De Londres à Paris en passant par Berlin, ce mois de mai a vu un florilège d’annonces concernant les voies ferrées. Visiblement, aucune solution ne semble remporter tous les suffrages économiques, politique, écologiques et sociaux. Et si la solution arrivait par les airs ?
Mai 2022, Londres, Royaume-Uni. La « Élisabeth Line », nouvelle ligne de métro londonienne, est inaugurée en grande pompe. Longue de 118 kilomètres, elle relie désormais l’est à l’ouest de la ville avec dix stations construites et trente-et-une autres rénovées pour un coût annoncé de 18,25 milliards de livres sterling (soit plus de 21 Md€).
Mai 2022, France. Un projet de prolongement du métro s’arrête à Vincennes*. L’argument ? Pas assez rentable ? Le coût annoncé était de 1,7 Md€ pour trois stations ! Quelques jours plus tard, c’est la gratuité de la carte jeune sur les lignes TER qui est mise à mal. Sans évoquer ici l’augmentation plus que substantielle des coûts des parcours TGV depuis la reprise de 2021, en parallèle d’une inflation sur l’énergie sans pareille depuis 30 ans et d’une crise écologique dont l’issue est loin d’être verte.
Mai 2022, l’Allemagne expérimente pour trois mois le billet illimité sur les lignes locales et régionales ferrées, à 9€ par mois, pour tous ! Promesse de la coalition menée par Olaf Scholz en décembre 2021, soit bien avant le début des hostilités ukrainiennes, le billet mensuel a été mis en vente le 1er juin 2022. Pourtant, la Deutsche Bahn tempère. Si le dispositif rencontrait un trop vif succès et qu’il était pérennisé, il faudrait compter sur des trains en retard et des complications pour la décennie à venir en raison de la vétusté du réseau ferré, en cours de modernisation jusqu’à 2030.
Le bémol s’entend pour mettre en pratique une mesure phare visant à adoucir, un peu, la hausse incroyable et soudaine du pétrole au pays des grosses berlines « deutsche Qualität » et de l’étalement urbain. Si c’est bon pour l’environnement, c’est bien aussi. Dès décembre dernier, la volonté du gouvernement fédéral était déjà « d’augmenter considérablement le nombre de passagers des transports publics ».
L’investissement est de l’ordre de 2,5 Md€ pour l’Allemagne, qui affiche déjà un endettement de près de 70% de son PIB en 2022 selon la Bundesbank (112,5% du PIB pour la France). La rentabilité n’est donc visiblement plus la question lors de la mise en place plus qu’expéditive de la mesure de mobilité pour aider un peu sa population qui doit faire face à une inflation de plus 8% en mai 2022 par rapport à mai 2021 (en France, les chiffres de l’Insee affichent une hausse de 5,2% sur la même période).
Ces tergiversations européennes préfigurent une autre crise dans les crises politiques et économiques actuelles, celle du transport public, de qualité, pour tous. L’Allemagne n’étant pas en reste quand il s’agit d’aborder la vétusté d’un réseau fragilisé par une augmentation considérable de ses usagers quotidiens.
Il demeure que le modèle de la double voiture par ménage semble avoir fait son temps : trop cher, trop polluant, trop vite obsolète. Avec l’augmentation du télétravail depuis 2020, les « navetteurs » ont également augmenté sur les réseaux régionaux, voire nationaux. Comment alors offrir aux usagers et leurs nouveaux modes de vie, qui doivent nécessairement évoluer, un système de transports densifié et sécurisé ? En France, d’aucuns crient encore à la non-rentabilité pour arrêter un projet vieux de … toujours !
Mars 2022, Saint-Denis, La Réunion. Le second système de téléphérique urbain est inauguré dans la plus peuplée des villes ultramarines. Le « Filao » (architecte : Richez et Associés avec L’Atelier architectes et ingénieurs) dessert depuis cinq gares sur 2,7 km de ligne suspendue au-dessus du vide, des quartiers situés dans les hauts de la ville, peu accessibles au réseau de bus. L’intérêt est tel qu’un autre projet est en cours d’étude pour relier deux autres quartiers de la ville, entre La Montagne et Bas de la Rivière.
Mai 2022 à Toulouse cette fois : un autre téléphérique urbain (architectes : Sequences) voit le jour au sud de la ville rose pour relier sur 3 km le réseau de bus existant de l’agglomération. Le coût annoncé de l’opération : 83 M€ (exploitation, télécabines et gares comprises) pour un équipement conçu pour anticiper la multiplication des besoins par deux.
Cependant, échaudé par les incidents qui ont mis le téléphérique brestois à l’arrêt à plusieurs reprises ente 2017 et 2021, ce mode de déplacement peine à émerger. D’ailleurs, le projet bien avancé de téléphérique lyonnais s’est vu stoppé net 10 mai 2022, les réticences citoyennes ayant eu le dessus sur le bon sens urbain et écologique.
Pourtant, entendu à Saint-Denis le lendemain de l’inauguration, lorsque deux dames, la cinquantaine, faisaient leur marché au Chaudron et regardaient les cabines prendre leur envol. « Tu imagines, si on tombe ? ». D’évidence, un brin de pédagogie s’impose de la part des villes pour rassurer certains de leurs concitoyens car les chutes ne sont pas au programme.
Dans le cimetière des projets aériens avortés, citons ceux d’Issy-les-Moulineaux, Marseille, Grasse ou encore celui d’Orléans, abandonné pour des questions budgétaires (le projet était estimé à 17 M€!). Argument purement politique s’il en est puisqu’un transport par câbles est bien moins dispendieux qu’un train par exemple.
Le transport par câbles reste également moins onéreux qu’un tramway. Le téléphérique qui doit relier Créteil à Villeneuve-Saint-Georges, toujours dans le Val de Marne, est budgété par Ile-de-France Mobilités 125 M€ pour 5 km et autant de stations. Sa capacité à enjamber des autoroutes rend la ligne plus compétitive que son équivalent ferré qui nécessite la création d’ouvrages d’art complexe.
D’ailleurs, bon nombre de villes hexagonales ne se sont pas trompées en poussant ces projets comme Ajaccio (architecte : Capo-Architectes), qui attend 7 km de ligne ou encore Grenoble (architecte : Groupe-6).
Le transport par câbles n’est pas une solution miracle mais apporte une alternative à d’autres infrastructures. Silencieux, sobre en énergie, le téléphérique n’a besoin que d’une faible emprise au sol et survole littéralement les embouteillages. Par ailleurs, les pylônes permettent de s’affranchir d’une topographie accidentée, comme c’est le cas à Saint-Denis ou pour « le téléporté d’Aiacciu ».
En France, le transport par câbles est une conception en circuit court, ses leaders pour la conception, le procédé industriel et l’exploitation-maintenance des systèmes étant des entreprises françaises. Un élément de plus à apporter à son empreinte carbone bien plus légère que celle des autres systèmes de transport en commun.
A objectif équivalent, le transport aérien démontre qu’il peut amplement rivaliser avec le transport ferré, dans des villes ou le souterrain et la surface sont rendus inaccessible en raison d’une grande densité, le tout pour un coût modéré et un bilan carbone acceptable.
Enfin, d’un point de vue touristique, le téléphérique saura aussi accueillir des visiteurs curieux de découvrir les plus beaux panoramas des cités traversées. Le tout sans pour autant hypothéquer les budget de l’école ou de la santé.
Alice Delaleu
* Lire Enjeux climatiques et sociaux ? La ligne 1 arrêtée en pleine voie