Le label RGE (Reconnus Garant de l’Environnement) a été instauré en 2011 pour permettre aux particuliers, désireux d’effectuer des travaux d’économie d’énergie, de faire appel à des professionnels compétents et qualifiés. En réalité, comme souvent dans ce pays, un vœu pieux se révèle être un cauchemar réglementaire, inefficace de surcroît. Mais Roselyne Bachelot, la ministre de la Culture, a peut-être une solution. Entretien imaginaire.
– Roselyne, je peux te parler un moment ?
– Bien sûr, Jean, vas-y, je t’écoute.
– Voilà, j’ai vu Emmanuel, il est très ennuyé parce qu’il a reçu un nouveau rapport de l’ADEME qui montre que les rénovations énergétiques ça nous coûte un pognon de dingue pour des résultats catastrophiques et il y a presque autant de passoires énergétiques aujourd’hui qu’hier. Evidemment, l’opposition, les écolos, tout le monde se jette là-dessus pour montrer qu’on ne sait pas gérer les finances du pays – il est vexé, tu penses ! lui un banquier … Bref, la politique énergétique, c’est un sujet brûlant, si je puis dire.
– Et qu’est-ce que tu veux que j’y fasse, mon pauvre ami ?
– Eh bien, on a essayé de labelliser les artisans RGE.
– La RG…Euh ?
– Le label RGE permet depuis 2011 aux particuliers d’engager des travaux de rénovation énergétique en faisant appel à des professionnels qualifiés. Qui plus est, le recours à un professionnel RGE est obligatoire pour bénéficier d’aides.
– Et alors, c’est plutôt bien ça, non ?
– Non car ça ne marche pas : quand ils vont voir un client, les menuisiers veulent changer les menuiseries, même s’il faut plutôt changer la ventilation, les plombiers veulent changer la chaudière, même s’il faut plutôt boucher les cheminées, et les plaquistes veulent mettre de la laine de verre partout, même s’il y a en déjà assez.
– Que fait le gouvernement ?
– Il a été demandé à des services publics de dire aux gens quels sont les travaux à faire, puisque les artisans s’obstinent à ne faire que leur métier. Mais cela ne marche pas non plus car il n’y a pas de formulaire Cerfa pour savoir quels travaux il faut prévoir, lesquels sont utiles, quels systèmes privilégier. En effet, ce ne sont jamais vraiment les mêmes, il s’agit toujours de cas particuliers ! C’est la galère… Alors, comme plus personne ne sait que faire, on s’est dit que toi – la Culture, tu penses ! – tu aurais peut-être des idées à nous donner.
– Ce n’est pourtant pas compliqué. Ce qu’il faudrait trouver, c’est quelqu’un qui dise quels travaux sont à faire, à chaque fois, au cas par cas ?
– C’est exactement ça sauf que ce quelqu’un doit aussi pouvoir distinguer les artisans réellement compétents des autres. Parce que RGE, tu comprends, entre nous, c’est une usine à gaz… Il lui faudrait aussi vérifier si les prix annoncés sont corrects – souviens-toi, c’est nous qui payons – parce qu’apparemment les gens ne savent pas combien coûtent ces travaux de rénovation ; il y a des abus, ils se font avoir. Enfin, il faut pouvoir vérifier que les travaux ont bien été effectués et sont bien faits. C’est toujours pareil, les gens ne se rendent pas compte, le travail a l’air d’être bien fait mais en réalité, c’est n’importe quoi, et du coup, les factures de chauffage et les gaz à effet de serre, c’est chaud.
– En fait, tu voudrais que j’aie une baguette magique ? Et pourquoi un menuisier ne peut pas conseiller de changer la chaudière, si c’est elle qui est défaillante ?
– Parce qu’il veut vendre ses fenêtres, pardi ! La chaudière, ce n’est pas lui qui va la vendre, elle ne lui rapportera rien. Et puis, il n’en sait rien s’il faut changer la chaudière, il n’est pas plombier.
– Ah oui, je n’y avais pas pensé… Il faudrait donc un artisan qui ait toutes les compétences : menuisier + plaquiste + électricien + plombier + tout le reste et qui décide des travaux.
– Voilà, c’est ça. Ça n’existe pas, je te signale.
– Ah zut. Il faut donc l’inventer !
– Continue, tu m’intéresses.
– Voyons, un artisan qui fait tout. Comment fabriquer ça… ? Il faudrait qu’il fasse de longues études, parce qu’il y a beaucoup de choses à savoir. Je présume qu’il y a aussi un tas de réglementations à connaître ?
– Plus que tu ne crois. En fait, il y en a tellement qu’on ne peut pas en faire la liste.
– Ah bon, à ce point ? Alors, il faut que notre homme, ou femme, sache ce qu’il fait, on ne peut pas se mettre hors-la-loi.
– Et il ou elle doit encore vérifier la qualité de ces travaux. Et qu’il connaisse des tas d’artisans, qu’il vérifie leurs prix, leurs assurances. Bref, qu’il s’occupe de tout. Et surtout, surtout, qu’on puisse lui faire confiance.
– Jean, tu sais quoi ? Je viens d’avoir une idée : ce n’est pas un artisan qu’il faut, au contraire c’est quelqu’un qui serait in-dé-pen-dant des artisans ! Comme ça, en ne vendant pas les travaux, en vendant seulement ses conseils, il sera fiable, comme un médecin à qui on peut faire confiance quand il prescrit des médicaments, parce qu’il ne les vend pas lui-même.
– Roselyne, tu es fantastique.
– C’est que les médecins et les médicaments, ça me connaît. On va demander à des ingénieurs (pas des médecins, quand même) s’ils veulent qu’on les labellise pour ça. Voyons, on pourrait demander à Qualibat de créer une nouvelle qualification, URGE – U comme « unique », puisque ce sera le seul qui décidera de ce qu’il faut faire. Ou comme « utile », parce qu’on en a rudement besoin. Et puis, ça urge, il me semble, à t’entendre.
– Mais il faudrait être sûr qu’ils fassent bien leur métier, qu’ils soient fiables.
– Ca, Jean, c’est facile : il suffit de créer un Ordre, comme l’Ordre des médecins. Avec un Code de déontologie, et tout le bazar. Ces hommes et femmes-là prêteraient serment (ça fait toujours classe, non ?), ils seraient tous assurés. Tout pareil que les médecins. Les médecins du bâtiment… Voilà qui passerait bien au journal de 20h. (Rêveuse) les médecins du bâtiment…
– Et comment on les appelle ?
– Excuse-moi d’étaler ma culture, mon cher, mais je crois pouvoir répondre. Voyons… ils ou elles devront en fait commander aux artisans, n’est-ce pas ? En grec, ça donnerait « Arkhein » comme « commander », et « Tektôn », comme artisan. Oui, voilà, j’y suis, nous allons créer le corps des « arkheintektons ». Pas mal, non ?
– Arkheintekton, mmouais, pas mal… un peu compliqué quand même, surtout avec l’accent du sud. Je simplifie : arketekton… arketecte… Oui, arketecte, ça sonne bien non ? Tu sais quoi, ça me dit quelque chose, ce truc…
– Moi aussi, j’ai vu ça quelque part, c’était même ici, au ministère. Attends, je regarde sur Wikipédia…
Jean ?
– Oui, Roselyne ?
– Tu vas rire…
Jean-François Espagno, arkheintekton