Le Rapport sur la qualité des logements sociaux, piloté par Pierre-René Lemas, ancien secrétaire général de l’Elysée et ancien Directeur général de la Caisse des dépôts (CDC), a été remis le 15 janvier 2020 à Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, et Roselyne Bachelot, ministre de la Culture. Proposition la plus spectaculaire : la construction de 50 000 logements expérimentaux. Rêve ou réalité ?
Qui se souvient de la Conférence de consensus sur le logement lancée au Sénat par Gérard Larcher, président du Sénat, et Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires le 13 décembre 2017 ? Puis il y eut le Rapport sur les quartiers en difficulté de Jean-Louis Borloo, ancien ministre, remis en avril 2018 au président lui-même qui l’avait commandé. Rarement tel rapport avait été ainsi enterré en direct, l’humiliation de son auteur en prime. Puis il y eut le Rapport consacré à la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction du député de Haute-Garonne Jean-Luc Lagleize, remis en novembre 2019 au Premier ministre Edouard Philippe, avant d’être enterré. Des rapports de la sorte, nous en oublions sans doute.
Alors quel destin pour un nième rapport, cette fois sobrement intitulé Rapport sur la qualité des logements sociaux et remis en janvier 2021 par un haut fonctionnaire à deux ministres qui pèsent peu dans le gouvernement ? Rapport fictif ?
Surprise ! Si l’on en croit la réaction déterminée de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, ce rapport pourrait – pourrait – être rapidement suivi d’effets sous forme d’une expérimentation consistant en la construction de 50 000 logements.*
En effet, le chapitre 5, consacré à l’expérimentation, est le plus concret des chapitres de ce rapport car le plus ‘opérationnel’. Il ne propose rien moins que soit lancé dès 2021, sous un parrainage interministériel (logement, culture, écologie), un processus « d’expérimentation-action de grande envergure qui ferait l’objet d’une évaluation en continu », un plan qui participerait à la dynamique de relance de la construction.
Seraient notamment évalués dans ce cadre les critères de qualité, proposés dans ce rapport, « le caractère modulable, la flexibilité, l’adaptabilité des logements au regard des exigences nouvelles et leur insertion dans l’environnement proche, donc le cadre de vie ». Dans le même esprit il est proposé d’engager une expérimentation sur la plus grande réversibilité dans les constructions en général, par exemple pour la transformation d’espace de bureaux en logements.
« L’expérimentation dans le neuf et, surtout, dans la réhabilitation, est le vrai sujet. Pour le résoudre, il faut des volumes importants, d’où l’idée d’expérimentation même si ce n’est pas conforme à la loi, l’ordonnance de 2008 permettant des exceptions », indique Pierre-René Lemas. Les règles de droit seraient adaptées dans ce cadre expérimental comme le permettent l’ordonnance du 30 octobre 2018 et le décret du 11 mars 2019. Le permis de faire ne s’use que si l’on ne s’en sert pas ? Les volumes en question : 50 000 logements répartis sur l’ensemble du territoire.
Un vœu pieux, comme d’habitude ? Pas sûr… En effet, à l’occasion de la remise du rapport, Roselyne Bachelot a annoncé le lancement, avec la MIQCP (mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques), le PUCA (plan urbanisme construction architecture) et la CAPA (Cité de l’architecture et du patrimoine) d’un appel à manifestation d’intérêt dans l’objectif de retenir des sites sur lesquels pourront être menées ces expérimentations.
Avec quel calendrier ? Selon Pierre-René Lemas, la phase cahier des charges de cette ‘expérimentation’ « ne prend pas des mois ». « Ce qui est plus long est de réunir les différents acteurs : sur quel terrain ? avec quelles collectivités locales ? Il y a de la demande. Comme pour le vaccin, on va partir avec ceux qui veulent y aller », s’amuse-t-il.
Le rapport estime que les appels à manifestation d’intérêt pourraient être lancés dès 2021. Reste à voir à quelle vitesse les deux ministères engagés et la direction tricéphales vont piloter ces appels d’offres. Et quel cahier des charges en sera finalement issu… Le risque étant de confondre le temps électoral – 2022 n’est pas loin – et le temps nécessaire à une politique du logement efficace qui ne peut s’inscrire qu’à moyen ou long terme.
« Tout le monde aujourd’hui veut du développement durable, compris comme de l’économie d’énergie. Si on se contente de ça, en matière de qualité de vie, on n’ira pas très loin. Si l’objectif est de transformer les passoires thermiques en bouteilles thermos, on n’ira pas loin non plus. Les gens veulent de l’espace, quitte à payer plus cher leur électricité », prévient Pierre-René Lemas.
L’exercice est donc plus compliqué qu’il n’y paraît passé l’effet d’annonce, d’autant, note-t-il, que « les réflexions et travaux des professionnels ont semblé marquer le pas depuis une vingtaine d’années sur la conception même du logement de qualité ».
De fait, avant d’énumérer ses propositions, le rapport souligne que si le prisme de l’écologie s’impose, c’est sans que l’essor des méthodes considérées comme naturelles (usage du bois, verdissement des terrasses ou façades, etc.) ne s’accompagne toujours d’une réflexion sur la qualité du logement lui-même.
Dommage peut-être que le rapport passe trop vite sur l’aspect réhabilitation de l’existant ou d’éventuelles restructurations d’ampleur d’îlots insalubres ou vacants dans des centres de villes moyennes. La demande existe ; rentre-t-elle dans ce cadre des expérimentations anticipées ? De fait les bailleurs devront bientôt faire face à l’urgence sociale, qui n’est jamais bonne conseillère. De fait, en ce moment, la CDC tout comme Action Logement achètent déjà en masse pour aider les promoteurs à sortir leur projet.
« La première étape est celle de la grande expérimentation que nous allons lancer dans les prochaines semaines », a déclaré Roselyne Bachelot en conclusion de son discours lors de la remise du rapport.
Au moins cette expérimentation, quelle qu’en soit la forme, pour autant qu’elle ne soit pas repoussée aux calendes grecques et atteigne au fil du temps son objectif de 50 000 logements, permettra de tirer des leçons au fur et à mesure de son déroulement. Lesquelles ouvriront alors peut-être la voie à des améliorations législatives nées ailleurs que dans un tableau Excel.
Christophe Leray
* Pour l’analyse de l’ensemble du rapport, voir notre article Le logement social au rapport : caillou ou pavé dans la mare ?
* Pour télécharger le rapport