Le 27 janvier 2024 était le 60ème anniversaire de la reconnaissance en 1964 par le Général de Gaulle de la République Populaire de Chine et de l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays. « Vivre comme si [la Chine] n’existait pas, c’est être aveugle, d’autant qu’elle existe de plus en plus », expliqua-t-il. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
Cet anniversaire est célébré partout en Chine, la Shanghai Tower affichant du haut de 632 m et 128 étages le logo rouge et jaune de ce 60ème anniversaire. Les événements s’enchaînent, expositions, colloques, échanges entre des entreprises et, surtout, la facilité et la levée des visas pour les Français, entre autres, qui souhaitent se rendre en Chine pour une durée de voyage inférieure à 15 jours.
Pour autant, après deux voyages consécutifs, j’ai constaté que les étrangers se font rares. Peu sont ceux à souhaiter revenir ou à s‘expatrier en Chine. Le visage occidental de Shanghai, où l’on entendait parler français dans les rues de la concession française, semble avoir disparu, les restaurants occidentaux ont fermé. Seuls subsistent encore quelques établissements mais il s’agit bien d’une présence en peau de chagrin. La modification est profonde.
Les platanes de la concession française gardent cette nostalgie du passé, tout comme les toits en pente des maisons de ce quartier qui fut français de 1849 à 1946. Ces maisons sont actuellement très prisées, beaucoup ont été restaurées et la concession a retrouvé un air de village ! Mais, arrivé au fond des « lanes », où seules la brouette et la bicyclette peuvent accéder, c’est toujours la Chine.
Au point de guet à l’entrée, un gardien du secteur – entre physionomiste et pseudo œil du parti communiste – contrôle les entrées et les sorties des habitants et les visiteurs, qui doivent s’annoncer. Il n’y a pas encore si longtemps, en été, les habitants sortaient tables et lits pour manger et dormir dehors durant les nuits humides et tropicales de Shanghai. Le soir, en T-shirt de flanelle blanche retroussé au-dessus du nombril, les hommes jouaient au Mahjong dans les rues sous les draps et sous-vêtements de toute une famille qui séchaient aux ficelles tendues entre deux maisons.
Les bulldozers ont détruit des milliers de Shikumen, petites maisons avec des cours, qui ont été remplacées par des immeubles collectifs, grandes tours impersonnelles au profit de promoteurs. Mais à Shanghai comme ailleurs en Chine, la bulle immobilière a éclaté, les banques sont de plus en plus exigeantes, les promoteurs ne peuvent plus répondre de leurs promesses, de nombreux programmes sont interrompus.
Cependant, certains quartiers de Shikumen ont été rénovés et sont devenus des centres commerciaux à ciel ouvert. D’ailleurs, les lilong, un habitat historique caractéristique de Shanghai composé de bâtiments en brique séparés par des petites venelles, sont désormais recherchés.
L’histoire est présente partout. Comment subsiste encore miraculeusement au centre de Shanghai son temple le plus mythique, le temple de Jing’an ? Ce temple de la Paix et de la Tranquillité construit à l’époque des Trois Royaume et retransplanté au centre de la Ville en 1216 a été reconstruit pendant la période Ming. En 1930, il est occupé par le célèbre gangster Abbot Khi Vehdu. Le temple a brûlé en 1972 et fut reconstruit en 1984. Depuis s’y entendent à l´intérieur le gong et les chants bouddhistes des moines qui prient au milieu d’une fumée d’encens qui s évapore de petites constructions en forme de chaudron devant lesquelles les croyants s’agenouillent pour y faire des vœux en brûlant une tige de bambous. Des moines marchent vers leur lieu de prière et chantent mélancoliquement… quotidien anachronique du temple dans une ville hors du temps, bâtiment doré aux murs rouge carmin jouxtant le gigantisme et la modernité des grands magasins de Nanjing lu…
Non loin, des immeubles Art Déco aux façades criblées de vieux appareils d’air conditionné et bardées de fils électrique à proximité d’hôtels de luxe et de ‘shopping centers’ démesurés. L’Art Déco a joué un rôle influent à Shanghai, reflet de son explosion économique au XXe siècle. Aujourd’hui, ‘night-clubs’, cinémas et salles de spectacle au style Art Déco baroque colonial sont entremêlés avec une architecture hors du temps et hétéroclite.
Le long du fleuve Hangpu, en particulier sur le Bund, Shanghai est aussi un véritable musée d’architecte coloniale néoclassique. L’influence étrangère est partout présente à Pushi, la rive historique de Shanghai. En face, il y a 30 ans, Pudong n’existait pas. En lieu des champs de culture maraîchère, ont été érigés des chefs-d’œuvre d’architecture, des gratte-ciel aux silhouettes époustouflantes, une architecture contemporaine de bâtiments verticaux comme posés sur un plateau d’argent. Sur le fleuve, les centaines de barges de transport qui se croisent et se recroisent, chargées dans un sens et vides dans l’autre, côtoient désormais la féerie des bateaux de plaisance.
Il y a un bâtiment horizontal sous le triangle constitué par la Jin Mao Tower, la Shanghai Tower et la Financial Tower. C’est un bâtiment long et clair que j’ai redessiné en le transformant et qui est devenu le premier Yacht-Club d’Asie. Sa situation est privilégiée, son accès car proche des quais des ferries de Shanghai. Sa taille imposante et ses 10 000 m² de surface le rendent comparable au prestigieux Yacht-Club de Monaco inauguré la même année, en 2013. J’ai d´ailleurs pu jumeler le Yacht-Club de Monaco avec le yacht-club de Shanghai avec le label « La belle Classe ». Une grande cérémonie eut lieu en 2013 à Monaco avec mon assistance pour célébrer ce jumelage.
Shanghai ville d’eau, de hauteur, de lumière, cosmopolite, centre financier le plus important en Chine, ville qui connut son apogée en 2010 avec l’exposition universelle, encore gravée dans la mémoire de tous. Quoi d’autres pour imaginer une ville Chinoise moderne ?
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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