L’année 2024 est celle du soixantième anniversaire de la reconnaissance officielle, en janvier 1964, par le Général de Gaulle et la France, de la République Populaire de Chine. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
La Chine du milieu, cet énorme continent, une culture si présente dans un monde pourtant si éloigné et si étranger. J’avais toujours ressenti une inquiétude face à cette immensité, une immensité dans tous ses aspects, puis un jour…
C‘est toujours avec mon cahier de dessins que j’appréhende la culture, et l’architecture vernaculaire.
Cette recherche d‘identité visuelle authentique me fait dessiner ce que je trouve, la calligraphie des montagnes, des pagodes et cette architecture en accent grave des temples et des toits !
Il y a dans la Chine des affaires une volonté de faire autant qu’une demande de créativité et si les promoteurs exécutent des ouvrages par nécessité démographique et économique, l’ego joue un rôle important, ce qui fait la différence. Parmi les gigantesques villes nouvelles, sept d’entre elles comptent plus de dix millions d’habitants, plus de 40 villes secondaires en abritent plus d’un million.
Chaque groupe d‘immeubles neufs porte la marque de son promoteur, cette recherche d’identité créant une forme de créativité débordante. Ce sont souvent les derniers étages qui se coiffent et se décoiffent ; comme les pagodes jouaient de leur identité, les gratte-ciel reprennent le même leitmotiv ce qui donne aux villes nouvelles une diversité de formes pourtant indiscutablement chinoises. Les lumières la nuit, témoignant de l’essence Feng Shui légendaire, évoquent des notions de bien-être, de créativité et de dynamisme.
Shanghai n’est pas la Chine mais sa prestance est telle que j’y ai découvert beaucoup de ce que j’avais trouvé à New York, c’est-à-dire sa vie boulimique, permanente, active et… la hauteur des immeubles.
Une ville que j’ai appréhendée sous toutes ses formes et que j’ai vu passer de l’histoire au futur, le skyline renouvelé chaque mois.
Depuis le Covid Shanghai a changé. La ville est d’une propreté exemplaire. Puisqu’il y a peu de constructions nouvelles, la silhouette paraît finalement achevée. Les grues ont disparu avec les barricades de chantier et le bruit incessant dans les rues. Des jardinières interminables à arrosage automatique quittent la ville pour longer les autoroutes et les bretelles : le paysage urbain est florissant. Les amas de fils électriques ont disparu et les draps ne flottent plus au vent mais dans des vérandas fermées sur les balcons.
La ville est organisée, automatisée. Aux feux rouges, les piétons finalement respectent les signaux, une discipline due à la grande présence de caméras aptes à verbaliser. Les bicyclettes et motos électriques circulent en silence, les voitures électriques remplacent peu à peu les pots d’échappement vrombissants d’hier. Smart, écolo, verte, nous pourrions utiliser ces mots-clefs de la ville durable.
Pendant le Covid la Chine s’est disciplinée, modernisée et… policée, un sujet certainement à éviter. Les caméras inondent les rues, les espaces publics et dans les immeubles où la reconnaissance faciale remplace la carte digitalisée d’accès sécurisé.
Il n’y a pas le choix, c’est la nouvelle Chine de l’ère digitale au bien-être automatisé, surveillé, ciblé ou contrôlé…
Notre imagination nous fait rêver ou diaboliser le monde du futur où la monnaie est remplacée par le paiement avec son téléphone et le paiement généralisé par WeChat ou AliPay. Le papier-monnaie est en voie de disparition. Encore un mode de contrôle ?
Le Covid a changé également le visage cosmopolite de Shanghai. Demeurent quelques visages occidentaux dans un paysage uniforme d’une nouvelle Chine vivant plus que jamais dans une étonnante autarcie.
J’ai retrouvé certains dessins d’une Chine que j’aime, cette Chine du passé, de ces restaurations du patrimoine culturel, pas celle du pastiche à la Disneyland, insupportable identité, copie cartooniste et appauvrie.
Au cœur de la ville de Shanghai, dans les parcs ou au bas des immeubles, on danse toujours au son d’une radio, le bruit des sonnettes des vélos est un fond sonore rassurant, les chants bouddhistes qui émanent à proximité du temple de Jing Jiang sont une bouffée d’histoire et d’authenticité.
Les chants des tambours et des sonnettes résonnent avant d’aller mourir dans une avenue de luxe et d’abondance rythmée par les ‘shoppings centers’ et les marques prestigieuses. Entre Dior, Louis Vuitton Chanel et Hermès, toutes les grandes marques foisonnent sur Nanjing lu et Hua Hai lu. Les vitrines de rêves.
Sous les platanes des rues ondulantes de la concession française, les feuilles mortes ne résistent plus aux aspirateurs. Les trottoirs en automne sont désormais immaculés.
Je crois que je n’ai pas fait un voyage à Pékin sans visiter et revisiter la Cité interdite, le temple des Lamas, le temple du soleil, la célèbre muraille. C’est à chaque fois un enchantement que de se perdre à bicyclette dans les Futongs les plus interdits et de découvrir une histoire et des vestiges du passé sans lesquels la Chine n’existerait plus.
Avec les odeurs des marchés à l’encens des temples, la ville est restée majestueuse, impériale, malgré l’effusion de modernisme et de gigantisme. Une ville où le temps n’existe plus, où le ciel d’un bleu impérial pendant l’hiver continental se perd dans un impressionnant brouillard de pollution ou dans les dévastatrices tempêtes de poussière et de sable venues de Mongolie !
J’ai sillonné ce pays dans lequel j’ai laissé une empreinte éparpillée grâce à des promoteurs fidèles m’ayant permis de construire dans plus de dix villes et de découvrir ce continent de contrastes.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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