Le Pritzker 2017 a été attribué, à la surprise générale, à l’agence espagnole RCR, créée depuis une trentaine d’années par Rafael Aranda, 55 ans, Carme Pigem, 54 et Ramon Vilalta, 56. Ce prix mondial démontre encore une tendance, déjà observée avec le prix Mies van der Rohe, que le temps est à la nostalgie, au régionalisme, voire au localisme. De fait, la Catalogne lorgne sur l’indépendance, ainsi que l’Ecosse et la Californie qui sait… Il signe surtout la fin des starchitectes.
Le prix 2017 signifie la fin des certitudes de l’architecture internationale occidentale. Comme si face à la brutalité des défis du monde actuel, l’évocation par RCR d’une ruralité bienveillante et d’un retour aux racines (roots), même si elles sont fantasmées, offrait une forme de garantie, une «réponse merveilleusement rassurante», pour citer le jury.
Lequel relève la représentation du «lien entre intérieur et extérieur» (oubliez la clim), du «lien avec la nature», de la «poésie du local», avant de souligner avec admiration que RCR «n’a pas cédé aux sirènes de la grande ville», etc. Bon le prix est annoncé à New York et sera remis à Tokyo.
Cette «réponse merveilleusement rassurante» est d’autant plus perceptible que les jurys du Pritzker – entre 5 et 10 personnes selon les années – se renouvellent très peu d’une année à l’autre. Il n’est d’ailleurs pas rare que l’exact même jury distribue deux prix deux années de suite. C’est ainsi que le même jury donnait le Pritzker 1985 à l’Autrichien Hans Hollein, celui de 1986 à Gottfried Böhm, un Allemand.
Se souvenir encore que le Pritzker a commencé un peu comme ces prix spéciaux que l’on donne à un vieil acteur jamais récompensé au nom de sa vie son œuvre. Philip Johnson (73 ans) et Luis Barragan (78 ans) en furent les deux premiers récipiendaires puis la tentation est demeurée récurrente au fil des ans, quand le besoin s’en fait sentir, avant qu’il ne soit trop tard : Pritzker 1988, Gordon Bunshaft (79 ans) ; 1989 Oscar Niemeyer (82 ans – personne ne le savait mais il avait encore bien le temps) ; 2015 Frei Otto (90 ans), etc.
A noter cependant que cette durée dans le temps d’un jury a ses effets pervers. Prenons Fumihiko Maki, dans le jury de 1985 à 1988, Pritzker 1993, (cinq membres du jury de 1988 étaient dans son jury en 1993), ou Shigeru Ban, membre du jury de 2006 à 2009, Pritzker 2014, voire Alejandro Aravena qui avait tout compris, membre du jury de 2009 à 2015, l’une des plus longues tenures, Pritzker en 2015. Si la tendance se confirme, l’architecte Chinois Yung Ho Chang, 60 ans, dans le jury des sept derniers prix, devrait avoir sa chance, sachant que la moyenne d’âge pour être primé est de 64 ans.
Cela écrit, c’est cette pérennité des jurys du Pritzker qui permet d’indiquer les évolutions ou fractures profondes en cours.
Voyons par exemple la décade entre 1994 et 2003. Ce sont les années de l’optimisme et de l’opulence, la guerre froide est finie, l’Europe réunifiée avec bientôt une nouvelle monnaie, le libéralisme de Clinton est paternaliste, la Russie encore dans les choux, la Chine pas encore menaçante. La confiance et l’audace sont au goût du jour et c’est ainsi quasiment le même jury qui pendant presque dix ans porte aux nues de jeunes architectes qui affirment une posture tournée vers l’avenir, de Christian de Portzamparc, à 49 ans l’un des plus jeunes architectes primés, à Rem Koolhaas, en passant par Renzo Piano et Norman Foster. En une décade, dix architectes de dix pays différents !
Avec un jury renouvelé de moitié, Zaha Hadid en 2004 (première femme primée) et Thom Mayne en 2005 incarnent encore la geste triomphante.
En 2017, à noter encore pourquoi pas la vitalité des architectes hispaniques, Aravena hier, les Catalans de RCR aujourd’hui, mais à ce compte-là, ce ne sont pas les architectes qui manquent, de l’Espagne au Portugal en passant par la Colombie ou le Mexique, sans parler du reste du monde, ils sont nombreux ceux à tenir un discours similaire à celui des Catalans et à construire au moins autant, c’est-à-dire assez peu.
En effet, quel architecte, en France et un peu partout désormais, ne fait pas dorénavant une architecture «contextuelle» ? Qu’un matériau puisse «insuffler à la fois une force incroyable et une grande simplicité à un bâtiment», comme l’indique Glenn Murcutt, architecte australien (Pritzker 2002) et président du jury, qui en doute ? N’est-ce pas le moins à attendre d’un matériau ?
«Un des paramètres que le jury du Pritzker a valorisé est le fait d’avoir des racines, le fait d’être au niveau local et de pouvoir envoyer des messages au niveau universel», explique pour sa part Rafael Arenas dans un entretien à l’AFP. Une recherche rendue possible le plus souvent dans le cadre de la commande publique et à l’issue d’un concours, tient d’ailleurs à souligner le jury.
Certes, mais la définition même de ce qui est universel n’est-elle pas changeante selon les différents génies, bons et mauvais, des lieux ? Par exemple, qu’en pensent-ils en Russie de l’universalité ? En 39 éditions du Pritzker, pas un architecte Russe n’a été primé. Politique l’architecture ? Evidemment !
Sauf que la fin des certitudes signifie justement la fin des idéologies universelles, à moins bien sûr que le localisme ne soit la prochaine. Alors oui, ce Pritzker représente bien l’air du temps. Le jury l’indique sans ambages : «de plus en plus de gens craignent qu’en raison de l’influence internationale, nous perdions nos valeurs locales, notre art local et nos coutumes locales. Les gens sont inquiets et effrayés».
De fait, les pays, les nations et les peuples se referment sur eux-mêmes, il n’y a jamais eu tant de murs et de frontières en Europe et Donald Trump annonce la construction d’un mur de 3000 km, une nouvelle grande muraille. Ce prix 2017 incarne donc une forme d’effroi, quand face au morcellement de l’empire, la sollicitude régionaliste des architectes de RCR signe donc justement la défaite de l’universalisme.
A moins bien sûr que leur «grand pôle culturel et artistique» qui verra le jour à l’horizon 2021 sur la pointe amont de l’Île Seguin à Boulogne-Billancourt ne vienne démentir le jury…
Christophe Leray