Alors que la France plonge chaque jour depuis plusieurs mois un peu plus dans une crise immobilière sévère, d’aucuns de prôner la réhabilitation à tous les étages comme s’il y avait là une innovation majeure par laquelle le salut devait passer. Voire…
Dans notre pays déjà enclin à la nostalgie et à la préservation « quoi qu’il en coûte », la tendance écologique actuelle entre en résonance avec cette appétence pour la chose ancienne. Ainsi, aujourd’hui, tous les architectes en vue se pâment d’être les chevaliers blancs de la préservation de la planète en prenant fait et cause pour quelques bâtiments menacés de démolition. Certains, en fin de carrière, trouvent sûrement dans ces combats la rédemption pour les milliers de mètres cubes de bétons qu’ils ont, eux, étalés sans vergogne durant toute leur activité sans le moindre état d’âme à l’époque pour leur bilan carbone !
Si la cause est louable, le bâtiment en question lui ne l’est souvent plus… louable
Ainsi des combats les plus emblématiques, pour la préservation d’une tour, aux plus symboliques, au motif que quelque personne illustre aurait rangé ses guêtres dans un cagibi, tout est bon pour entraver la possibilité de réaliser un nouveau mètre carré en lieu et place d’un existant.
Si, sur le papier, il est légitime de s’interroger sur la pertinence de démolir un édifice pour le remplacer par un autre faisant peu ou prou la même surface, présupposer qu’un investisseur quel qu’il soit le fasse par gaîté de cœur, pure jouissance ou sadisme anti écologique plutôt que par simple réalisme économique semble quelque peu fantaisiste.
Le monde du bâtiment n’a pas attendu l’avènement de la pensée environnementale pour faire de la réhabilitation. La plupart des immeubles de centre-ville, hôtels particuliers, immeubles haussmanniens et faubouriens ont été adaptés, rénovés, certains ont même changé d’affectation, passant d’immeubles de logements à immeubles tertiaires. Tout cela s’est fait non pas sous le coup d’une pensée écologique mais simplement par réalisme économique.
Alors que la France s’enorgueillit de ce Paris Haussmannien, il serait bon de se rappeler tout de même que celui-ci ne s’est pas fait dans la compromission ! À l’époque foin de pensée écologique il est vrai mais une pensée humaniste qui consistait à offrir des conditions de vie décentes à une population urbaine grandissante et adapter la ville aux besoins des contemporains.
Avant ces grands travaux, Paris comptait déjà beaucoup d’immeubles pour lesquels Haussmann ne s’est pas beaucoup interrogé sur la qualité constructive et leur potentiel réemploi… Non ! il a fixé un cap et l’a tenu et son œuvre a laissé nombre de personnes sur le carreau et vraisemblablement détruit des bâtiments que l’on jugerait aujourd’hui exceptionnels et pour lesquels certains s’élèveraient contre leur démolition. Mais refaire la ville sur la ville, vouloir lutter contre l’étalement urbain ne se fait pas par magie, et les m² doivent bien être gagnés quelque part…
Ainsi la plupart du temps, lorsque l’on se donne le mal d’analyser les raisons qui poussent à la démolition d’un édifice plutôt qu’à sa réhabilitation, de comprendre assez vite qu’en réalité le choix qui se présente à l’investisseur est : démolir et reconstruire ou passer son chemin et laisser une épave à l’abandon… Qu’est-ce qui est préférable ?
Il suffit de se promener dans les villes pour s’apercevoir que nombre de bâtiments qui les jalonnent sont abandonnés depuis des années. Ils ont été construits pour une raison précise à un moment donné, parfois par spéculation en imaginant que la ville se développerait là, ou simplement en répondant à une incitation fiscale dont l’État français possède le secret depuis quelques décennies. Pour autant, ils se révèlent inadaptés lorsque l’activité initiale a disparu ou que le pari spéculatif est perdu et demeurent ainsi à l’abandon jusqu’à leur ruine totale. Est-ce préférable de privilégier ce type d’urbanisme dont le corollaire est nécessairement l’étalement urbain ? Le fait est que si la réhabilitation n’est pas économiquement viable, l’investisseur va voir ailleurs.
Dans certains cas, l’investisseur n’aura d’autre choix pour viabiliser une opération que de tenter d’aller chercher un appui financier par la défiscalisation, il y a toujours une solution dans ce domaine en France. En l’occurrence, la loi Malraux permet de défiscaliser les travaux effectués dans le cadre de la rénovation d’un bâtiment classé aux monuments historiques. Des promoteurs s’en sont fait une spécialité et tendent à faire classer des bâtiments qui, en d’autres temps, auraient été démolis sans autre attention. De fait, à y regarder de près, chacun peut trouver dans n’importe quel bâtiment un attrait, un détail particulier, une personne qui l’a fréquenté, ou une participation au paysage urbain local qu’il serait dommage de dénaturer…
Il y a donc fort à parier que dans les mois et années à venir nos villes se couvrent de « bâtiments classés » comme si la France n’en comptait pas déjà beaucoup. Surtout, dans cette logique, seuls la frange de la population la plus riche et les investisseurs étrangers sont concernés par ce type de produit. Autrement dit tout cela ne va conduire qu’à une accélération de la gentrification des villes.
Dans les années ‘50 et ‘60 la période a été propice à l’expérimentation urbaine avec des résultats plus ou moins probants, allant des cités-jardins les plus réussies aux grands ensembles comme la cité des 4000 de la Courneuve. Doit-on alors aujourd’hui préserver coûte que coûte ces quartiers dont certains ont tout de même particulièrement mal tourné ? Il est bien sûr facile de trouver une personne âgée ayant toujours vécu là et qui ne supporterait pas de changer d’endroit et expliquant combien il était formidable ce quartier dans le temps… Mais si plus personne ne veut venir s’y installer, doit-on garder ces m² vides ? Doit-on au nom de l’écologie conserver coûte que coûte les traces d’un urbanisme manifestement en échec ?
Depuis les beaux quartiers et dans une vision théorique, il est toujours possible d’expliquer qu’une barre d’immeuble peut se réhabiliter et s’améliorer… C’est une position dogmatique facile à tenir depuis le salon feutré d’un immeuble haussmannien mais combien de ces théoriciens sont prêts à aller y vivre dans cette barre réhabilitée ? D’autant que cela obère aussi la vision symbolique et psychologique du renouveau d’un quartier passant par la démolition au moins partielle des anciens bâtiments pour laisser place à une image renouvelée.
Alors, après avoir cherché durant des millénaires à adapter nos espaces bâtis aux besoins de la population contemporaine, doit-on dorénavant envisager de faire l’inverse et préparer la population à devoir s’adapter au bâti déjà là ?
À l’heure du ZAN qui va mettre une pression encore plus forte sur le prix du foncier, à l’heure où le coût de production du m² n’a jamais été aussi élevé en raison des prix des matériaux et les normes pléthoriques, auquel s’ajoute le coût du crédit lui aussi sur la pente ascendante, que proposons-nous aux familles qui vont immanquablement se retrouver dans la précarité ?
Alors même que nous ne sommes qu’au tout début de la crise immobilière, les bidonvilles sont en train de se constituer aux portes des agglomérations et pendant ce temps, le mot d’ordre est ne plus démolir pour réhabiliter, même si cela coûte plus cher…
Curieuse vision de la notion « d’utilité publique » de l’architecture…
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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