Les trois associés de l’agence ‘Nomade’ souhaitent communiquer sur le nom de l’agence plutôt que le leur. Soit. Citons-les donc une bonne fois pour toutes – il s’agit de Matthieu Laviolle, Raphaël Chivot et Vincent Le Garrec – afin de n’y plus revenir. Leur premier bâtiment construit vaut en revanche que l’on y revienne.
Le pragmatisme de ces jeunes gens (32 ans tous les trois) est finalement assez réjouissant. De leur propre aveu, ils n’ont aucun a priori théorique, aucun a priori concernant les matériaux et aucune espèce de réticence concernant le travail qui leur tombe sous la main. Une volonté posée en exigence à leur activité : ce sera la commande publique, qui offre selon eux une plus grande liberté architecturale, qui sera privilégiée. La première fut la création d’un atelier dans une prison, la seconde un bloc obstétrical en milieu fermé. «Ca a marché», disent-ils. Depuis trois ans et demi, les factures sont payées donc.
Une attitude peut-être liée à leur passion commune, la voile, un domaine qui ne souffre les envolées lyriques qu’à terre. D’ailleurs, ils ont une agence à Vannes (Morbihan), à 50 mètres du Golfe car comme l’architecture, la voile est une passion exigeante, et une autre à Paris, dans le Faubourg St Denis dans une chambre de bonne taille XXL, logée sous les toits d’un immeuble décati, que ne leur envieront pas les tailleurs turcs du quartier et dont s’accommodent pourtant leurs quatre collaborateurs. Pragmatisme encore dans leur façon de prendre langue avec leurs partenaires.
Ils ont contacté des dizaines de collectivités locales, de bureaux d’études, au rythme de un ou deux courriers par jour. «Jeunes architectes cherchent partenariat durable», expliquaient-ils en substance. Le discours est rôdé, le travail à la chaîne, la lettre de motivation partie que le téléphone n’est pas encore raccroché. «Nous avons trois approches qui sont complémentaires ; il y avait des deadlines : on y a cru», disent-ils. Le tout mâtiné d’une bonne dose d’humour, d’une vision optimiste de l’avenir et d’une bonne réserve de confiance en eux.
En tout état de cause, leur méthode a fini par payer. «Communiquer fait partie des contraintes. Pour avoir des clients, il faut que l’on parle de nous. Pendant longtemps, nous n’avions rien à montrer. Là, ça y est, autant le faire savoir», expliquent-ils. Nomade communique donc, à bon droit, sur «un premier vrai projet construit, un bâtiment qui donne de la pêche dans un tissu industriel».
Le projet consistait à créer pour la RATP (maître d’ouvrage délégué SEDP – Société d’études et de développement patrimonial de la RATP) un bâtiment réparti sur deux niveaux en surélévation d’un atelier de maintenance de métro (en gros une énorme gare dans laquelle les métros sont désossés pour réparation) sur le site industriel de Saint-Ouen. Ecrire cela ne dit rien des contraintes du lieu. La première était de trouver des solutions techniques permettant de minimiser l’impact du projet sur les ateliers existants situés en rez-de-chaussée ; en effet, les ouvriers disposent d’un droit de retrait qui les autorise à cesser le travail au moindre danger. Or, le travail n’ayant jamais cessé dans ces ateliers durant le chantier, la contrainte de sécurité était fondamentale.
La seconde était d’intégrer l’extension dans le gabarit imposé par le P.O.S., soit entre autres devoir gérer des problèmes de vue, sur un site très dense où quasiment aucun espace au sol n’était disponible. La troisième était liée à l’objet même du projet, des bureaux (et une salle de réunion) d’une part, mais surtout d’autre part des ateliers de maintenance de cartes électroniques fabriquées et utilisées par la RATP. Ces cartes sont stockées sur des racks nécessitant une hauteur sous plafond qui allaient imposer de jouer serré (plus serré même qu’initialement envisagé) avec les charpentes alors même que les niveaux de plancher étaient également contraints. Et, de plus, ces racks imposent une charge d’exploitation quatre fois supérieure à celle des bureaux, soit largement au-dessus des normes habituelles. Enfin, alors que la seule solution était de construire au-dessus, le bâti existant ne pouvait supporter une telle charge.
Une idée est apparue lorsque que l’un des architectes, passant un jour devant la gare St Lazare, note des Algeco suspendus. La solution retenue consiste en l’édification de cinq portiques métalliques extérieurs, à l’impact structurel réduit donc, où sont enchâssés les niveaux supplémentaires. Lesquels sont reliés entre eux par un patio qui lui repose sur une partie de l’existant qui était constitué d’un toit terrasse végétalisé (en clair, ils ont récupéré le poids de la terre). Une cage d’escalier en béton permet de contreventer l’ensemble.
Lors d’un concours (perdu), ils avaient découvert le Trespa. Va pour le Trespa en façade, l’éclairage naturel étant assurée par des panneaux de vitrage translucides dans le respect de la contrainte de vues indirectes tandis que des vues latérales étaient ménagées par des redans de la façade afin de profiter au maximum des prospects imposés par les règles d’urbanisme. «Nous n’avions jamais construit en métal, ce fut une découverte», dit l’un. Parlant du Trespa, un autre se dit «agréablement surpris du résultat de ce matériau sur ce bâtiment». «Ca nous allait en rouge», dit-il en riant, quand en fait le choix, délibéré, dut être défendu avec ardeur. Le calepinage en joint creux est, de fait, particulièrement réussi.
Sur un chantier très technique, les problèmes à résoudre furent nombreux. Il a fallu par exemple négocier – dur – les cinq poteaux du portique sur la voie extérieure et insérer les cinq poteaux intérieurs (sur des fondations béton qu’il a fallu reprendre en sous-sol) avec le minimum de nuisances. Par ailleurs le problème de prospect fut résolu par des façades en biais et des niveaux décalés l’un par rapport à l’autre. Le maître d’ouvrage s’étant d’ailleurs montré frileux – le rouge du Trespa – voire sceptique, c’est en parlant technique que Nomade a fait passer l’aspect contemporain de l’architecture.
Seul regret des architectes, il a fallu floqué à l’intérieur – normes obligent – un petit chef d’œuvre de charpente. Pour le reste, la RATP et la SEDP ne peuvent que se féliciter aujourd’hui, ce dont elles ne se privent pas, du résultat final. «Personne n’y croyait, il a fallu se battre pour les formes, pour le rouge. Nous sommes assez heureux au final de l’aspect machine, industriel du bâtiment qui rend hommage tant au lieu sur lequel il s’élève qu’à l’activité de ceux qui l’utilisent», explique Nomade.
Le premier compte-rendu de chantier a été écrit en avril 2004, le bâtiment est livré en juin 2005 pour un coût de 1.6 million d’euros HT (et 1.200 m² de surface utile). Un pragmatisme de gestion de projet qui n’interdit donc, en rien, la création.
Christophe Leray
Article paru en première publication sur CyberArchi le 1 juin 2005