Bientôt l’intelligence artificielle ministre de l’Économie pour un budget national enfin équilibré ? ministre du Logement pour une solution sans affect à la crise ? ministre de l’Écologie pour des lendemains qui rechantent ? Présidente de la République ?
La réponse aux défis du dérèglement climatique se trouve-t-elle incarnée par la technologie dans un tryptique résumé ainsi par Vulcain ex-Jupiter dans un discours du 12 octobre 2021 : « le numérique, la robotique, la génétique ». Ce n’est plus un forgeron mais un Cyborg ! C’était avant son discours de septembre 2023 où le maître des forges réitérait sa foi en un avenir radieux grâce à des technologies d’autant plus prometteuses qu’elles restent encore à inventer.
Chacun connait le paradoxe de toute technologie : le nucléaire par exemple permet tout autant de produire de l’électricité que d’exploser les gens par millions, la planète étant irrémédiablement polluée pour des milliers d’années ; la technologie spatiale permet d’envisager de conquérir Mars tandis que notre espace proche est devenu un marché sauvage où s’affrontent désormais les mégalos de la planète.
Les gens l’oublient, les ‘millenials’ ne le savent pas, mais la voiture telle que nous la connaissons, c’est-à-dire que tout le monde en a une, a beaucoup moins de cent ans ; il y a cent ans, les très, très, riches roulaient en Peugeot Type 146, du nom d’une entreprise qui s’était faite une réputation dans les bicyclettes. Idem pour les avions. Telle encore l’industrie pétrolière ; qui se souvient que l’Arabie saoudite ne fut fondée qu’en 1932 ? C’était hier. Difficile d’ailleurs de se souvenir qu’en 2000, la France découvrait à peine Internet. Donc, oui, pour le meilleur ou pour le pire, de nouvelles technologies peuvent transformer la société.
Chacune de ces industries fut très généreusement subventionnée par des fonds publics, permettant leur développement mondialisé pour l’intérêt bien compris de tous. Question stratégie planétaire à cent ans, c’était bien joué pour les actionnaires ! En revanche, les États ayant d’abord soutenu ces entreprises sous prétexte de soutenir leur économie, et les élus en tout genre leur réélection, ont progressivement perdu leurs prérogatives et ces multinationales installées au cœur du pouvoir finissent aujourd’hui par décider de l’avenir des populations et des enjeux économiques, sociaux, sociétaux, environnementaux de la société. Elles ont même développé leurs propres monnaies !
Miser sur la technologie, surtout considérant à quel point elle est de plus en plus intrusive et mise au service de l’État autoritaire, n’augure peut-être finalement rien de bon pour le futur. Mais au moins les industries citées ci-dessus étaient-elles nées d’une vision de société à très long terme et si nous en vivons encore les conséquences désastreuses aujourd’hui, ces dernières étaient difficilement prévisibles en 1913 quand Peugeot a commencé à commercialiser ses « automobiles » Type 146 et il faut admettre que pour notre génération, pas cent ans plus tard mais tout au long de notre processus de consommation, avoir sa propre voiture a été un aboutissement extraordinaire, et prendre l’avion et envoyer un courrier en une milliseconde. Et la machine à laver…
Cependant, compter sur « le numérique, la robotique, la génétique » pour protéger le plus grand nombre du brouillard toxique et de la fournaise à venir, n’est-ce pas pour le moins aventureux quand ils sont des milliards à se réveiller chaque matin ayant au ventre aussi faim que peur ?
Nous n’en sommes pas là heureusement et il convient sans doute au sommet de l’État, puisque c’est la sécheresse, d’agir sans précipitation. La preuve, question vision d’avenir pour le siècle, il est permis de se demander pourquoi Vulcain ex-Jupiter, après plus de huit ans au pouvoir, si l’on compte ses années en tant que ministre de l’Économie – les bus Macron, souvenez-vous, symboles de l’avant-garde – se décide soudain à multiplier les plans de toute sorte. La transition écologique et énergétique, c’est seulement maintenant qu’il y pense ?
Pour autant, le voilà parti avec la foi des nouveaux convertis. Dans son discours de la planification le 25 septembre 2023, il indique ainsi « qu’il nous faudra accompagner les ménages qui sont les plus modestes et au-delà de ce que nous avons commencé à faire avec MaPrimeRénov’ ». Nous ? C’est qui « nous » ? Bonjour la défausse… En tout cas, faire preuve de considération pour les manants, pour un président, c’est bien le moins même s’il estime que ces Gaulois réfractaires pourraient bien d’eux-mêmes se bouger les fesses et traverser la rue. Mais bon, entre « eux » et « nous », cela ne fait pas une vision ou un éclair de génie jailli de l’Olympe.
Parmi les objectifs de la planification – un mot que doit adorer Poutine ; où sont les apôtres de l’économie de marché ? – il y a la souveraineté de la France qui sera « renforcée » grâce à la production « d’un million de voitures électriques et d’un million de pompes à chaleur produites d’ici 2027 ». « À l’horizon 2030 », l’objectif est par ailleurs de passer « de 60 % d’énergies fossiles à 40 % ». D’ailleurs, c’est bien simple, « la sortie du charbon », « absolument fondamentale pour la décarbonation » doit être effective au 1ᵉʳ janvier 2027. Il y a plus qu’à… Notez la profondeur de vue : nous sommes en 2023 et, face à des enjeux planétaires d’une ampleur peut-être sans précédent, les objectifs du pays sont à l’horizon 2027 et 2030 ?! Heureusement qu’ils ne sont pas pour hier… Et puis c’est sûr qu’un tel discours, parfaitement inspirant avec ses grands nombres au format Excel, fait rêver et se lever d’enthousiasme les jeunes générations…
À la décharge de Vulcain, qui peut aujourd’hui prévoir quelle sera la taille des grêlons en 2030 et qu’à cette date, l’on se baignerait bien à noël au Fort de Brégançon si ce n’était la mer pleine de méduses et la plage pleine de moustiques tigres, les hôpitaux par ailleurs infestés de punaises de lit et débordant de malades souffrant de la dengue ? Chacun sent bien cependant que Vulcain et ses cyclopes ont enfin pris la mesure de la situation puisqu’il est aujourd’hui décrété que la technologie verte, source de croissance, saura bien en quelques années nous tirer de la mouise. Voilà sans doute relancée la machine à subventions.
Pour autant, si l’architecture est le reflet de la société, cette foi aveugle – ne le sont-elles pas toutes ? – en la technologie mérite peut-être réflexion. Voilà en effet un domaine, l’architecture, qui devrait survivre aux voitures, électriques ou non, et même quand toute l’humanité aura disparue, témoignera encore du génie de l’homme. Or, pour ce qui la concerne, les nouvelles technologies laissent à désirer ; quoi, nul n’a encore inventé le « bâtiment qui vole » comme le rêvait Norman Foster ? Au contraire, les investisseurs ne sachant quel sera dans 20 ou 30 ans à peine l’avenir de La Défense – friche hantée ou quartier riche devenu autonome comme la Corse ? – des architectes en reviennent à la paille, à la terre et aux tenons et mortaises, cherchant dans les poubelles de vieux clous en bois
Une chose est sûre, nul ne fera jamais d’architecture à partir d’une technologie tant cette discipline doit répondre à un ensemble de données sensuelles et culturelles difficiles à définir par une machine. La preuve en est dans les bâtiments d’aujourd’hui où abondent ces technologies de réglage connectées, qui produisent des données quant aux modes de vie des habitants ou des usagers dans un bâtiment. Comme si c’était important de posséder un frigidaire qui parle dix langues ! Données qui cependant serviront à fliquer et contrôler de loin la température de la pièce et l’abondance de la douche quand l’eau viendra à manquer. Impossible aujourd’hui d’acheter une machine à laver sans qu’elle soit reliée à votre téléphone, à votre voiture, à votre banque. Pour autant ces technologies, déjà matures en 2023 et désormais déployées en masse, ne disent rien de l’avenir.
Le BIM par exemple, qui offre de véritables avancées en termes de maintenance et d’entretien d’un bâtiment, ne dit rien du confort des habitants ou des usagers, qui se fichent de savoir si ce bâtiment a été construit en BIM ou autre chose. Chaque communiqué de presse qui traite d’architecture précise bien aujourd’hui, sur deux lignes, toutes les certifications obtenus par ce bâtiment. Hélas, c’est désormais le cas de TOUS les bâtiments car en 2023, chaque architecte qui connaît un peu son métier sait faire un bâtiment multicertifié, ce qui relativise la performance supposée sensationnelle. Pour autant, beaucoup peut être dit quant à son architecture.
« Cette débauche de technologie, parfois extrêmement fine à mettre en œuvre, prête à réflexion quand, dans le même temps, sur les chantiers chacun sait à quel point les architectes ont à faire à une main-d’œuvre peu, voire pas, qualifiée… Qu’advient-il lorsque tous ces systèmes hyper pointus ne sont pas mis en œuvre avec l’exactitude millimétrique d’un laboratoire ? », souligne l’architecte Stéphane Vedrenne.*
En effet, au-delà même de l’architecture, qu’adviendra-t-il quand l’optimisme béat ne suffira plus ? Allo Houston ?
Christophe Leray
* Lire Retour de Batimat : de l’hyper technologie à une technologie de pointe