Une bonne fois pour toutes, il faut que ce soit dit : les architectes français sont nuls de chez nuls. Une bonne fois pour toutes, il faut que ce soit dit : les pouvoirs en place à la Chambre de Commerce de Paris (et ailleurs) sont nuls de chez nuls. Rayer la mention inutile. En témoigne le résultant probant du concours de l’ESCP Business school, les administrateurs ajoutant, pour faire bonne mesure, la cruauté à l’inélégance. Explications.
C’est la dernière lubie à la mode. Les maîtres d’ouvrage veulent tellement se protéger des recours en tout genre que les membres zélés de leurs commissions chargés d’examiner les offres prennent désormais sur eux de noter les architectes. Les citoyens tirés au sort avaient noté sévèrement le président Macron pour tout ce qu’il avait mal compris de leurs travaux. Encore heureux qu’il ne fût pas architecte, il serait aujourd’hui en exil à Sainte-Hélène !
Voyons. Le 29 mars 2021, la Chambre de Commerce Paris Ile-de-France maître d’ouvrage a fait parvenir leur lettre de rejet aux candidats malheureux du concours de maîtrise d’œuvre pour une opération d’études et de travaux concernant le campus de l’école de commerce ESCP Business School (anciennement ESCP Europe), dans le XIe arrondissement de Paris.
Le résultat de la sélection, indiqué dans ce courrier informatique, ne surprendra personne.
« Comme précisé dans l’avis d’appel public à la concurrence, le Représentant du Pouvoir Adjudicateur a admis à concourir les 5 premiers groupements, à savoir » :
– XAVEER DE GEYTER ARCHITECTS ;
– CALQ
– KUMA & ASSOCIATES EUROPE ;
– ATELIERS 2/3/4 ;
– KAAN ARCHITECTEN.
Encore une fois, les architectes étrangers sont à l’honneur mais la CCI pousse cette fois la bonne éducation à préciser, après la formule de politesse d’usage : « A l’issue de l’analyse des candidatures, [la vôtre] a été classée n° 78 et a obtenu la note globale de 45,24/100 », ou « A l’issue de l’analyse des candidatures [la vôtre] a été classée n° 45 et a obtenu la note globale de 71,61/100 ».
Cela sent l’employé dévoué qui rentre toutes les notes de tous les critères de tous les projets dans un tableau Excel aux formules magiques, ce qui permet ensuite d’automatiser les courriers. « Madame, Monsieur, à l‘issue de l’analyse… » Si vous avez candidaté et n’avez pas encore reçu votre copie, vous savez déjà que vous êtes dans les tréfonds du classement, plus loin que la 200ème ou 250ème place.
Alors voilà un classement autrement plus scientifique que le classement de D’A avec le chiffre d’affaires. Là nous avons une note précise, quasi scientifique : 56,82 ou 87,62. Au moins nous savons maintenant que la CCI Paris Ile-de-France dispose de son propre classement actualisé des agences françaises : 1er ex aequo : Calq et Ateliers 2/3/4.
Après tout, la CCI à Paris, si le sigle ne dit pas grand-chose aux étrangers, possède encore en France un pouvoir symbolique fort. Alors imaginer que des Grand prix national d’architecture, des Equerres d’argent, voire des Pritzkers – Lacaton & Vassal en auraient fait deux pour le prix d’une, de CCI – aient pu candidater et qu’à « l’issue de l’analyse des candidatures », ils et elles se retrouvent classé(e)s 40ème, 68ème, 132ème, 219ème… De quoi calmer l’ego.
D’ailleurs, cet aimable courrier prend bien soin de faire une distinction d’importance. Une fois notés, il s’agit bien des cinq « premiers » groupements qui ont été choisis, pas des cinq « meilleurs » dont la justification serait si compliquée à expliquer. Et puis quoi encore, le mal de tête ?
Plus inquiétant, pour qui se prennent donc ces nouveaux censeurs dont on ne connaît pas le nom et qui se permettent de noter les architectes avec autant d’élégance ? Ils se croient où, sur les réseaux sociaux ? On note une agence d’architecture comme une chambre d’hôtel ou une lessive ? Critère N°22 : plus blanc que blanc la façade ?
De fait, à découvrir ce classement, il est permis de douter que les employés empressés de la CCI (forcément empressés puisque c’est une CCI !) aient la stature des goûteurs du Guide Michelin. Uber Architecture ?
Mais pourquoi un courrier si infantilisant, avec la cruauté de cour d’école de la précision des notes et places acquises ? Etait-il si compliqué d’écrire « à l’issue de l’analyse des candidatures, nous sommes au regret de vous informer que la vôtre n’a pas été retenue » et basta ? Chaque agence pouvait encore espérer avoir été la 6ème. Là non, aucun espoir : vous êtes 162ème avec une note de 33,77/100 et ne vous reste plus qu’à aller vous pendre. Comme quoi, une médaille d’or de l’Académie…
Alors c’est vrai qu’il faut des critères qui tiendront la route devant un juge. Avoir construit cinq CCI lors des trois derniers mois par exemple, cela a le mérite de la clarté. Nous avons déjà parlé de ces critères imbéciles qui n’ont d’autre but que d’ouvrir le parapluie toujours plus grand*. Le jury ou la commission n’a pas le choix de dire : « On prend Dominique Perrault, il s’est occupé de la poste du Louvre, c’est un bon ». A bah non, il n’a que 50,06/100. « Que diront les gens si on choisit un architecte classé 43ème ? » Imparable et inattaquable.
Ensuite il suffit d’une grille de critères parfaitement ordonnée – par exemple être étranger et avoir déjà construit en France – et la CCI était sûre de ne pas se tromper. Heureusement que Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances va partout rappelant qu’il faut consommer français. Vivement que l’architecture française soit relocalisée en France.
Les jurys français en revanche, comme en témoigne le résultat de cette compétition, sont tip top et de haut vol. Bienvenue dans le nouveau monde !
Pour mémoire, en 1989 pour le Centre de conférence International – un autre bâtiment un peu symbolique – il y avait notamment dans le jury (prenez votre souffle) : Frank Gehry, Joseph Belmont, Renzo Piano, Norman Foster, Paul Chemetov, Dominique Perrault, Patrick Bouchain, Rem Koolhass, … Excusez du peu. Ce jury déclarait lauréat un architecte de 39 ans, Francis Soler. Et que dire du jury qui offrit Beaubourg à Renzo Piano, que personne ne connaissait encore ?
Aujourd’hui, ces jurys anciens ne tiendraient pas la route une seconde par rapport à nos jurys modernes à l’algorithme d’une remarquable efficacité, au centième près, comme aux jeux olympiques. Calq et 2/3/4, ils sont passés à la seconde décimale ? La première ? Il y a eu photo finish pour la 5ème place ?
Vraiment la CCI peut être fière : quel étendard d’innovation et de pensée originale quand même l’architecture doit être importée. Si encore c’était pour Léonard de Vinci ! Ou cinq femmes architectes, dont deux françaises ! Pour le coup, en l’occurrence, les femmes doivent regarder ailleurs.
A tout prendre, ce maître d’ouvrage flamboyant comme la finance internationale aurait dû demander à Wang Shu de s’occuper de son projet, le made in China n’aurait rien résolu pour les architectes français mais au moins la CCI aurait fait preuve de quelque ambition.
Christophe Leray
*Lire notre article Avec les nouveaux critères, ne roulent que les grosses cylindrées