C’est un petit bâtiment pour deux programmes – un centre familial et une crèche -, construit dans un coin aussi tranquille qu’indéterminé de Pontoise, dans le Val-d’Oise. Et si un gamin facétieux s’avisait de demander à un habitant où trouver le fort des Cordeliers ? «Mais il n’y a jamais eu de fort à cet endroit-là», répondrait sûrement le passant.
Voici venu le temps des écoles citadelles. La population apeurée contre un ennemi improbable et invisible, sinon inexistant, se calfeutre au sein d’immeubles bardés de technologies censées les protéger mais toujours plus intrusives. Pour le coup, la société claquemure ses enfants dans des lycées, écoles, crèches, «lieux de vie» toujours plus fortifiés, des citadelles sécurisées, où même les plantes sont proscrites à cause des insectes. Des cages en or.
Voilà sans doute pourquoi, à chaque fois que je pense au centre familial et à la crèche des Cordeliers de Pontoise, livrés au printemps 2019 par Ateliers O-S Architectes (Vincent Baur, Gaël Le Nouëne, Guillaume Colboc), le bâtiment évoque dans mon esprit le fort du Désert des Tartares de Dino Buzzati.
La forteresse de Giovanni Drogo, le héros malheureux du roman, se trouve dans une impasse et pourtant à la croisée de voies, rarement empruntées, menant à la ville, à la montagne ou au désert. Pour sa part, l’ouvrage d’O-S se situe à la jonction de trois tissus différents : deux typologies de ville, pavillons et grands ensembles, et un vaste espace vert entouré d’arbres. Comme le fortin de Buzzati, ce bâtiment est le but de tous les chemins qui y mènent, l’élément structurant sans lequel l’espace urbain au sein duquel il est implanté serait disproportionné, conflictuel et un peu inquiétant par son manque d’intimité.
C’est en regard de ces environnements divers – quels que soient les angles de vue – que les jeux de premier et second plans de la composition architecturale ramènent les proportions du bâtiment autant à l’échelle des petites maisons que des barres voisines. C’est le quartier qui est désormais à l’échelle du bâtiment qui, comme le bastion du livre, est juste là, mais juste là où il est.
Ou peut-être est-ce ce béton auto-plaçant teinté dans la masse, couleur champagne, comme celle des menuiseries, qui donne ce sentiment de postérité, d’un attachement ancien et rassurant à la terre. De fait, dans son fortin, Giovanni Drogo n’y manqua jamais de rien, sinon de n’y avoir jamais affronté personne. A l’intérieur du bâtiment, la paix règne, protégée par des murs épais et une mise en œuvre précise.
Il s’agit donc d’une crèche de 45 berceaux (500m²) et d’un centre familial (410 m²) avec bureaux et salles d’activités et d’une salle polyvalente et annexes de 240 m². Coût livré 2,3M€. Si les injonctions apeurées du jour obligent les architectes à construire contre l’attente mortifère d’un futur toujours plus effrayant, ici les associés d’O-S architectes non pas transformé la contrainte en un objet sinistre mais en un équipement accueillant, aux tons sable chaleureux, qui confère le sentiment d’avoir toujours été là et qui donnera aux enfants de la crèche, au travers de ses moucharabiehs mystérieux, matière à imaginer des histoires de fort, de désert, de Tartares.
Il n’y a pas dix ans, l’idée était alors d’avoir des équipements ouverts sur la ville, les bambins avaient vue sur la rue à travers des verres sérigraphiés avec des jeux de ballons. Aujourd’hui, on enferme à double-tour. Pas seulement les gamins, de la crèche à l’université, mais aussi les employés – qui trouvent tout à l’intérieur de l’immeuble -, jusqu’aux personnes âgées, engoncées dans des EHPAD dans des trous perdus, loin de la ville, loin de l’activité, loin de la vie. La vie ne serait-elle plus qu’une interminable série de déplacements entre un équipement sécurisé et un autre ? Avec la peur tout le temps !
Puisque la tendance semble irréversible, il faut rendre grâce ici à une forme d’élégance qui, tout en respectant strictement la consigne sécuritaire, fait appel à des images empreintes de poésie et fait d’un fort au milieu du désert des Tartares un ouvrage contemporain. Les touristes de masse ne s’y presseront pas mais chacun des usagers y trouvera son compte, avec un sentiment de sécurité qui ne doit rien sinon le strict minimum aux lubies technologiques de l’époque : des murs rassurants plutôt que des caméras.
Le bâtiment ne le montre pas mais il abrite deux directions, c’est-à-dire deux équipements distincts dont la rupture est quasi invisible de l’extérieur. Le fonctionnement est celui d’un «ensemble de petites pièces et de petites fonctions distendues ou agglomérées par rapport aux respirations», explique Vincent Baur, qui accompagne la visite de presse. Si les programmes sont parfaitement étanches entre eux, le bâtiment dans son unité s’adresse à toute la communauté de voisins.
Puisqu’il est d’usage désormais de demander aux architectes des espaces fermés pour une crèche, avec des fenêtres en hauteur, ce qui tend à générer des espaces opaques, d’apprécier ici la délicatesse de ces patios protégés qui permettent une traversée lumineuse de la crèche et du centre familial. Il n’est pas question de château fort tant la clarté règne à l’intérieur, des pièces courbes, ainsi que l’arrondi qui esquisse l’entrée de la crèche, atténuant le rythme d’un bâtiment très carré.
Un pli dévoile l’entrée du centre familial, meublée d’un escalier qui assure la transparence entre les deux équipements et donne la mesure de la monumentalité du bâtiment. De l’extérieur, la cime d’un arbre qui seul dépasse les murs souligne d’une présence minimaliste la pureté des lignes et donne à cette monumentalité encore plus d’immanence.
Pour sa part, la salle polyvalente, traversante, est baignée de lumière naturelle. Comme elle est utilisée par diverses associations, les architectes ont subtilement aménagé les espaces pour que chacune dispose de son propre vestiaire.
A la fin de la visite, Vincent Baur tient à souligner avoir eu à faire, en l’occurrence, à «un très bon maître d’ouvrage», ceci expliquant sans doute cela. Dans cet autre fort des Tartares, le capitaine Giovanni Drogo aurait pu être heureux.
Christophe Leray