novembre 2008