La transformation d’un chai en logements par Esch Sintzel Architekten et La Borda, coopérative d’habitation, par le collectif Lacol sont les projets lauréats de la première édition du Prix européen pour le logement collectif a annoncé en juin 2024 le jury, présidé par l’architecte Anne Lacaton, prix Pritzker 2021, à l’Institut d’architecture du Pays basque, à Saint-Sébastien.
La conversion d’un ancien chai à vin à Bâle, en Suisse, a été sélectionnée comme « Meilleur projet d’habitat collectif » dans la catégorie rénovation pour avoir « démontré que la transformation de l’existant peut créer un nouveau cadre de vie inattendu qui bouscule les typologies standard ».
Ce projet réalisé par Esch Sintzel Architekten a été achevé en 2023 à Bâle (Suisse). Il consiste en la conversion d’un ancien chai à vin en un complexe rassemblant 64 logements, un café-bar, un local commercial, des chambres d’amis, des pièces mutualisées, un espace collectif, un toit-terrasse, des salles de répétition de musique, un parking et un local à vélos.
Les piliers de l’ancien chai à vin coopératif sont les protagonistes du projet de reconversion. Ils sont, selon l’agence, « de véritables témoins de l’histoire du bâtiment ». « Il s’agit des éléments les plus frappants de la structure existante et constituent un point de départ important pour le projet de conversion. Pour que leur effet reste tangible malgré la taille réduite des espaces résidentiels, les piliers ont été laissés nus et mis en scène de différentes manières : dans les appartements, qui s’étendent sur la largeur du bâtiment, leur monumentalité est une expérience en soi ; dans les deux « rues intérieures » qui traversent le bâtiment dans le sens de la longueur, ils forment une séquence ».
Les piliers constituent également l’élément structurant de l’organisation interne de l’immeuble : bien que le développement urbain actuel soit défini par la masse du bâtiment existant, une véritable ville à l’intérieur de l’immeuble se déploie le long des rues intérieures. Cette organisation interne permet non seulement de desservir les cages d’escalier, les espaces communs et les buanderies, mais aussi de créer une variété de typologies de logements pour toutes les générations et tous les styles de vie. Le long des coursives la sphère domestique est reliée à la sphère urbaine : la rue intérieure s’ouvre sur des halls d’entrée traversants et invite à pénétrer dans l’immeuble par des escaliers et des rampes. Les espaces commerciaux et le café sont situés eux au rez-de-chaussée, en tête de bâtiment, et sont orientés vers la ville. Le réseau de cheminement se termine par la salle commune et le toit-terrasse.
Outre l’expressivité des piliers existants qui définissent l’intervention, le développement durable a guidé le traitement minutieux de la structure existante. En l’occurrence, 42 % de l’énergie grise du bâtiment a été économisée en réutilisant la structure existante. Le système photovoltaïque et la pompe à chaleur sur nappe rendent le bâtiment autosuffisant aux deux tiers en termes de consommation totale d’énergie.
« Ce projet démontre que même des bâtiments fonctionnels tout à fait ordinaires peuvent avoir une grande valeur et être le support pour des projets novateurs, apportant une plus-value au quartier et à la ville. Celui-ci apporte non seulement de la qualité architecturale mais également une nouvelle dynamique au quartier. Le projet est durable grâce à la réutilisation de la structure en béton existante, qui doit absolument être prise en compte dans le calcul du bilan carbone de l’opération. Cette structure existante est complétée par une nouvelle construction qui densifie et donne une nouvelle identité au site. En termes d’architecture, le projet trace de nouvelles façons de vivre et d’autres manières de réemployer une structure existante. Il démontre que la transformation de l’existant peut créer une qualité de logement nouvelle et inattendue qui bouscule les typologies standard. En ce qui concerne l’infrastructure collective du bâtiment, le projet dispose d’espaces collectifs qui célèbrent et facilitent la vie en commun », a déclaré le jury.
La Borda à Barcelone, coopérative d’habitation et plus haut bâtiment à ossature bois d’Espagne, a été choisi dans la catégorie nouvelle construction « comme une opération de logements collectifs exemplaire à toutes les étapes de sa réalisation ».
La Borda est une coopérative d’habitation qui fait partie du parc de logements sociaux de la ville de Barcelone. L’équipe de Lacol et la coopérative elle-même ont donné la priorité à la réalisation d’un bâtiment dont l’impact sur l’environnement serait le plus faible possible, tant lors de sa construction que pendant sa durée de vie, tout en minimisant le risque de précarité énergétique pour ses habitants. Achevée en 2018, il s’agit d’une construction en bois de 28 logements plus des espaces communs, où les coursives et les circulations deviennent des espaces de vie, de détente et de rencontre. La Borda est par ailleurs le plus haut bâtiment en structure bois d’Espagne.
Selon le collectif Lacol, « le modèle collectif de La Borda, par opposition aux opérations publiques ou privées plus conventionnelles, a permis de surmonter certaines limites importantes imposées aux projets architecturaux de logements collectifs. Dans le secteur public, la peur du futur usager, totalement inconnu, empêche l’introduction de changements qui pourraient affecter les modes de vie normalisés. Dans le cas de la promotion privée, à l’inverse, les logiques de marché s’imposent, appauvrissant le logement pour faciliter son assimilation à un produit de consommation. L’innovation du processus d’urbanisation a été la clé pour travailler avec l’architecture au-delà de sa formalisation. Nous avons identifié cinq caractéristiques de ce modèle qui ont eu une des répercussions directes sur le projet : l’autopromotion, le droit d’utilisation, la vie collective, la durabilité et l’accessibilité financière ».
Les 28 logements ont une superficie de 40, 60 ou 75 m² et des espaces communs qui permettent de passer de l’espace privé à l’espace public, renforçant ainsi leur dimension collective. Ils s’articulent autour d’une cour centrale, d’une cuisine-salle à manger, d’une buanderie, d’un espace polyvalent, d’un espace pour les invités, d’un espace de santé et de soins, de rangements pour chaque appartement et d’espaces extérieurs et semi extérieurs tels que le patio et les toits. « La participation des futurs utilisateurs au processus (conception, construction et utilisation) a été la variable la plus importante et la plus différentielle du projet, car elle a permis de connaître et de planifier avec eux leurs besoins spécifiques », racontent les architectes de Lacol.
Le projet de La Borda a également visé, dès le départ, à réduire la demande d’énergie du bâtiment en optimisant le programme, en renonçant au parking souterrain, en regroupant les services et en réduisant la surface des logements. La structure de six étages a été réalisée en bois lamellé-croisé, un matériau léger, de haute qualité et renouvelable. Des stratégies bioclimatiques passives ont également été développées pour atteindre une consommation d’énergie quasi nulle et donc un confort dans les logements au moindre coût associé, notamment à travers la couverture de la cour par une serre pour capter le rayonnement solaire en hiver et avoir un effet cheminée pour la ventilation en été, et l’installation d’une chaudière biomasse centralisée pour optimiser l’infrastructure de production d’énergie et améliorer la performance et la technologie au service de l’ensemble du bâtiment.
« Il s’agit d’une opération de logements collectifs exemplaire à toutes les étapes de sa réalisation. L’ambition dépasse l’échelle du bâtiment et s’inscrit dans un processus ascendant de régénération de l’ensemble du quartier. Le concept de La Borda apporte une nouvelle manière d’imaginer la cohabitation. Il s’agit d’une cohabitation réussie entre individus, d’une vie en communauté et d’un engagement public. L’architecture, généreuse, démontre que les limites définies par notre cadre de vie contemporains peuvent transformer les défis en ressources. Que sous l’angle du développement durable, ces mêmes limites peuvent être abordées différemment afin de favoriser la qualité du cadre de vie. L’introduction du système coopératif en tant que modèle alternatif de production de logements combine parfaitement accessibilité financière et qualité architecturale », a souligné le jury.