Au Tibet, les vautours volent haut et emmènent vers le ciel les esprits et les corps des humains. C’est dans ce cadre spirituel que Jean-Pierre Heim découvre le pays dès 2009. En 2019, il y retourne pour y concevoir le premier hôtel de Lhassa avec des chambres entièrement oxygénées naturellement TibetWood. En attendant sa construction, carnet de dessins.
J’ai voyagé au Tibet plusieurs fois. Mon premier voyage remonte à 2009. Le Tibet était à cette époque sous la protection sévère de l’armée chinoise.
Le 10 mars 2008, des manifestations pacifiques de moines bouddhistes ont eu lieu à Lhassa, capitale de la région autonome du Tibet, à l’occasion du 49ème anniversaire du soulèvement tibétain de 1959 et quelques mois avant les Jeux olympiques de Pékin. Les manifestants exigent la libération des moines emprisonnés en octobre 2007. La région autonome du Tibet, qui était fermée aux journalistes et aux touristes depuis le 19 mars, est à nouveau très partiellement ouverte le 26 juin.
Le 30 décembre 2008, selon les autorités chinoises, les journalistes peuvent revenir au Tibet mais, selon l’association Reporters sans frontières, les autorisations accordées sont rares.
À l’approche du cinquantième anniversaire du soulèvement tibétain de 1959, le pays a de nouveau été fermé aux étrangers et aux journalistes. Fin février, à l’approche du nouvel an tibétain, les autorités chinoises ont annulé tous les voyages touristiques dans les régions tibétaines pendant plusieurs mois.
Demander un permis en 2009 était un défi et visiter le Tibet un privilège. Je suis arrivé à Lhassa et, depuis l’hôtel, au clair de lune mais dans une lumière brumeuse, on pouvait entendre les militaires se déplacer en ville en petits groupes. Le Potala était dans le brouillard.
Lorsque nous voyagions dans certaines provinces, nous devions faire face à des points de contrôle réguliers avec une vérification stricte de la distance et de l’horaire afin de nous imposer le respect du plan de route autorisé. L’altitude, plus de 5000 m, rendait nos voyages assez difficiles mais stimulants. La nuit, des bouteilles d’oxygène devenaient nécessaires pour dormir et respirer normalement. Les yeux rouges et l’essoufflement étaient une expérience quotidienne.
Je suis retourné au Tibet en 2019 pour une nouvelle mission, le président de la chambre de commerce tibétaine qui m’ayant demandé, avec mon partenaire américain, de concevoir deux hôtels : un hôtel de charme près de Lhassa, à environ 15 km du Potala, l’autre au sud du Tibet, dans la montagne à 180 km au sud-est de Lhassa.
Lors du deuxième voyage, après trois heures de route en Range Rover, nous avons eu des problèmes à un point de contrôle, les militaires refusant de nous laisser continuer notre voyage. A force d’insister, nous avons eu la permission de poursuivre notre route et nos recherches à condition d’être partout accompagné de la police locale. Dans une zone interdite aux étrangers, il est certain qu’un architecte français et un architecte américain en goguette semblaient suspects aux autorités du coin.
Dessiner et faire des croquis était ma mission ainsi que prendre des photographies et faire des films. Les drones étaient interdits. Sous l’œil de l’armée, je dessinais donc le paysage et les détails nécessaires dont j’avais besoin pour m’imprégner du design et de l’architecture locale.
La nuit, je dessinais encore ce que j’avais vu pendant la journée. Grimper dans les temples était une expérience incroyable, rythmée non seulement par les voix de Lamas mais aussi par des sons musicaux étonnants, des prières avec toutes sortes de tambours, trompettes et gongs. Des moines vêtus de robes rouges et jaune orange chantaient et priaient. Partout, des temples aux maisons locales, les plafonds, les murs, les portes et les fenêtres sont colorés. Les draperies, comme ornement et symboles du bouddhisme, sont ornées de têtes de buffle, cornes et squelette. Peau et odeur de yack, vautours volant à haute altitude ou, au sommet d’une haute falaise, mangeant les cadavres humains pour amener l’esprit du corps dans le ciel.
Le Tibet était magique à chaque instant et profondément spirituel. Vivre avec les gens sur la montagne sans arbre à cause de l’altitude était un rêve total, exténuant à cause de l’altitude et irréel à cause de la beauté vernaculaire naturelle du paysage et des villages.
Concevoir cet hôtel près de Lhassa était un défi : le seul hôtel au monde avec des chambres entièrement oxygénées naturellement ; en pénétrant dans la chambre, on peut enfin respirer. À une altitude de 3 850 m, l’hôtel Tibetwood sera l’hôtel écologique le plus haut du monde.
Les vautours volent haut et emmènent vers le ciel les esprits et corps spirituels humains. Les Yaks paissent dans la vallée, les moines prient dans leurs monastères, le son des cors et les prières des lamas meublent le silence infini.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art” – Janvier 2021
Découvrir en vidéo TibetWood, un hôtel haut perché au Tibet par Jean-Pierre Heim
Retrouver toutes les chroniques de Jean-Pierre Heim