La France hors course ? C’est ce qu’il ressort du classement 2024 du Top 100 de Building Design* qui propose chaque année une vue en coupe de l’architecture mondiale au travers du montant des honoraires perçus par les agences. La première, Gensler, a encaissé plus d’un milliard et demi de dollars, bien plus évidemment que les trois agences françaises parvenues à se glisser dans ce classement. Qu’est-ce à dire ?
Quels que soient les prochains gouvernements, ils auront à cœur de faire rayonner la France, sa culture lumineuse, son économie chancelante, ses châteaux poussiéreux, le savoir-faire de ses artisans pour le luxe et le vin. Qu’en est-il de l’architecture, du moins celle qui ne date pas de Louis XIV ? Là, apparemment, il y a du travail.
C’est vrai quoi : pourquoi n’y a-t-il pas d’agences françaises de taille mondiale ? Ni même, en y réfléchissant bien, de dimension européenne ? De se poser cette question, en fonction de ses passions propres et de ses études, vient pour chaque architecte facilement en tête une bonne dizaine d’agences qui « rayonnent » dans le monde entier ! Des agences internationales qui fonctionnent par elles-mêmes et perdurent longtemps après la retraite méritée de ses fondateurs, par exemple SOM et Gensler** les Américaines, Foster + Partners et l’agence Zaha Hadid au Royaume-Uni… Agences japonaises, danoises, norvégiennes, elles semblent toutes avoir la recette d’un développement mondial parfaitement orchestré : la confiance de grands donneurs d’ordre, une renommée qui va au-delà des seuls cercles de l’architecture, les applaudissements du public, etc. Souvenez-vous d’Europa City !
En Europe justement, dans des pays bien plus petits que le nôtre, les références instinctives ne manquent pas. Il y a même des agences « étrangères », aisément citées parmi les meilleures agences mondiales, qui font leur miel d’être quasi françaises : Renzo Piano ou, plus exactement, RPBW, ou encore Baumschlager Eberle parmi d’autres.
Bien sûr des architectes français travaillent à l’étranger mais en leur nom propre – ha l’artisan français So French – tels Jean Nouvel ou Christian de Portzamparc mais il n’est pas question ici d’agences organisées par des foudres de guerre ; la preuve, l’agence Lacaton & Vassal, autre Pritzker français, en 2021, n’est pas prête à conquérir le Pérou avec une tour de 200 m de haut. Pour elle, travailler en Suisse, c’est déjà bien. En revanche, le Britannique David Chipperfield, Pritzker en 2023, livre depuis longtemps déjà des musées en VEFA à Shanghai*** ou des logements à Séoul et Foster + Partners travaille depuis vingt ans à un habitat lunaire et depuis dix ans à un logement martien !
Pourquoi donc les agences françaises sont-elles incapables de réindustrialiser l’architecture du monde ? Certes il y eut AREP pour faire illusion mais l’agence a disparu cette année du Top 100 annuel de Building Design. Hélas, même à son âge d’or, AREP n’a jamais fait mieux que l’équivalent de la 70ème agence américaine. Nous avons pourtant des Majors mondiales de la construction au service de la France, la preuve ils contrôlent même pour certains la télé. Pourquoi ne sponsorisent-ils pas leurs productions ? Comprenne qui pourra…
Il y aurait bien Architecture Studio**** qui a développé une assez efficace philosophie de travail ouverte sur le monde, l’agence poursuivant à l’étranger une œuvre – pas une conquête notez bien – entamée il y a longtemps par des associé(e)s ayant aujourd’hui pour certains lâché les rênes. Une transmission, rare en France, apparemment réussie, mais l’agence, pourtant remarquable dans son histoire internationale, n’est même plus dans le Top 100 des agences mondiales en termes de revenus.
Le Top 100 de Building Design justement – autant avoir des éléments factuels – que dit-il des agences françaises ? Nota : ce classement est celui du chiffre d’affaires des agences, ce qui ne dit rien de leur qualité en termes d’architecture mais, puisqu’en France nous avons notre propre classement par chiffre d’affaires des 300 ou 400 premières agences, ce tri mondial doit bien signifier quelque chose.
Voyons, première agence française, en 52ème position, Wilmotte & Associés avec des revenus d’honoraires situés entre 40 et 49 millions de dollars (Building Design compte en dollars…). Puis vient à la 65ème place Valode & Pistre Architectes et, enfin, à la 76ème, A26 Architectures, ces deux agences affichant des revenus entre 20 et 29 millions de dollars. Wilmotte & Associés et Valode & Pistre sont des habitués de cette liste, oscillant peu ou prou aux mêmes places depuis le début de ce classement en 2010.
À noter que l’agence A26, qui s’impose dans le paysage français, a fait depuis quelques années une entrée remarquée dans cet annuaire mondial alors même qu’elle ne fait que débuter son développement international.*****
Sinon, à part ces trois, là, c’est tout pour la France dans le Top 100 mondial. Trois agences, c’est autant que l’Allemagne mais en moins bonne position – les Allemands sont 16ème, 18ème et 73ème – mais c’est moins que l’Espagne (5 agences), voire les Philippines (6 agences !). Ne parlons pas des firmes américaines évidemment hors concours – Gensler continuant de truster la première place avec plus d’un milliard et demi de dollars d’honoraires en 2023 – mais le Royaume-Uni, à la population et l’économie comparables à la nôtre, dans ce classement en compte… dix-sept ! 17 ! Zaha Hadid est décédée en 2016, en 2024 son agence est encore au 28ème rang des plus rémunératrices au monde !
S’il n’y avait que les Anglais ! En effet, le Top 5 est composé de Gensler et HDR, deux agences américaines en première et troisième positions, puis en seconde place d’Arcadis, une agence néerlandaise, et des agences suédoise – Sweco – et japonaise – Nikken Sekkei – qui complètent le podium à la 4ème et 5ème places respectivement. Comme quoi c’est possible même au pôle Nord !
Première agence française, Wilmotte & Associés donc, en 52ème position ! Que savent donc les architectes anglais, et presque tous les autres, que les architectes français apparemment ne savent pas ?
Je n’ai pas de réponse. Peut-être qu’une psychanalyse de l’architecte français comparée à celle de l’Anglo-Saxon apporterait quelque éclairage. En tout cas, Wilmotte, Valode & Pistre, A26… Est-ce là désormais, dans ce domaine, toute l’influence de la culture architecturale française dans le monde ?
Au moins, il y a de quoi se rassurer dans ce Top 100 : en effet, si la Chine y place 12 agences à partir de la 11ème position, la Russie n’en place pas une. L’honneur est sauf !
Christophe Leray
*https://www.bdonline.co.uk/wa100-2024/wa100-2024-the-big-list/5127174.article
** Lire notre article Chez Gensler, à Paris, on a le développement durable bien compris
*** Lire notre article Le Musée en VEFA, c’est de l’art moderne
**** Lire Travailler à l’étranger : l’expérience d’Architecturestudio
***** Écouter notre podcast A26, agence multi-spécialités et archipel connecté ?