A quelques mois de la mise en place annoncée de la RE2020, le ministère de la Cohésion des territoires, voulant faire feu de tout bois, change brusquement les règles du jeu. Modifier l’ACV statique en dynamique, à quelques mètres du but, pas très fairplay ! Explications.
Les ministres Emmanuelle Wargon et Barbara Pompili et les fédérations des métiers du bâtiment vont devoir trouver des arbitres tant le contentieux est grave. En effet, l’USH, la FPI, le Pôle Habitat FFB, la FFB, la Fédération SCOP BTP, la CAPEB, l’UNSFA et l’UNTEC, dans un courrier commun adressé aux ministères le 12 janvier expliquaient leurs incertitudes, concernant notamment l’Analyse du cycle de vie (ACV) Dynamique, tout juste tirée du chapeau en cette fin d’année. En Janvier pourtant, le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) a pourtant rendu un avis favorable, et très politiquement correct, appuyé par d’autres organisations, parmi lesquelles l’Ordre des Architectes (en désaccord visible avec son principal syndicat).
Pour la petite histoire, le 17 novembre 2016, le ministère du Logement lançait en grande pompe le label d’Etat Bâtiments à Energie Positive et Réduction Carbone, pour préfigurer la RE2020, alors dans les cartons. L’idée était de revoir et tester les méthodes de calcul et les indicateurs pour faire évoluer la RT2012 devenue obsolète, au regard des objectifs nationaux de réduction des émissions carbone dans le cadre de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), elle-même introduite par la loi de transition énergétique pour la croissance verte.
Dans le label E+C-, l’indicateur « Carbone » reposait sur une analyse de l’ACV statique qui porte sur un calcul des émissions de gaz à effet de serre (EMS) d’une part sur la totalité du bâtiment, et d’autre part sur l’ensemble des produits de construction et des équipements, pour une durée de vie de 50 ans. Le label E+C- et ses modes de calculs avaient fini par faire leurs preuves, augurant une RE2020 capable de s’améliorer mais satisfaisant chaque filière du BTP. Le bilan carbone du bâtiment devenait à la fois réglementaire et surtout mesurable sur de premières bases intelligentes et intelligibles. A titre d’exemple, le réemploi de matériaux en structure et façade pouvait enfin entrer dans les mœurs du BTP.
Fort de ce succès, les premières versions des modes de calculs de la RE2020 furent dévoilées aux professionnelles en 2020, et la RE2020 annonçait un changement de ces modes de calculs carbone passant de l’ACV statique, utilisée dans la délivrance du label E+C-, vers une ACV dynamique.
En statique, chaque étape de la vie d’un matériau avait une même valeur. Dans le nouveau mode de calcul, les capacités de stockage temporaires du carbone sont prises en compte et les coefficients appliqués ont plus de poids au début du cycle de vie et diminuent en fin de vie. Par voie de conséquence, les matériaux biosourcés et surtout le bois sont ainsi ouvertement privilégiés. La RE2020 considère ainsi une construction sur 50 ans, comme si l’emballement carbone allait subitement s’arrêter. Ce serait faire totalement fi d’une réalité physique et géographique complexe dans laquelle le Permafrost ne commence que son long réveil.
Seulement, aucune norme ISO (contrairement au mode statique qui se fonde sur le principe de la norme NF EN 15978) ou internationale ne reconnaît ce mode de calcul dynamique, d’autant plus obscur que le résultat dépend du facteur temps choisi. Quant au facteur éthique, il semble être bien loin de nombreuses préoccupations. En effet, privilégiant les émissions en fin de vie, on transfère sans trop de complexes, le carbone directement aux générations futures. L’ACV met en place une obligation de moyens plutôt de résultats.
Avec la RE2020, le ministère semble encore mettre la charrue avant les bœufs en bridant d’emblée les filières vécues comme moins vertueuses, mais dont les facultés de R&D sont considérables. Sans nul doute une erreur stratégique. Le chauffage électrique prévaut désormais, quand le gaz avait jusque-là les faveurs vertes. Les industriels sont en effet peu consultés, ou de loin. Pourtant, ne devraient-ils pas être les premiers concernés par la baisse des émissions carbone en planchant sur de nouvelles solutions plus efficientes et ainsi servir de guide prospectif à la réglementation, et non pas l’inverse ? D’autant que l’ACV statique a démontré que des structures bétons pouvaient être plus performantes que des structures bois.
Favoriser la jeune filière bois pose également de nombreuses questions, notamment de gestion du matériau brut sans oublier que les forêts, en tant que puits carbone sont nécessaires à la lutte contre le changement climatique. Sans compter les incendies de plus en plus fréquents et destructeurs qui rendent sur le long terme la séquestration carbone incertaine. Enfin, la filière bois, qui souffre d’une incapacité chronique à se structurer et qui n’affiche pas loin de sept milliards d’euros de déficit est obligée de faire appel à l’importation. L’UICB a lancé un audit afin de mieux connaître ses ressources, il serait temps ! Autre gageure, si le bois paraît le bon élève de la classe, ce n’est qu’en théorie, il n’existe en effet que peu de recul sur la construction actuelle en bois, ou en matériaux biosourcés.
Exclure des filières n’offre qu’une vision partielle des solutions et jeter les filières les unes contre les autres n’est ni un modèle technique qui pousse à la réflexion globale, ni un modèle économique viable sur le long terme dans la mesure où il est créateur de rupture. En effet, dans la lettre adressée aux ministres, les signataires condamnent « des arbitrages techniques » qui traduisent une approche « trop technocratique d’une partie des mesures proposées ». Quelles seraient les conséquences de l’application de ces textes en l’état ? Certainement un surcoût des constructions, actuellement très sous-évalué par le ministère, et de lourds impacts pour les filières constructives.
Autre reproche fait à l’ACV dynamique est qu’elle est essentiellement fondée sur des calculs et des formules mathématiques, déconnectées de la réalité physique du terrain. A titre d’exemple, l’impact d’une façade mur-rideau par rapport à sa surface de plancher équivaut entre 50 et 400 kg de CO² pour une tonne de matériaux employés. Si réfléchir au bilan carbone revient à améliorer d’un quart le poids de la façade, alors d’office, le résultat sera meilleur dans les faits, mais pas en termes de calcul.
La missive du 12 janvier dénonce également une méthode « en rupture avec les travaux d’E+C- » et qui « reste expérimentale et n’est conforme ni aux normes européennes, ni aux normes internationales de mesure des émissions de gaz à effet de serre des matériaux ». L’opacité des calculs et la volonté d’imposer des règles dynamiques non reconnues à l’échelle européenne démontrent aussi une incapacité à réfléchir dans la sphère mondiale, quand bien même le bilan carbone est surtout un problème international.
L’imposition de l’ACV dynamique dans la RE2020 témoigne donc de la démarche individuelle de la France sur ces sujets alors que chacun devrait travailler ensemble de façon responsable et standardisée. Par ailleurs, les industriels présents à l’international seront pénalisés avec l’ACV Dynamique puisque cette méthode de calcul n’existerait qu’en France.
L’orientation politique est claire, électoraliste. Paradoxalement, elle laisse de moins en moins de place à la prospective. Que se passera-t-il après les 50 ans ? Plutôt que de tergiverser sur qui a les faveurs de la maîtresse, peut-être que chacun gagnerait à s’impliquer davantage dans la recherche de solutions à bien plus long terme, qu’il y ait une loi, ou pas !
Alice Delaleu