Construire dans la ville dense implique une certaine promiscuité. Mais comment faire quand les susceptibilités sont à fleur de peau, comme c’est souvent le cas entre différentes disciplines au sein d’un même club sportif ? Réponse de Bruno Mader avec un centre sportif conçu au chausse-pied. Visite.
L’un des enjeux de la restructuration et réaménagement du centre sportif Le Gallo à Boulogne-Billancourt (Haut-de-Seine), portée par la Ville maître d’ouvrage, était d’offrir de nouvelles installations à l’un des clubs amateurs, avec plus de 1 500 licenciés, les plus importants de France.
Pour l’architecte Bruno Mader, lauréat du concours en 2014, un autre enjeu était de se rapprocher autant que faire se peut de l’esprit d’un campus sportif urbain. Sur cette surface de près de quatre hectares, qui comptait déjà des équipements obsolètes, l’idée était en effet séduisante de tenter de relier la rue de Sèvres à la Seine au travers d’une déambulation urbaine, sportive et spatiale, ouverte sur la ville dense d’un côté et sur les coteaux de Saint-Cloud, de l’autre côté du fleuve. Ce d’autant que la ville venait de racheter une parcelle adjacente pour agrandir le site.
Cette idée ne put cependant être mise en œuvre pour diverses raisons, dont des raisons de billetterie ; en effet, le club de l’ACBB évolue dans la division juste inférieure au niveau professionnel et le stade devait être homologué. Sauf que cette contrainte imposait la création d’un site clos. Adieu campus. Encore que, quand la ville se félicite aujourd’hui de son nouveau ‘parc sportif’, même s’il s’agit sans doute d’un abus de langage, (comprendre parc au sens français du terme, parquer, fermer, à l’inverse du parc anglo-saxon plus ouvert), il n’en reste pas moins une référence à l’argumentaire de l’architecte, lequel est parvenu à ce que demeurent dans le projet (livré en 2017 et 2018 selon les phases) plusieurs de ses intentions initiales.
Le cheminement étroit qui mène à l’entrée de l’équipement et permet en le longeant de traverser la parcelle le rappelle d’emblée : «le programme est rentré au chausse-pied», indique Bruno Mader.
La ville a agrandi la parcelle avec pour projet, notamment, de doter le centre sportif de nouveaux courts de tennis couverts et, surtout, d’un nouveau terrain de rugby, le premier intra-muros à Boulogne-Billancourt dont l’équipe devait auparavant jouer sur un stade à Meudon, de l’autre côté de la Seine alors même que cette section se développe au sein du club.
Boulogne-Billancourt, 120 000 habitants, est la seconde ville la plus peuplée d’Ile-de-France derrière Paris et, avec plus de 19 000 habitants au km², soit à peine moins que la capitale, elle est une ville très, très, dense. A titre de comparaison, Hong Kong, c’est environ 6 300 habitants au km². Depuis que les sites des anciennes usines Renault et de l’île Seguin ont été construits, il n’y a quasiment plus de grands terrains à bâtir en ville, alors ajouter un stade de rugby et cinq courts de tennis à dix minutes à pied du centre-ville était une gageure.
Ce qui n’a pas empêché Pierre-Christophe Baguet, le maire, d’imaginer quant à lui un projet incluant également une piscine. Les maquettes des différentes équipes du concours furent d’ailleurs exposées avant les élections. C’est avec une piscine dans son projet que Bruno Mader a gagné le concours. Jusqu’à ce que chacun acquiesce qu’enterrer une piscine à neuf mètres sous terre dans la nappe phréatique, dans une zone inondable, était certes possible mais déraisonnable pour les finances de la ville maître d’ouvrage.
Cela étant dit, dans la ville dense, on construit dans les zones inondables. Ici les bureaux sont au-dessus du niveau de la crue centennale, les matériaux en rez-de-chaussée sont choisis pour leur capacité de résistance à l’eau et les bâtiments sont conçus pour ne pas entraver l’expansion d’une éventuelle inondation.
Bref, pour une surface bâtie de 10 480 m² d’un montant des travaux de 27,3 M€ HT (74 M€ pour la totalité du projet), non seulement n’y a-t-il pas de piscine mais la contrainte d’espace était telle que la piste d’athlétisme ne compte que six couloirs, contre huit initialement prévus. Pour faire rentrer le programme – un terrain de rugby donc, un terrain de foot mis aux normes, une tribune de 300 places, une halle de cinq courts de tennis, des ‘Clubs house’, des vestiaires pour tous (huit rien que pour le foot), des salles pour les équipements, des salles de réception, des machines à laver pour les maillots, des bureaux, et tutti quanti – Bruno Mader avait une alternative. «Dans ce type de centre sportif l’une des solutions est de tout empiler sur un seul grand bâtiment», indique-t-il.
Tout à son idée de déambulation et d’une échelle domestique, il a choisi un autre parti : s’il a bien séparé les lieux selon le sport, et selon les vœux de la maîtrise d’ouvrage et des sportifs eux-mêmes, il a opté pour une composition faite de bâtiments de petit gabarit qui «balisent» l’espace. Chaque entité – le foot, le rugby, l’athlé, le tennis, le triathlon – est bien délimitée et, les serviettes et torchons non mélangés, chacune s’inscrit pourtant dans le cadre d’un projet global et rendu homogène par son architecture. Les façades de bois rétifié soulignent cette identité visuelle commune à l’ensemble du club, quel que soit le sport pratiqué. Ce qui ne l’a pas empêché d’empiler trois niveaux dont un niveau de bureaux au-dessus de la tribune.
Cette approche a permis par ailleurs d’offrir une diversité d’ambiances et de points de vue tout en inspirant un sentiment d’intimité et de sécurité, y compris dans les espaces ouverts. «Si chaque discipline a son autonomie, tout le monde peut se croiser et vivre ensemble», indique Bruno Mader. Sans doute, ce d’autant que les fortes contraintes d’occupation sont partout sensibles : les limites du terrain de rugby sont à deux mètres de la façade vitrée de la halle de tennis et quasiment toutes les circulations intérieures, pour les bureaux et espaces de service, sont au taquet de la norme.
D’un autre côté, si les circulations intérieures donnent l’impression que chaque cm² comptait pour tenir le programme, les sportifs sont cependant censés passer beaucoup de temps dehors. Dans des espaces de bureaux habituels, ces circulations seraient vite oppressantes. Là moins, d’autant que les ‘Clubs house’ et les terrasses de chaque édifice offrent de vastes espaces de détente et de rencontre.
Conséquence du plan retenu, «le paysagiste a dû chercher des petits bouts de terrain où intervenir», s’amuse Bruno Mader. C’est une autre limite de la notion de ‘parc sportif’ tant les pelouses sont désormais toutes synthétiques, de couleur verte plus par habitude que par nécessité.
La réussite de ce projet réside cependant justement dans le fait que malgré l’entassement des fonctions – il y a encore un parking de 225 places sous le terrain de foot – nul n’y ressent jamais un quelconque sentiment d’étouffement. Cela tient parfois à pas grand-chose. La vaste esplanade couverte au-dessus des tribunes, bâtiment-pont permettant d’abriter tout un tas de services, est de fait partageable entre le foot et l’athlétisme, chacun avec son ‘club house’ de son côté. Cet espace, partitionné par une paroi vitrée qu’il suffit d’ouvrir en été pour aérer l’espace, de fermer en hiver pour protéger les spectateurs du vent du nord, donne également sur le terrain de rugby. S’ils ne passent pas de vacances ensemble, au moins que les divers licenciés du club se voient.
Cela tient aussi parfois à quelque exploit technique. Sur cette esplanade, l’association de voiles béton en encorbellement et de quelques rares poteaux permet d’offrir une parfaite visibilité au travers d’un saisissant effet de suspension d’une portée de 44m. Idem dans la halle de tennis où les poutres en structure bois atteignent une portée de 40 mètres, autorisant un espace sans poteau.
Certes, l’architecte n’a pas eu le choix du mobilier, lequel tranche à première vue avec la subtilité des lieux. Mais comme il s’agissait d’un seul lot dont s’est occupée la ville, ce sont les mêmes chaises et tables qui sont partagées partout – sauf pour le Tennis – ce qui paradoxalement renforce encore le sentiment d’unité de l’ensemble.
Puisqu’il fallait clôturer le terrain, l’architecte a conçu une astucieuse palissade qui offre une vue furtive sur le terrain, dont le centre n’est jamais visible. Cette transparence évite aux passants de la rue de Sèvres de se retrouver devant un mur aveugle de plus de 100 m de long. Ce serait dommage que le nouveau stade, devenu invisible de la rue, donne envie de changer de trottoir.
Christophe Leray