Jean-Christophe Quinton, ambidextre ? Le matin est consacré à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles qu’il dirige depuis 2015, l’après-midi pour l’agence qu’il a fondé en 2003. Membre de l’Académie d’Architecture, il partage cette double expérience réclamant efficacité et dextérité.
De mars à juin 2020, durant le confinement et jusqu’au déconfinement, l’Académie d’architecture a questionné ses académiciens et académiciennes quant à leurs réponses et réactions face à cette contrainte inattendue. Chroniques d’architecture publie neuf de ces entretiens.
Académie d’architecture – Comment vivez-vous professionnellement le confinement ?
Jean-Christophe Quinton – La première chose à dire est que ces deux univers, ces deux ambiances que sont l’école d’architecture et l’agence n’ont jamais été aussi entremêlés. Jusqu’à présent, je devais gérer la complexité d’une double vie professionnelle dans ces aspects, bien souvent, géographiques : l’école se joue à l’école, et le métier, à l’agence.
Comment avez-vous organisé l’agence depuis le 16 mars 2020 ?
L’agence est confinée et nous sommes tous en télétravail. Nous avons sans doute évolué comme tout le monde. Nos chantiers se sont arrêtés et mais les études se sont, quant à elles, poursuivies. Nous venons d’ailleurs de déposer un permis de construire pour des logements à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
Pour mettre à bien ces projets, nous faisons tous ensemble une réunion « zoom » hebdomadaire. C’est épuisant et lourd… mais, après tout, ça marche !
Avez-vous adapté l’effectif de l’agence ?
Nous sommes une petite dizaine et aucun architecte n’est en chômage partiel. Si les chantiers se sont arrêtés, beaucoup de nos projets sont, en ce moment, en phase de visa. Pour les études, nous menons des séances de travaux partagés sur Zoom. De fait, tout le monde est à son poste.
Si le confinement venait à durer un mois de plus, nous pourrions continuer selon ce même rythme. La question est davantage, pour nous, dans le post-confinement, car j’ai bel et bien l’impression que les conséquences seront, pour nous tous, autrement plus tardives…
Votre méthode de travail est-elle toujours la même ?
Nous avons une culture de recherche. Chaque projet interroge les questions premières de l’architecture. Aussi, nous n’avons pas de position automatique. Le confinement nous invite cependant à être prudent ; nous ne souhaiterions pas développer de nouveaux réflexes. Il faudra donc être attentif, au moment venu, pour retrouver pleinement cette démarche d’exploration qui est, pour nous, la condition particulière de mise en forme du projet.
Aujourd’hui, nous nous en sortons plutôt bien, car nous sommes en phase d’étude. Certes, les conditions de travail ne sont pas idéales au regard de l’exigence que nous défendons mais nous avons, au fil des semaines, appris une certaine fluence. C’est, je crois, le résultat d’une ambiance d’agence qui a su rester solidaire. Tout ce que nous avons mis en place avec les années – l’agence a 17 ans – s’est vu maintenu et confirmé.
Qu’avez-vous appris de cette situation ?
L’annonce du Président de la République a été un coup de semonce. A partir des informations que nous avons obtenues par d’autres réseaux, nous avons compris que les maîtrises d’ouvrage feraient le dos rond pendant plusieurs mois et que les feuilles d’honoraires risqueraient de tomber dans le vide. Il nous a fallu, en conséquence, évaluer les ressources de l’agence en plus de constituer de la trésorerie. Avec mon assistante de direction, nous avons identifié les prestations à facturer d’ores-et-déjà. Nous avons également mis en place tout un échéancier. C’est une véritable stratégie qui a été échafaudée.
Le confinement nous aide, en résumé, à être plus stratèges et plus concentrés sur les questions économiques relatives à l’agence. Nous ne sommes, de fait, pas dans une situation critique pour le moment et nous pouvons tenir – ce qui n’est pas forcément habituel dans la vie d’une structure de dix personnes – au moins quelques mois.
Et l’école ?
L’école ! C’est une incroyable et vertigineuse leçon. Enseignants, agents administratifs, étudiants, soit un navire de 1 600 âmes, Versailles s’est maintenue à 100 % de sa mission dès la première semaine de confinement. Tous les cours ont eu lieu, aux horaires habituels, sans discontinuer.
Nous avons œuvré à la virtualisation totale de l’école en une seule et unique journée. J’ai assisté à un élan de solidarité inédit. Il est le fruit d’une volonté constructive.
La représentation syndicale nous a par ailleurs aidé à la constitution d’un plan de continuité d’actions. J’ai, pour ma part, demandé au conseil d’administration de créer un fonds d’aides aux étudiants, 30.000 euros dédiés aux situations d’urgence. Le retour des administrateurs a été, sur cette question, unanime au bout, seulement, de deux jours. Tous ont bien pris conscience que certains étudiants n’ont plus de travail, n’ont plus de ressources et parfois, n’ont presque pas de quoi se nourrir. Nous apprenons à réagir en un temps record.
Comment maintenez-vous cette école « dématérialisée » ?
Nous travaillons à partir de logiciels que nous avons découverts avec le confinement ; tout le monde fait désormais preuve d’une grande dextérité dans leur utilisation. Nous avons, entre autres, installé Zoom la veille de la fermeture. C’est un logiciel fonctionnel, intuitif et simple mais il y a dorénavant quelques rumeurs, qui circulent sur la possible fuite de données…
Quoiqu’il en soit, nous pouvons y faire des réunions complexes réunissant plusieurs dizaines de personnes. Nous préparons en ce moment la rentrée 2020. C’est un travail conséquent qui mobilise l’administration, le corps enseignant et les étudiants élus… le tout, désormais, par écrans interposés.
Parmi les nombreuses initiatives prises, nous publions en ligne, toutes les semaines, « Le Lien du Vendredi » ; nous y présentons des nouvelles des uns et des autres, nous évoquons aussi des sujets académiques. Cette lettre est également un moyen de témoigner de l’engagement de chacun. Dans ce cadre, la médiathèque propose aussi des films, des conférences, des entretiens…
Pourriez-vous donner un exemple concret d’engagement ?
Le fab-lab de l’école est mobilisé pour créer des masques (une visière rhodoïd maintenue par un serre-tête). Les imprimantes 3D tournent, pour ce faire, jour et nuit. Je vais ensuite livrer ce matériel aux hôpitaux voisins par l’intermédiaire de l’association 3d4care. Nous conservons cependant une partie de cette production afin que l’école puisse très prochainement ouvrir partiellement. L’objectif est d’autoriser des étudiants à venir faire leurs maquettes et préparer leur diplôme.
Les diplômes auront-ils bien lieu en juin ?
La commission de pédagogie s’est tenue hier et a décidé de décaler tous les PFE en septembre. Toutefois, à la demande, les étudiants qui se sentent prêts pourront passer leur en juin. Nous nous inquiétons aussi de voir que les stages en agences ont par ailleurs cessé d’exister.
L’école est-elle autonome dans sa prise de décision ?
L’école a une part d’autonomie mais nous faisons aussi des choses à l’unisson avec les autres ENSA. Nous recevons également des arbitrages des ministères de la Culture et de l’Enseignement supérieur. J’en regrette d’ailleurs certains comme, par exemple, le recrutement des élèves sur dossier et sans entretien. Le dialogue avec un candidat est pourtant essentiel afin de mesurer l’étendue de sa motivation. L’exercice est cependant rendu difficile – mais pas impossible – avec les mesures sanitaires de distanciation.
Que retirez-vous de cette situation pour l’école ?
Le confinement est, après tout, l’idée inverse de l’a priori que nous pouvions en avoir : jamais je ne me suis senti autant connecté avec tout le monde. C’est un travail conséquent mené par l’ensemble des agents ; ils sont sans cesse relancés par les étudiants. C’est aussi un travail attentif de la direction.
D’un point de vue institutionnel, c’est une incroyable leçon ! Diriger une école provoque des émotions, de la colère… et j’observe en ce moment une unité particulièrement équilibrée et sereine dans tous les débats et dans tous les votes. J’ai confiance en cette école, plus encore en voyant que nous avons fait nos preuves : vigilance et réactivité de l’administration, mobilisation et créativité de tous les enseignants, présence et persévérance des étudiants, relation et projets maintenus avec tous nos partenaires…
Il n’y a pas eu un seul temps mort. En outre, toutes les réunions ont lieu avec… tout le monde. Il n’y a désormais plus le problème du lieu ou de la distance. In fine, Zoom nous invite à une efficacité dans le travail en facilitant nos échanges.
Comment envisagez-vous alors l’après ?
Le confinement est une manière de prendre confiance en soi puisqu’il nous oblige à être, plus encore, dans l’action. Il y a aussi une grande efficacité dans les décisions. Décaler les diplômes, par exemple, ne passe pas par un circuit sans fin réclamé par une vision juridique de la question…
Il s’agit d’une expérience étonnamment constructive, particulièrement intense et j’y vois, en tout cas, la source d’une belle leçon pour l’avenir.
Propos recueillis par l’Académie d’architecture
Entretien réalisé le 27 avril 2020
Retrouvez les neuf entretiens de la série.