À l’heure où le pays se projette dans l’inconnu en klaxonnant, le logement devenu la corde qui soutient la classe moyenne se révèle un sujet pour les impétrants aux plus hautes fonctions. Sur l’autoroute, arrêt sur l’aire de la Poêle percée, au buffet des sandwichs rassis et de l’urbanisme des économistes et des ambitieux.
De nouvelles lois logements ?
Il y aura de toute façon un nouveau gouvernement et vraisemblablement, faut-il le souhaiter ?, un nouveau titulaire au ministère du Logement pour assurer la continuité républicaine. Voyons.
La loi logement de Guillaume Kasbarian devait être discutée à l’Assemblée nationale le 18 juin 2024. On connaît la suite… Qui sait si Guillaume Kasbarian sera encore ministre dans une semaine ?
En 2017, Richard Ferrand, ministre de la Cohésion territoriale, récupère le Logement, la Ville et l’Aménagement du territoire. Il avait pour mission de « réconcilier les France, urbaine, périurbaine et rurale ». On connaît la suite.
Suivirent Jacques Mézard et Julien Denormandie, promoteurs en 2018 de la loi Evolution pour le logement, l’aménagement et le numérique (ELAN) qui devait « mettre l’innovation au service de la restauration des villes moyennes, des centre-bourgs, de la préservation du patrimoine pour l’amélioration du cadre de vie des habitants ». On connaît la suite.
Puis Emmanuelle Wargon, en octobre 2021, annonçait sa volonté de rendre la densité « désirable », expliquant que la « maison individuelle avec jardin n’était plus soutenable ». De tweeter cependant quelques heures plus tard qu’« il n’est pas question d’en finir avec la maison individuelle ». Le sens du vent, tout ça… Comprenne qui pourra ! On connaît la suite.
Puis encore Olivier Klein. Tiens, il a été ministre du logement Olivier Klein ?* On ne connaît pas la suite.
Puis, Patrice Vergriete. Tiens, il a été ministre du logement Patrice Vergriete ? Il a été recasé, brièvement donc, aux Transports.
Enfin, le fameux Guillaume Kasbarian qui s’est attelé cœur battant à la crise du logement avec sa loi « antisquats ».** On connaît la suite.
Demain, la suite !
Ligne 14
Inauguré le lundi 24 juin 2024, le prolongement de la ligne 14 du métro parisien permet désormais de rejoindre Orly. C’est le premier tronçon du Grand Paris Express mis en service, quinze ans après l’annonce en 2009 de son lancement par le Président Nicolas Sarkozy à la Cité de l’architecture. Depuis, une nouvelle géographie est née, est encore en train de naître, et des architectes se sont régalés avec toutes ces gares qui n’en finiront pas d’être inaugurées dans les prochaines années. Une opération immobilière d’une telle ampleur qu’elle est visible de la lune !
Certes… Mais voici ce que disait l’ancien président en conclusion de son discours :
« Il n’y a pas de fatalité de la métropole invivable. Nous allons le prouver. Nous allons bâtir ensemble la ville du XXIe siècle.
Non pas la ville idéale qui n‘existe pas, mais une ville où chacun sera tout simplement plus heureux de vivre.
C’est une question d’imagination.
C’est une question de volonté.
C’est une question d’intelligence collective.
C’est une question de méthode ».
Vision ? Imagination ? Méthode ? Bon, intérêts bien compris ici et là, il a néanmoins fait moins bien à Saclay.
Pour autant, aujourd’hui et demain, surtout demain, qu’en est-il d’un projet similaire à l’échelle du pays et de l’Europe ? La « réindustrialisation de la France », concept flou s’il en est ? Quatorze EPR font-ils un projet pour rendre la ville plus vivable ? Sans doute puisque la Ligne 14 fonctionne à l’électricité.
Julien Bargeton, nouveau président de la cité
Le ministère de la Culture, sur proposition de Rachida Dati, a annoncé le 19 avril 2024 la nomination par le Président de la République de Julien Bargeton à la présidence de la Cité de l’architecture et du patrimoine place du Trocadéro à Paris. Dans le communiqué, le ministère précise à propos de cet homme que « sa fonction d’adjoint au maire en charge des finances ainsi que ses expériences d’enseignant et de magistrat lui ont donné un profil d’expert en finances et marchés publics ».
Expert en finances et marchés publics ? Exactement ce qu’a ordonné le docteur pour l’architecture !
« À la tête de la Cité de l’architecture et du patrimoine, l’action du nouveau président visera à mettre les publics au cœur du dispositif grâce à une programmation dynamique qui renforce la place de l’expérience, dans une logique de plateforme ouverte à de nouveaux réseaux (start-up, élus, étudiants) et agissant hors de ses murs », poursuit sérieusement le communiqué.
Mettre les publics au cœur du dispositif ? C’est bien le moins pour un musée, parce que sinon ce n’est pas la peine ! Une programmation dynamique ? Parce qu’avant la programmation de la Cité était molle ? C’est Catherine Chevillot, dont le ministère vante le « bilan remarquable entre 2021 et 2024 », qui doit être contente !
Pour autant, à lire ce communiqué, et le relire par acquit de conscience, les finances et les marchés publics, est-ce là toute l’ambition du président et de la ministre pour la Cité de l’architecture ? En tout cas, Julien Bargeton a quitté la dernière station avant l’autoroute juste avant les futurs embouteillages dans la fonction publique.
Grand Prix de l’urbanisme
Le 7 mai 2024, le ministère de l’Écologie a annoncé les trois nommées pour le Grand Prix de l’Urbanisme 2024 : Isabelle Baraud-Serfaty, Christine Leconte et Claire Schorter.
La première, Isabelle Baraud-Serfaty est « économiste, a travaillé comme consultante en finances locales, investisseur d’intérêt général à la Caisse des dépôts et consignations, et comme promoteur au sein d’une banque hollandaise (ING Real Estate) ». Elle a publié en 2023 le livre « Trottoirs ! ».
Une économiste pour le Grand Prix d’Urbanisme, pourquoi pas, après tout ce sont eux qui, jusqu’à Bercy, façonnent la ville que nous connaissons.
Claire Schorter est architecte et fondatrice de l’agence LAQ. Après un parcours dans les agences de Paul Chemetov et Bernard Reichen, elle crée sa propre agence en 2013, qui deviendra en 2017, l’agence LAQ installée à Paris et à Nantes. « Elle a à son actif de nombreux grands projets métropolitains à Nantes (avec Jacqueline Osty, Grand Prix de l’Urbanisme 2020), à Lille autour de la gare Saint-Sauveur (avec Jan Gehl). Elle revendique un urbanisme des tracés, du sensible et l’hybridation des formes urbaines et des programmes pour produire un tissu urbain plus diversifié ».
Fichtre, une urbaniste retenue pour le Grand Prix de l’Urbanisme !
Enfin Christine Leconte. Christine Leconte ???? Le communiqué du ministère précise qu’elle « est architecte et préside depuis 2021 l’Ordre des Architectes. Elle est lauréate du palmarès des jeunes urbanistes 2010. Elle dirige l’agence AKNA, spécialisée en conseils et stratégies urbaines, et préside le groupe de travail du Think-Tank « La fabrique Écologique sur quel urbanisme dans le périurbain ? ». Elle est coauteur du livre « Réparons la ville ».
Quelqu’un a vu un trait d’urbanisme signé de Christine Leconte depuis 2010, autre qu’un trait d’humour non construit s’entend ? En plus, présidente de l’ordre des architectes, elle ne l’est déjà plus !
Bref, pour n’importe quel jury ayant un peu de tenue, la décision n’était pas difficile à prendre. Ce jury s’est réuni le 13 juin 2024. L’an dernier, l’annonce du lauréat, Simon Teyssou, avait eu lieu environ deux mois, le 13 juin, après la réunion du jury le 21 avril. Deux mois… L’annonce de la lauréate 2024 devrait donc tomber cette année à la mi-août, en plein milieu des congés estivaux. Pourquoi pas le 15 août d’ailleurs ? Ce serait réussi question symbole ! Comme quoi, pour le ministère de la Culture, le Grand Prix de l’Urbanisme, ça vaut son pesant d’eau bénite ! Au moins, cette fois, sans doute pour réparer quelque tort, seules des femmes étaient nommées.
Noter encore, partage des tâches oblige, que si l’annonce des nommées est issue du ministère de l’Écologie, le prix sera officiellement remis par le « ministre délégué chargé du Logement en fin d’année ». Certes mais lequel, et où adresser la facture des agapes ?
À propos enfin de ce grand prix de l’urbanisme annuel, le problème vient sans doute qu’il est annuel justement. L’urbanisme se déploie sur le temps très long alors trouver un Grand Prix d’Urbanisme par an relève de la forfanterie. D’où la tendance du ministère à étirer la définition de l’urbaniste, un mot qui n’aura donc bientôt pas plus de sens que le mot architecte. La preuve, le Grand Prix d’Urbanisme 2023 était Simon Teyssou, qui développe un concept de ruralité, i.e. antinomique de l’urbanisme stricto sensu, et l’année d’avant, Franck Boutté, un ingénieur. À ce compte-là, quand après avoir fait le tour des minorités il faudra au ministère trouver trois iconoclastes, parce que j’ai écrit une série d’articles dans les années ‘90 à propos de la métamorphose de Phoenix, Arizona, je serai sur la liste !
Architecture testostéronée
Si le ministère de la Culture promeut toutes les femmes donc, c’est l’inverse à Montpellier avec un recrutement 100 % homme à l’école d’architecture. Voyons.
Type de Recrutement : Théorie et Pratique de la Conception Architecturale et Urbaine ( TPCAU)
Ville et Territoire ( VT)
Lieu : ENSA de Montpellier 2023
Constat :
– 6/7 recrutés sont ACE ou AJAP
– 100 % sont des hommes
– 2 recrutés sont associés de la même structure
– 4 ont des projets communs
– 1 membre du jury a des relations professionnelles directes avec un recruté
– 1 seul recruté est qualifié par le Conseil National des Enseignants-Chercheurs des Ecoles Nationales Supérieures d’Architecture (CNECEA) (c’est-à-dire que les autres ont peu ou pas d’expérience de l’enseignement. NdA)
Constat suite : quatre candidates non retenues, dont trois qualifiées par le CNECEA et une AJAP 2021.
Des branquignolles les filles ou leurs qualifications et compétences n’auraient-elles pas ou mal été prises en compte ou évaluées équitablement par des pieds nickelés ?
Le retour de la république des copains, c’est possible ?
Au moins, à Montpellier, les 70 % de femmes qui constituent la majorité des étudiant(e)s ne manqueront pas de rôles modèles. What else ?
Hameau de la Bérarde
Vous avez vu les images de ce hameau à 1 700 m d’altitude emporté par un torrent furieux. Pourtant, ceux qui avaient installé là le hameau, sans être architectes, savaient ce qu’ils faisaient. À l’heure du dérèglement climatique, leur savoir-faire ancestral n’aura pas suffit. Et comme au Hameau de la Bérarde, c’est un peu de la légende des siècles qui disparaît un peu plus chaque jour quelque part en France. Il n’y a plus de certitude climatique et personne n’est plus à l’abri du danger. Rappel hélas salutaire que vivre sur une planète est, de fait, dangereux.
Liberté !
Dernière station avant l’autoroute : s’il faut choisir entre la peste brune et le choléra, au moins contre le choléra il y a un vaccin ! Quoiqu’il en coûte ?
Toujours est-il que pour les magazines indépendants tels Chroniques d’architecture, il risque de devenir dangereux de rigoler, les fondus des deux extrêmes que le ridicule n’effraie pas n’ayant guère le sens de l’humour. Je me permets ici de citer Albert Camus, extrait de son Manifeste du journaliste libre… écrit, et censuré, à Alger en 1939.
« On peut poser en principe qu’un esprit qui a le goût et les moyens d’imposer la contrainte est imperméable à l’ironie. On ne voit pas Hitler, pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, utiliser l’ironie socratique. Il reste donc que l’ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu’elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 1939, ne se fait pas trop d’illusions sur l’intelligence de ceux qui l’oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l’homme. […] Un journaliste libre, en 1939, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu’elles ont peu d’amants ».
Nous n’en sommes pas là comme en 1939, et je ne suis pas Camus, mais la censure et plus sûrement l’autocensure sont insidieuses. Chroniques a sans doute plein de défauts mais ce sont ceux de l’autonomie nécessaire. La liberté n’a pas de prix mais elle a un coût et un indice haut carbone : Fahrenheit 451. Aussi, au moment de s’embarquer avec le pays vers des horizons inconnus pour une traversée pleine de récifs et de nouveaux périls, pour se défier des propagandes et de la bande à Bollot, c’est le moment pour ceux et les agences qui ne le font pas encore de soutenir une source indépendante tant, quoiqu’il arrive, l’architecture n’est au programme d’aucun des impétrants. Ce pourquoi, à Chroniques, la lumière sera toujours allumée pour les architectes. (Tous les détails dans le kiosque).
Christophe Leray
*Logement en crise, ministre absent : Olivier Klein, un nain politique même pas décoratif
** Guillaume Kasbarian, ministre du Logement, plonge la France dans la pauvreté