« Le nouveau Bauhaus européen démontrera que le nécessaire peut aussi être beau ». Dans le domaine de l’architecture, la commission européenne montre son ambition. Au risque de se mélanger les pinceaux dans les concepts ?
Le 14 octobre 2020, dans le cadre du ‘Green New Deal’ Européen, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, s’est prononcée pour la création d’un « nouveau Bauhaus Européen ». Elle a appelé à un « mouvement (qui) se veut un pont entre le monde de la science et de la technologie et le monde de l’art et de la culture. Il s’agit d’une nouvelle esthétique inspirée du Pacte vert européen combinant le design et la durabilité. Le nouveau Bauhaus vise à amener le Pacte vert dans les esprits et les foyers et de souligner le confort et l’attrait d’un mode de vie durable ; une bonne conception peut améliorer la qualité de vie ».
Voilà pour le vœu pieux. Mais est-ce vraiment un Bauhaus qui est proposé ? En effet, ce « Bauhaus européen » inventé par la technostructure fait partie du programme de rénovation pour l’Europe qui vise « à verdir nos bâtiments, créer des emplois, améliorer la qualité de vie ». Alors bonne ou mauvaise idée ?
Ce nouveau Bauhaus sera créé en trois phases : conception, mise en œuvre et diffusion. D’ici l’été 2021, la Commission mènera un vaste processus participatif de co-création pour la phase de conception, dans l’objectif de lancer des appels à propositions au titre du prochain programme-cadre pluriannuel dans tous les programmes concernés. La mise en œuvre de la première construction ou transformation dans le cadre du « Bauhaus européen » débutera au second semestre 2021 », et « tous les projets concerneraient l’environnement bâti dans son ensemble mais devraient aussi être centrés sur différents aspects comme les défis climatiques, l’accessibilité, la cohésion sociale, la construction numérique, les bioressources durables, etc. ».
Tout un programme qui amène à penser que ce n’est pas un « Bauhaus » que cherche l’Union européenne mais des CIRPAC (international pour la résolution des problèmes de l’architecture contemporaine) et des CIAM (Congrès Internationaux d’Architecte Moderne). Elle veut recréer, dans un premier temps, les rencontres et échanges qui ont pu avoir lieu entre les architectes modernes pour créer un système de pensée. Sauf qu’aujourd’hui ce n’est pas la mutation de la société industrielle qui serait au centre des rencontres mais le développement durable.
En réunissant « en un réseau de penseurs, planificateurs, architectes, entrepreneurs, étudiants et citoyens qui œuvrent ensemble au développement d’une durabilité qui a du style », c’est d’un nouveau mouvement moderne européen dont rêve Ursula von der Leyen.
Or le Bauhaus n’a jamais été qu’une pièce d’un puzzle bien plus large et, surtout, plus modestement, une école, un lieu de formation, comme l’explique d’ailleurs Gropius dans le manifeste de 1919 : « Formons donc une nouvelle corporation d’artisans, sans l’arrogance des classes séparées et par laquelle a été érigé un mur d’orgueil entre artisans et artistes. Nous voulons, concevons et créons ensemble la nouvelle construction de l’avenir, qui embrassera tout en une seule forme : architecture, plastique et peinture, qui s’élèvera par les mains de millions d’ouvriers vers le ciel du futur, comme le symbole cristallin d’une nouvelle foi ».
En invoquant l’imaginaire lié au mouvement moderne, Ursula von der Leyen aurait plutôt dû se référer à ce que furent les CIAM et CIRPAC, qui ont été le lieu de rencontre pour une pensée rationnelle et européenne sur la ville, certes entre architectes mais aussi avec des intellectuels et des artistes, et dont la capacité éditoriale leur a permis de devenir l’un des mouvements « esthétiques » majeurs du XXe siècle. Dans la déclaration de La Sarraz se trouvent déjà des éléments relatifs à une nouvelle société, à un besoin d’une architecture nouvelle réconciliant société, besoins, et dans les années 1920, l’industrie. Le Bauhaus, ou plutôt ses professeurs, ne sont que l’un des éléments du mouvement moderne.
Quant à savoir de qui et de quoi ce Bauhaus européen sera fait, il est encore trop tôt pour le dire. Est-ce qu’en plus de la rénovation du bâti, ce nouveau Bauhaus se penchera sur la question du logement abordable, d’autant plus d’actualité en ces temps de crises sanitaires tirant vers la crise économique ?
Apparemment oui, mais sans que cela soit spécifié dans le programme. Le mal-logement devrait pourtant être au centre de la réflexion sur le bâti. Revenir peut-être là aussi aux CIAM et CIRPAC qui s’interrogeaient sur l’habiter comme fonction première, et sur la notion d’« existenzminimum » (CIAM 2 – Francfort – 1930 – habitation minimum).
En France, les architectes ne se sont pas à ma connaissance encore exprimés pour dire ce qu’ils pensent de ce Bauhaus européen, et c’est relativement inquiétant. En effet, l’habitude est prise d’estimer que l’avis des architectes ne comptent que pour des prunes et, pour une fois qu’ils sont sollicités pour prendre leur responsabilité, ils semblent un peu dépassés, s’ils sont au courant, par cette déclaration de la cheffe de l’Union européenne.
Pas de Nouvel, de Perrault, de Ricciotti pour s’exprimer à ce sujet ? Trop éclectique et mal défini ce projet de la commission européenne ? Ou alors peut-être sont-ils déjà en train de faire des pieds et des mains pour faire partie du cercle de 1e ordre qui le mettra en œuvre ? Plus sûrement, ce programme, qui évoque durabilité, bouleversements écologiques et rénovation massive, n’est pas le leur. Le premier Bauhaus a bousculé les certitudes de la vieille garde. Cette proposition de la Commission européenne est-elle le signe qu’une jeune garde fourbit ses armes et se préparent à prendre la relève ?
Julie Arnault