A force de toujours lire, et écrire, les mêmes critiques à propos des mêmes opérations de logements ou de bureaux, une question surgit : qu’attendons-nous vraiment des architectes pour enfin en être satisfaits et leur rendre grâce ?
Cette dernière année fut complexe à bien des égards, et cela s’est sans doute ressenti dans ces chroniques livrées ici chaque semaine. De quoi se poser la question : qu’est-ce que nous – journalistes, promoteurs, critiques, politiques … bref tout ceux qui ont un avis sur la fabrique de la ville – attendons vraiment du travail des architectes pour en dresser un avis qui leur soit un tant soit peu favorable ?
C’est quoi, une architecture réussie ? Celle qui parle d’insertion dans son contexte, celle de l’assertivité à son environnement, social et urbain ? Une architecture polie vis-à-vis de ses voisins, discrète dans la ville ? Possible.
Ou alors une construction illustrant une certaine pérennité dans le temps en mettant en œuvre des matériaux à l’épreuve des années en parallèle d’une architecture généreuse dans sa trame horizontale et dans ses hauteurs sous plafond ? Bref une architecture mutable et évolutive comme d’aucuns se plaisent à l’apprécier à présent ? Sans nul doute.
La mise en scène des vides davantage que des pleins ? Ou l’inverse ? La sculpture de la lumière et son accès comme un luxe au temps de la digitalisation de la vie quotidienne ? La gestion des flux naturels et des aléas lumineux ? L’attention aux détails ? Le chic.
Un maître d’ouvrage satisfait ? Des usagers contents ? Une maintenance aisée, en l’occurrence la moindre des choses ? (Tant de conceptions pèchent pourtant encore aujourd’hui par un manque d’anticipation du coût de leur entretien et du vieillissement de certains matériaux. Nda)
Bref, une architecture réussie tient en beaucoup d’éléments visibles ou non, objectifs ou non. D’autant qu’une architecture réussie l’est-elle pour toujours ? Les réussites d’hier ne sont plus toujours celles d’aujourd’hui. Considérerait-on aujourd’hui, à l’aune de la décarbonisation intensive du BTP, les bâtiments d’Oscar Niemeyer ou de Le Corbusier comme autant de chefs-d’œuvre ?
Ce qui renvoie à la question : à l’aune de la décarbonisation annoncée du BTP, pourquoi les bâtiments conçus par Oscar Niemeyer ou Le Corbusier, en béton et plein d’amiante, restent-ils toujours autant admirés et étudiés quand bien même la qualité constructive n’est pas toujours au rendez-vous, que l’insertion et le rapport à la ville sont déshumanisants, la matérialité démodée et le dessin, d’une autre époque ?
Qu’est-ce que l’architecture ? La science de l’organisation de l’espace pour y passer un moment de vie : habiter, travailler, s’amuser, s’entretenir, voyager, se promener, bouger, consommer …. C’est la sculpture de la spatialité parfois grâce à la mise en scène de la matérialité au service de ses utilisateurs directs, habitants, travailleurs, joueurs, consommateurs… mais aussi de tous les autres usagers de la ville : voisins, passants, etc.
Au travers d’une opération heureuse, il s’agit de donner de la densité à une parcelle, d’instaurer un dialogue entre les avoisinants et le bâtiment davantage que de densifier la ville. Se contenter de travailler avec politesse envers ses voisins, d’utiliser du bois ou de systématiquement proposer une pièce en plus pour fédérer les communautés d’habitants toujours plus individualistes n’y fera rien.
A l’inverse, une architecture de l’image qui œuvre au détriment de l’urbain, de l’usage et de l’environnement ne saura probablement pas davantage apporter une réponse à une situation complexe. En effet, si l’exercice de style peut interroger, il ne sera jamais la norme de la ville future.
Un architecte est un technicien qui travaille avec la science, le soleil, des vents, du climat, des matériaux, de l’acoustique et bien d’autres éléments. C’est un chef d’orchestre qui met en musique les aléas extérieurs et les composants formels de l’ouvrage. Pour être réussie, une architecture se doit alors d’être juste dans son contexte. A observer des opérations sous différentes latitudes, il est à se demander si le défi le plus complexe de l’architecte n’est pas justement de faire émerger un bâtiment de son contexte.
Cela écrit, est-ce bien du fait des architectes, ou plutôt des équipes de conception, de ne plus savoir proposer une architecture « réussie » ? Le savoir-faire n’est pas le pouvoir faire et les maîtrises d’œuvre subissent règles et d’impondérables toujours plus nombreux et contraignants qui ne démontrent pas tous leur efficacité : normes PMR, environnementales, incendie, ERP, contraintes techniques, réglementaires, PLU, marchés, coût des matériaux…
L’architecture aujourd’hui est le résultat d’une équation à laquelle les architectes ne sont plus totalement partie prenante, le budget restreignant encore un peu plus toute velléité de produire des bâtiments différents. Avec la privatisation de la ville, la valeur du foncier est de plus en plus corrélée à la surface constructive et au bilan économique qu’il faut faire « tourner » selon le jargon des promoteurs. Or, rentabiliser c’est densifier, avec la complicité des acteurs publics locaux dont les louables intentions se trouvent parfois polluées par des effets de mode ou de lobbying abusifs et hors-sol. Le 100% (matériau bien-pensant) ou le 0% (technologie has-been) ne mèneront pas plus vers une architecture réussie et contextuelle qu’un objet sorti tout droit de l’imagination de conseillers en marketing territorial.
Dit autrement, c’est aux pouvoirs publics que revient la responsabilité d’une architecture réussie ou non. Charge à eux de mieux circonscrire le champ d’action des acteurs privés autour d’une pensée plus globale et de plus long terme car un bâtiment dont l’architecture réussie saura contribuer au bonheur de ses habitants ne pourra contribuer seul à l’intérêt général d’un quartier.
Qu’attend-on vraiment des architectes ? Peut-être plus grand-chose finalement, en tout cas moins qu’avant. Le train est passé et la balle est maintenant dans le camp des politiciens.
Alice Delaleu